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Fake news ou vraies violences

Tolbiac, la matraque et les médias. Petite mise au point

Une chose est sûre, l’évacuation de Tolbiac par les forces de police vendredi dernier, comme celles qui suivent leurs cours actuellement dans les universités de Lorraine et à Grenoble, s’est faite dans la violence. Si un certain nombre de blessés, dont un à la cheville, évacué par des pompiers, est avéré, il est vrai que, concernant la question d’un « blessé grave à la tête », aucun témoignage direct et non-anonyme ne vient l’étayer. Ceci étant dit, la lutte contre la « Fake news » de Tolbiac prend depuis ce mercredi une tout autre allure : celle d’une cabale médiatique contre une militante de la France Insoumise, et surtout contre les étudiants mobilisés, notamment de Paris 1. Au point d’oublier que des coups de matraques, à Tolbiac, ont bel et bien été donnés.

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Photo : CRS entrant dans un amphithéâtre de Tolbiac, vendredi 20 avril. Crédit image : "Paris 1 mobilisée contre Macron et la Sélection"

Vendredi 20 avril, jour de l’évacuation qui s’est effectuée entre 5 et 6 heures du matin, un communiqué des autorités préfectorales, sorti le matin, indique que l’évacuation de Tolbiac n’a fait « aucun blessé ». Selon les autorités, « à 6 heures, plus aucun étudiant ne se trouvait dans les locaux. L’évacuation qui a concerné environ 100 personnes, s’est déroulée dans le calme et sans incident ».

Quelques heures plus tard, dans la matinée, se tient un rassemblement de soutien, sur la rue de Tolbiac. RévolutionPermanente recueille les témoignages de quatre étudiants : tous attestent de violences, trois d’entre eux parlent de blessés, dont un à la cheville, blessé lors d’une nasse effectuée sur le trottoir faisant face à l’université de Tolbiac. Des faits attestés par une photographie (3’03 de la vidéo) et une vidéo que nous avons recueilli (3’21 de la vidéo ci-dessous), qui montrent un étudiant tombé inconscient lors d’une nasse et évacué par une brigade de sapeurs-pompiers et aurait, selon une témoin interviewée, « la cheville en piteux état ». Sophie Jallais, enseignante-chercheuse en économie à l’université Paris 1, atteste elle aussi dans le Média avoir vu un camion de pompiers.

De la violence, mais pas de preuves conformes d’un blessé grave

En tout début d’après-midi, le journal Reporterre rapporte trois témoignages parlant d’un occupant de Tolbiac, tombé d’une grille et blessé à la tête. Plusieurs médias ont repris ces informations : d’abord Marianne, loin d’être un média « alternatif », qui affirme clairement dans son article qu’un « étudiant est annoncé dans le coma », ensuite Politis qui relaie deux des témoignages puis le Média qui diffuse le témoignage de Leïla ; ou encore Paris-luttes info et Révolution Permanente. A ce moment, il n’y a alors pas de quoi les mettre en doute même si l’usage du conditionnel n’a pas été la règle.

Du point de vue de Révolution Permanente, dans notre premier article sur le « blessé grave », nous avons pris soin d’user les précautions d’usage en ce qui concerne le conditionnel, même si le titre a pu être un peu trop affirmatif. Ce que nous avons réactualisé dans un autre article sur « les raisons qui font douter des communiqués officiels ».

Ces témoignages attestant « d’un blessé grave » sont cependant démentis le soir par un nouveau communiqué de la préfecture qui parle d’une « rumeur », d’une évacuation « sans blessé grave », en précisant qu’un étudiant s’est fait évacué par les pompiers, près de la rue Patay, pour « une douleur au coude ». Pour autant les autres blessés, dont celui « à la cheville », appuyé par plusieurs témoins présents sur place, ne sont pas cités.

Trois jours plus tard dans un article intitulé « Tolbiac : le point sur l’affaire », Reporterre qualifie ses propres témoignages de « fallacieux ». La raison ? Désiré*, nom d’emprunt, Sans-Domicile-Fixe, principal* témoin refuse de décliner sa véritable identité. S’il a consigné son témoignage par écrit, il ne se rend pas au rendez-vous organisé avec un avocat pour faire une déposition officielle. Pas plus que les deux autres témoins, « injoignables » nous dit l’article.

Deux étudiantes avaient également rapporté à visage découvert ces mêmes faits dans le Média et à Marianne. La première, Jaspal, présidente de l’Unef Paris 1, qui a parlé d’un « étudiant dans le coma », finit par modifier ses propos auprès du Parisien, en précisant ne pas faire partie des « deux témoins oculaires ». La seconde, Leila, étudiante en Licence 2 d’économie à Tolbiac, n’a jamais revendiqué faire partie des témoins oculaires comme le montre cette interview faite par le journal Brut le matin de l’évacuation où elle affirme clairement (par deux fois, minute 55 et 59 dans la vidéo, ci-dessous) ne pas avoir été «  à l’intérieur » du site au moment de l’évacuation. Cette information, les journalistes du journal Le Media ont omis de la préciser dans leur interview, laissant ainsi le doute s’installer.

Quand Libération usurpe la parole d’une étudiante

Au sujet de ce second témoignage, celui de Leïla occupante à Tolbiac, Libération affirme mardi 25 avril dans un article de démenti de la rumeur qu’elle « avoue avoir menti ». La principale concernée rétablit les faits : dans son communiqué, elle précise qu’elle a, à plusieurs reprises, « refusé de lui [à Libération] répondre » et n’aurait donc fait aucune déclaration auprès de cette journaliste. Dans son droit de réponse à Libération, Leila réaffirme ne pas « avoir été témoin direct de l’événement » mais interpelle sur la volonté de « ne pas prendre en compte les témoignages de ces personnes annonçant un blessé grave », et demande la mise à disposition des enregistrements effectués par les caméras de surveillance situées rue Baudricourt.

Pour autant, plus gênant encore, ce sont les échanges de messages Facebook que la journaliste de Libération révèle publiquement. Leila y reprécise ne pas être un « témoin visuel », ce qu’elle répètera, de nouveau, mardi 24 avril à la journaliste de Libération venue à une Assemblée Générale. « La journaliste m’a pressé pour rentrer en contact avec les témoins. Cependant, personnellement et collectivement, nous avions décidé de refuser de répondre pour le moment aux journalistes ». Qu’à cela ne tienne, après avoir rendu public des échanges privés, la journaliste Pauline Moullot, fait malgré tout parler Leïla dans son article !

Échanges Facebook diffusés par Libération

C’est à partir de ces échanges que la journaliste construit son affirmation selon laquelle Leila « avoue avoir menti ». Pourtant, cette « breaking news » vendue comme le scoop du siècle de Libération était…une information connue pour tous ceux qui avaient pu visualiser en intégralité le reportage en direct de Brut sur les événements de l’évacuation, regardé par 131 000 personnes. Leïla y affirme par deux fois qu’elle n’était pas présente sur les lieux, le journaliste le répète par ailleurs à la fin du reportage. Si Libération, son « checkNews » et son armada de journalistes, avaient…recoupé leurs sources, procès fait actuellement aux médias alternatifs, il est évident qu’il s’agissait en réalité d’une non-information. « Manque de rigueur », manque de discernement, fake news, piège, toutes les hypothèses sont à creuser…

L’heure de la cabale

Ce titre incorrect de Libé, la reculade sur toute la ligne de Reporterre – qui fait que l’on viendrait même à se demander s’il y a eu ou non violences à Tolbiac -, il n’en fallait pas moins pour déclencher la communion des médias bien-pensants hurlant au complot gauchiste. Le Journal du Dimanche, Le Monde, 20 minutes, ou encore, pour la palme du « coma imaginaire » de « l’extrême-gauche », Le Figaro s’en sont donnés à cœur joie, tout comme l’extrême-droite du Printemps français pour discréditer la jeune militante, mais surtout avec elle, l’ensemble des étudiants mobilisés contre la loi Vidal. Une belle opération sur laquelle le gouvernement n’a pas craché alors que la sélection à l’université, à une période où la pause universitaire touche à sa fin, est toujours vivement contestée.

L’usage des matraques et des violences, s’il n’est pas prouvé qu’elles aient fait de « blessé grave », ont fait des blessés attestés par des témoins oculaires qui n’ont de toute évidence pas été relevés. Ce qu’un article de « checknews » de Libération, de cette même journaliste de Libération, aura noté... Sans pour autant croiser suffisamment les faits pour faire le « checknews » du communiqué de la préfecture, qui, quant à lui, atteste d’un étudiant évacué pour « douleur au coude » quand les témoignages et les images montrent le cas d’un étudiant inconscient, dans une nasse, et blessé à la cheville.

Quoi qu’il en soit, compte-tenu du contexte actuel de violences policières contre les mobilisations, sur les facs et à Notre-Dame-des-Landes, notamment, et compte-tenu du fait que plusieurs zones d’ombre persistent sur le déroulé et les conséquences de la brutale expulsion de Tolbiac, il y a une semaine, nous continuerons à travailler sur ce dossier, plus encore si des éléments nouveaux venaient à étayer le fait que les violences policières, ce matin-là, ont été d’une gravité particulière.


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