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Aux secours du patronat

USA : Biden et les directions syndicales concluent un accord pour empêcher une grève massive de cheminots

Sous la menace d'une grève massive des cheminots, Joe Biden a conclu in extremis un accord avec les directions syndicales. Cet accord promet d'importantes concessions au bénéfice des travailleurs sans même avoir mené de combat. Cela démontre que la grève empêchée par les directions syndicales peut et pourrait permettre d’arracher bien plus que ce que promettent Biden et le patronat.

Gabriel Ichen

15 septembre 2022

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Depuis plusieurs mois, les travailleurs américains des principales compagnies ferroviaires de fret contestent la nouvelle politique ultra-répressive du patronat concernant les absences au travail. Au début de l’année, une nouvelle politique a été mise en place qui sanctionne durement les absences : un cheminot pouvant être licencié pour une simple consultation de médecine générale ou pour une urgence familiale. Ils exigent aussi d’importantes augmentations de salaires face à l’importante inflation aux Etats-Unis.

Les directions syndicales représentant pas moins de 115 000 travailleurs du rail et le patronat des compagnies ferroviaires se sont réunis pendant des mois pour tenter d’éviter que le mécontentement ne se transforme en grève. La date limite fixée pour trouver un accord avant un départ en grève était ce jeudi 15 septembre à minuit. Faute d’un accord avec deux des plus importants syndicats du rail qui représentent près de 60 000 travailleurs, la possibilité d’une grève a plané sur les têtes du patronat et du gouvernement jusque dans la nuit de mercredi à jeudi heure américaine.

Tôt dans la matinée, la maison blanche publiait un communiqué annonçant qu’un « accord provisoire avait été trouvé ». L’accord doit encore être sujet à un vote dans les syndicats qui ont suspendu la grève le temps du processus de vote qui peut durer plusieurs semaines. Une suspension de la grève ampute fortement le rapport de force et remet Biden et le grand patronat dans une meilleure position pour une négociation à minima. Il rompt la dynamique d’une grève dans le rail qui aurait de fait remis en mouvement un secteur important du prolétariat américain dont la dernière grève date de 1992, il y a maintenant 30 ans.

Face à une possible grève historique des cheminots américains : la peur bleue du patronat et de Biden

Joe Biden et le gouvernement sont intervenus directement dans les négociations pour éviter le départ en grève de dizaines de milliers de cheminots du fret. C’est que le secteur du fret ferroviaire représente un secteur extrêmement stratégique pour l’économie américaine. Aux Etats-Unis, près d’un tiers du transport de marchandises est assuré par le fret ferroviaire. Le rail assure ainsi le transport de produits essentiels au fonctionnement de l’économie, et transporte notamment du pétrole, des engrais et des produits de santé. De plus, le transport civil de voyageurs assuré par la compagnie ferroviaire publique Amtrak aurait également été impacté puisque une grosse partie du réseau de transport de voyageurs fonctionne sur des rails appartenant aux compagnies de transports de marchandises.

« Désastre national » pour la chambre de commerce américaine ; « conséquences catastrophiques » selon l’association des producteurs de pétrole étatasuniens, ces mots ont exprimé la peur profonde du patronat américain concernant une potentielle grève massive dans le secteur du rail aux États-Unis. Selon l’association des chemins de fer américains, une telle grève aurait pu provoquer la perte de 2 milliards de dollars par jour, soit 3% du PIB américain journalier. Un chiffre qui exprime la capacité des travailleurs du transport à pouvoir créer un rapport de force conséquent.

La panique et la peur d’une mise en mouvement d’un secteur aussi important est donc énorme du côté du patronat américain mais aussi du côté de Joe Biden. Le président démocrate joue gros à moins de deux mois des élections de mi-mandat aux Etats-Unis. Une grève massive d’un secteur central du prolétariat américain pourrait le fragiliser grandement.

D’autant plus que Biden, en bon démocrate, a cherché depuis le début de son mandat à contenir et à canaliser tout débordement sur sa gauche que ce soit de la part du mouvement ouvrier ou des mouvements sociaux. Pour se faire et pour consolider sa base électorale, Biden s’est ainsi affiché hypocritement en faveur du processus de syndicalisation pour promouvoir un syndicalisme de co-gestion dans des entreprises comme Amazon ou en faveur du droit à l’avortement aujourd’hui menacé par un secteur réactionnaire du régime américain représenté par la cour suprême, cela dans l’objectif de mieux canaliser les luttes par en haut. Le mandat donné à Biden par un secteur de l’establishment US étant bien d’empêcher toute explosion sociale afin de préserver les intérêts des capitalistes américains. Et ce dans un contexte particulièrement instable. Car aux Etats-Unis également, l’inflation atteint des taux records et la récession plane sur les travailleurs américains.

En réalité, les démocrates et les républicains étaient prêt à tout pour empêcher les travailleurs de partir en grève. Nancy Pelosi, députée démocrate et présidente de la chambre des représentants (équivalent de l’Assemblée Nationale) avait ainsi annoncé que le parlement américain était prêt à recourir à des mécanismes institutionnels pour casser la grève : « Avec l’espoir d’un accord, mais l’inquiétude des défis qu’une grève présenterait, le Congrès se tenait prêt à agir » a-t-elle annoncé avant de se réjouir suite à l’annonce d’accord provisoire.

L’accord provisoire : un signal pour les travailleurs américain qu’il va falloir lutter

Dans un communiqué, l’Association of American Railroads qui regroupe les principales compagnies ferroviaires américaine a annoncé que l’accord de principe conclu entre les syndicats et le patronat prévoyait "une augmentation salariale de 24 % pendant la période de cinq ans allant de 2020 à 2024, y compris un versement immédiat de 11 000 $ au moment de la ratification [de l’accord]". Selon les syndicats, l’accord prévoit également la possibilité pour les travailleurs de recourir à des soins médicaux sans être sanctionné pour absentéisme, principale revendication des syndicats.

Mais, si cette augmentation sur plusieurs années peut paraître importante, elle risque bien d’être rattrapée très rapidement par l’inflation qui atteint aujourd’hui plus de 8% aux Etats-Unis. En fait, cette concession importante faite par le patronat du secteur des transports américain à partir d’une simple menace de grève montre que les capitalistes américains sont effrayés d’une possible vague de grève qui toucherait les secteurs centraux de la classe ouvrière américaine. Cela laisse imaginer ce qu’une grève massive pourrait permettre d’obtenir.

Loin de la stratégie des directions syndicales qui, plutôt que de lutter pour obtenir bien comme l’indexation des salaires sur l’inflation, a joué le rôle de contention de la colère, empêchant même la mise en mouvement d’un secteur stratégique qui aurait pu faire trembler Biden. Pourtant, c’est bien par ce chemin de la grève et de la mobilisation, loin des tables de négociations, que les travailleurs américains, et du monde entier, pourront faire face à la vie chère et imposer leurs revendications qui prennent aujourd’hui une importance vitale.


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