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Asie de l'Est

Tirs de missiles par la Corée du Nord : tensions et militarisation durable en Asie de l’Est

Ces deux derniers jours, la Corée du Nord a à nouveau procédé à des tirs de missiles balistiques, certains ayant atterri sur le territoire sud-coréen et un autre ayant survolé le Japon. Ces essais militaires s’inscrivent dans un contexte de renforcement militaire des États-Unis dans le Pacifique et de concurrence croissante entre les États-Unis et la Chine.

Irène Karalis

3 novembre 2022

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Crédits photo : AFP

Ce mercredi, la Corée du Nord a envoyé 23 missiles depuis ses côtes est et ouest. Selon les autorités sud-coréennes, au moins sept d’entre eux seraient des missiles balistiques. L’un d’entre eux aurait atterri à 103 miles au Nord-Ouest de l’île d’Ulleung. La Corée du Nord aurait également tiré une centaine d’obus d’artillerie et de roquettes dans une « zone tampon » au nord de la frontière maritime orientale. Selon les autorités sud-coréennes, ce serait la première fois que les tirs de missiles nord-coréens franchissent la frontière maritime des deux Corées et le président Yoon Suk Yeol a dénoncé une « violation des eaux territoriales de la Corée du Sud. »

Ce jeudi, trois nouveaux missiles ont été tirés, dont un missile balistique intercontinental qui aurait survolé le Japon et deux missiles balistiques à courte portée. Ces essais font suite à une série d’essais début octobre, quand un missile balistique nord-coréen de portée intermédiaire (IRBM) avait survolé le Japon, mettant fin à cinq ans de relative stabilité dans la péninsule coréenne. Le missile aurait par ailleurs été en capacité d’atteindre Guam, une île située dans la partie Ouest de l’Océan Pacifique appartenant aux États-Unis et que la Corée du Nord avait déjà menacé d’attaquer il y a cinq ans. Les États-Unis ont répondu en tirant quatre missiles au large de la côte est de la péninsule.

Vers une escalade des tensions et de nouveaux essais nucléaires ?

Ces nouveaux essais s’inscrivent dans une longue série d’essais de la part de la Corée du Nord. Rien qu’en 2022, année durant laquelle Pyongyang aurait mené le plus d’essais, 28 tests auraient été menés, marquant la plus forte reprise des tensions militaires depuis 2017. Cette année-là, la Corée du Nord avait testé trois missiles balistiques intercontinentaux et fait un essai nucléaire. Les Nations Unies avaient alors pris des sanctions contre le pays, lui interdisant notamment d’exporter ses principales matières premières comme le charbon, les minerais, les fruits de mer et les textiles, des sanctions très nuisibles pour l’économie nord-coréenne.

Depuis, la Corée du Nord a mené quelques essais militaires sans jamais reprendre les essais nucléaires, sur fond de négociations ratées avec les États-Unis. Aujourd’hui, l’escalade est loin de s’arrêter et de nouveaux essais nucléaires sont potentiellement à envisager. Lee Byong-chul, expert de la Corée du Nord et membre de l’Institut des études sur l’Extrême-Orient à l’université Kyungnam à Séoul, explique ainsi au New York Times : « L’essai nord-coréen d’aujourd’hui était prévisible dans la mesure où il a eu lieu pendant un exercice militaire conjoint entre la Corée du Sud et les États-Unis, mais il était choquant dans la mesure où le missile a volé vers l’île d’Ulleung. La Corée du Nord ne renonce pas à sa confrontation de puissance à puissance et à sa politique de la corde raide avec les États-Unis et la Corée du Sud. Nous allons probablement assister à de nouvelles tensions. »

En pleine guerre en Ukraine, une militarisation croissante et durable dans la région

Cette accentuation des tensions militaires s’explique par l’impasse dans laquelle se trouvent les négociations entre les États-Unis et la Corée du Nord. Depuis 30 ans, les efforts déployés par les États-Unis se concentrent sur le fait de contraindre la Corée du Nord à renoncer à maîtriser les missiles balistiques et l’arme nucléaire, ne lui laissant que deux choix : avoir des relations avec les États-Unis ou s’armer et s’isoler. Or, les seuls moyens d’améliorer les relations entre les deux pays, qui consistent à diminuer la portée des sanctions économiques, sont conditionnés à la volonté des États-Unis de désarmer la Corée du Nord.

En 2019, par exemple, la Corée du Nord avait proposé de démanteler sa plus importante installation nucléaire contre la levée de certaines sanctions ; cette proposition avait été rejetée, les États-Unis souhaitant son désarmement complet. Aujourd’hui, ces relations se sont durcies et en septembre 2022, la Corée du Nord est allée jusqu’à adopter une loi déclarant qu’elle possédait l’arme nucléaire et qu’elle excluait toute négociation sur la dénucléarisation du pays. Pour les États-Unis, de telles déclarations sont inacceptables car elles renvoient l’idée qu’il est possible de les défier et de contourner les décisions de l’ONU et de ladite « communauté internationale ».

La guerre en Ukraine vient accélérer les tensions entre les deux pays. Du côté des États-Unis, le Pacifique est devenu une des régions clés dans leur stratégie d’endiguement de la Chine. D’où les relations étroites que Washington entretient avec la Corée du Sud et le Japon, qui ont tous les deux déjà montré leur disposition à s’allier pour contrer leur voisin (même si avec des contradictions, notamment pour la Corée du Sud). En ce qui concerne la Corée du Sud, l’ancien président Moon Jae-in avait poursuivi les relations avec la Corée du Nord et la politique unilatérale de Trump était un obstacle au rapprochement avec les États-Unis. Mais l’arrivée au pouvoir de Biden et du nouveau président sud-coréen Yoon Suk-yeol a marqué un tournant et permis de solidifier les liens entre les deux pays, renforcer la présence militaire américaine dans le Pacifique et reprendre les hostilités avec la Corée du Nord.

Aujourd’hui, près de 28 000 soldats américains se trouvent ainsi dans la péninsule coréenne — et 57 000 au Japon. Mais la coopération entre la Corée du Sud et les États-Unis est également économique et les États-Unis font tout pour empêcher la Chine de pénétrer dans l’économie sud-coréenne, notamment à travers l’accord de libre-échange KORUS signé il y a dix ans. En juillet dernier, les entreprises sud-coréennes se sont également engagées à investir 22 milliards de dollars dans l’économie américaine autour de secteurs technologiques clés.

Il est clair que les États-Unis cherchent à augmenter la pression contre la Chine par un renforcement de leur présence militaire dans la région ainsi que par la coopération avec le maximum d’alliés dans celle-ci. En témoignent leurs liens avec la Corée du Sud et le Japon, en témoignent également la visite de Nancy Pelosi à Taïwan et les menaces à peine masquées des États-Unis contre la Chine. Du côté de la Chine et la Russie, qui ont toutes deux opposé leur veto à la proposition de résolution du Conseil de sécurité de l’ONU de renforcer les sanctions contre la Corée du Nord en mai dernier, il est clair qu’après avoir été des acteurs essentiels dans les négociations avec la Corée du Nord, elles risquent de ne plus soutenir les États-Unis dans leur volonté de désarmer la Corée du Nord avec le début de la guerre. D’autant plus qu’en ce qui concerne la Russie plus spécifiquement, la Corée du Nord avait été le seul pays à reconnaître les territoires séparatistes de l’Est de l’Ukraine et un des seuls pays à montrer publiquement son soutien à Poutine.

C’est dans ce contexte que des conflits régionaux réapparaissent et s’accentuent, chacun cherchant à tirer son épingle du jeu. Les tirs de missiles de la part de la Corée du Nord interviennent ainsi juste après de nouveaux exercices militaires annuels conjoints entre la Corée du Sud et les États-Unis. Après les exercices « Ulchi Freedom Shield » fin août et les exercices « Hoguk » fin octobre, l’opération d’entraînement « Tempête vigilante » a mobilisé 240 avions et des milliers de militaires des deux pays dans le but de se préparer à l’accentuation des tensions avec la Corée du Nord. Qualifiant ces exercices de « répétition d’invasion », le ministère des affaires étrangères nord-coréen a affirmé : « Si les États-Unis persistent dans leurs graves provocations militaires, la RDPC prendra en compte des mesures de suivi plus puissantes. »

Du côté de la Corée du Nord, il s’agit donc d’empêcher l’alliance entre les États-Unis, la Corée du Sud et le Japon, mais également de profiter de la guerre en Ukraine pour se repositionner sur la scène mondiale et faire valoir ses intérêts en développant ses forces militaires. « Le véritable lien avec l’invasion russe, c’est que la Corée du Nord bénéficie de trois tendances. La première, c’est la banalisation de ses essais balistiques. La deuxième, c’est la distraction à juste titre de la communauté internationale sur l’Ukraine. La troisième, c’est la désunion de cette communauté internationale », explique Antoine Bondaz à Franceinfo. C’est dans ce contexte que les missiles à courte portée sont un atout pour sa stratégie de militarisation, étant plus difficiles à intercepter et pouvant transporter des ogives nucléaires vers le Sud et le Japon. « C’est l’une des principales raisons pour lesquelles la Corée du Nord renforce actuellement ses capacités ; elle doit disposer d’un arsenal important pour pouvoir en négocier une partie. La Corée du Nord veut être reconnue comme une puissance nucléaire, mais certains analystes pensent qu’elle finira par proposer de ne s’armer que d’armes nucléaires à courte portée, qui peuvent encore servir de moyen de dissuasion, mais qu’elle renoncera à ses capacités de missiles à plus longue portée en échange de concessions économiques de la part de Washington », explique Choe Sang-Hun, chef du bureau du Times à Séoul au New York Times.

Partout dans le monde, les tensions militaires s’accentuent. En Asie de l’Est, les tirs de missiles, la remilitarisation du Japon ou encore les exercices près de Taïwan sont tout autant de présages de potentiels conflits dont les populations seront les premières à faire les frais. Seule une issue venant d’en bas, de la classe ouvrière et des classes populaires, pourra offrir une alternative à ces gouvernements réactionnaires et à leur surenchère belliqueuse mortifère. En Corée du Sud, de nombreux Sud-Coréens ont montré leur opposition au rôle croissant de l’armée américaine dans le pays le mois dernier. La classe ouvrière a également déjà montré son potentiel lors de l’immense grève de plus d’un demi-million de travailleurs il y a un an. Au Japon, le réarmement en cours est très impopulaire. Tout autant de signes de colère qui doivent aboutir à une riposte d’ensemble de la classe ouvrière en Asie de l’Est, solidaire de celle des pays voisins.


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