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Une grève exemplaire

Témoignages. Au triage du Bourget, la grève appartient aux grévistes !

Après 60 jour de grève reconductible au triage du Bourget (Drancy), l’heure est venue de faire un point d’étape avec les témoignages de plusieurs cheminots.

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Sur le site de triage du Bourget (Drancy), les cheminots s’organisent, depuis le 5 décembre, pour faire face au projet de réforme des retraites du gouvernement Macron. Cinq d’entre eux, Tony, Fred, Christophe, Mickael et Anasse, partagent avec nous leur expérience.

Mobilisé pour la première fois : « Je me suis dit que cette bataille-là était importante »

Chris (syndiqué à Sud Rail) est un membre du noyau dur du Bourget. En 2018, il s’est mobilisé dans la bataille du rail contre la réforme ferroviaire. Pour lui, l’une des forces du mouvement actuel, c’est le travail de terrain, effectué en amont par les militants : « cette année au Bourget, on a réussi à mobiliser des secteurs historiquement passifs. C’est les tournées effectuées auprès des collègues, les explications sur la réforme qui ont permis de préparer ça. Des gens qui ont un paquet d’années de boîte derrière eux - et qui ne s’étaient jamais mobilisés - ont pris conscience de l’importance de cette bataille et nous ont rejoints.  »

Mickael, justement, fait partie de ces cheminots venant de vivre leurs premières mobilisations : « en 2018, je ne m’étais pas mobilisé. Je suis resté dans mon petit confort. Cette année, il y a eu une lutte dans le secteur du Fret à la suite d’une réorganisation locale. Comme cela me concernait directement, j’ai été y jeter un œil. Fred -qui était aussi dans ce mouvement- a ramené Anasse qui nous a alors expliqué le projet de réforme des retraites. Au Fret, il y a peu de représentants syndicaux. Je n’étais pas bien au courant de l’ampleur du danger que représentait cette réforme. Je me suis dit que cette bataille-là était importante et je suis venu à la première AG du 5 décembre.  »

Pour Tony, c’était aussi une première : « moi, je suis arrivé fin 2015. Quasiment dans la foulée, il y a eu la bataille contre la loi travail à laquelle je n’avais pas participé en tant que jeune embauché. En 2018, c’était la réforme ferroviaire. J’ai dû faire cinq jours de grève mais je ne me suis pas vraiment impliqué. Cette année, j’ai eu un déclic par rapport aux Gilets Jaunes. Je n’avais pas pu y participer comme je travaille trois weekends sur quatre et je ne connaissais personne qui était Gilet Jaune. Mais j’ai suivi le truc et, quand cette année des collègues sont venus me parler de la réforme des retraites, j’ai décidé de les accompagner en AG.  »

Garantir une liberté de parole : « C’est une Assemblée Générale de grévistes avant tout »

C’est d’ailleurs à travers ces Assemblées Générales que la grève a pris une autre dimension selon Chris : « Il y a eu beaucoup de monde qui s’est ajouté au noyau dur habituel et c’est ce qui nous a permis d’être fort localement. Nous, dans nos AG, il n’y a pas de main mise d’un syndicat. Moi, je suis à Sud Rail, mais il y a plein de camarades non syndiqués qui participent. C’est une Assemblée Générale de gréviste avant tout. Le syndicat est mis de côté. Il y a des AG de cheminots où le leader syndical parle et il n’y a pas de prises de paroles à côté ou très peu. Chez nous, ça ne se passe pas comme ça. Ça ne se transforme pas en meeting syndical. La parole est libre pour tout le monde, quelle que soit l’étiquette. C’est ça qui fonctionne bien et qui fait notre force. C’est comme ça que la mobilisation est restée massive sur toute la durée de la reconductible. »

Une liberté dans la parole qui permet à chacun de s’investir et de mieux comprendre les enjeux selon Tony : « le fait de discuter de la réforme à l’AG, ça permet de mieux comprendre la bataille, de pouvoir l’expliquer à des collègues pour les ramener, à leur tour, dans la bataille. Et puis ça permet de maintenir le lien, de garder cette force. Quand, au bout de 25 jours de grève t’es fatigué, t’hésites à reprendre. Tu vas à l’AG, tu vois la détermination des collègues, ça te remotive. »

Et Mickael l’affirme : c’est ce lien, cette solidarité, qui lui a permis de « vivre sa grève ». « J’ai vu qu’il y avait du monde, des gens que je connaissais déjà d’avant - de mon enfance - beaucoup de gens qui viennent des mêmes quartiers que moi et d’autres que je ne connaissais pas. Tout le monde a pu prendre la parole, donner son avis, même si les gens n’étaient pas d’accord entre eux, chaque parole était écoutée. C’était ma première lutte, ma première AG. On m’a encouragé à parler pour vivre ma grève. J’ai pris la parole et plus j’ai pu parler, plus ça m’a donné envie de m’investir. Ensuite, je suis venu à toutes les AG, j’ai peut-être dû en rater une. Si tu ne viens pas à l’AG, qui te renseigne sur l’état du mouvement ? Ta télé ? Tu vas entendre Martinez et Berger qui refusent d’appeler à la grève générale, qui nous disent le 17 décembre de revenir le 9 janvier ? Nous on fait quoi jusque-là ? Ce n’est pas à eux de me dire de reprendre ! C’est pour ça qu’il faut se voir tous les jours en AG, discuter des suites du mouvement. On ne peut pas se permettre de se voir une fois par semaine, il s’en passe des choses en une semaine ! Et puis, tous ensemble, on a créé un vrai groupe, une vraie solidarité, une famille. Moi ça me rappelle la SNCF d’avant. On perd peut-être du salaire, mais ce qu’on gagne à coté, c’est incomparable, Tony, avant la grève on ne se parlait jamais. Aujourd’hui, s’il a un problème, je suis là tout de suite ! Si demain on garde cette solidarité, déjà ici au Bourget, il ne pourra plus rien nous arriver. Le directeur, il va y réfléchir à deux fois avant de proposer un truc ou de mettre en difficulté un collègue.  »

Une caisse de grève d’entrée de jeu : « Ça nous a rendus maîtres de notre grève »

Une autre chose ayant marqué Mickael, c’est la caisse de grève : « Moi, je n’en avais jamais entendu parler. Il y avait des anciens qui ont connu beaucoup de grèves, qui ont l’expérience de la lutte comme Anasse. Ils ont tout de suite vu le truc et, dès le 5 décembre, on avait notre caisse en ligne. Moi au début, je m’en fichais un peu, j’avais un peu d’argent de côté. Je me disais que ça aiderait ceux vraiment dans le besoin. En réalité, je ne savais pas de quoi je parlais… plus de cinquante jours de grève ! J’étais tellement dans le truc que je n’ai pas fait attention. Maintenant je me rends compte à quel point ils avaient eu raison à l’époque ! La détermination, ça ne fait pas tout. Si on ne s’organise pas, on va beaucoup moins loin. Aujourd’hui, beaucoup de gens regrettent de pas avoir fait ces caisses direct. Nous, on a eu la chance d’avoir des gens avec de l’expérience. ».

Même son de cloche pour Fred : « Ça nous donne une certaine autonomie. De la même manière que l’AG nous a donné une autonomie par rapport aux voix des directions syndicales. La caisse nous a permis d’avoir une autonomie par rapport aux décisions. Comme on a de l’argent pour tenir, on n’est pas tenu par les sons de sirène des Martinez, comme la trêve ou la grève perlée. Ça nous a rendus maîtres de notre grève. »

Au-delà même de l’aspect purement financier, Chris met en avant un autre rôle de la caisse de grève : « Quand tu reçois des 600, des 800 euros de dons, accompagnés de messages de soutien, ça te donne la force, t’es obligé de continuer, obligé de te battre. Même en manif : voir quelqu’un mettre un billet dans la caisse de grève et te dire de ne pas lâcher, ça donne une perspective et une solidarité. Et puis, la solidarité : ça se transmet. Quand Hani de la RATP est passé en conseil de discipline et a pris 15 jours de suspension de salaire, nous, on a pu lui filer un coup de pouce financier à notre tour ! »

Coordination RATP-SNCF : « On peut repartir demain en reconductible si d’autres secteurs entrent majoritairement dans la bataille »

Ce lien avec la RATP et les autres secteurs s’est cristallisé dans la Coordination RATP-SNCF, dans laquelle les grévistes du Bourget ont été énormément impliqués. En effet, selon Mickael : « Même si, localement, on est massivement en grève au Bourget, ça ne suffit pas pour gagner. On ne peut pas faire reculer le gouvernement tout seul. On gagne en se coordonnant avec d’autres secteurs, avec d’autres AG. C’est pour ça qu’on a fait la coordination : pour décider de la grève tous ensemble, si on reconduit, si on organise des actions… C’est la base qui s’approprie sa grève. Ça permet aussi de se rassurer, de voir que les autres sont aussi sur le retrait, de voir que, la détermination, elle est partout. Ça brise le corporatisme et ça donne de la force : on voit qu’on n’est pas tout seul. Si chacun fait grève de son côté, que personne ne vient aux AG, que personne ne se parle : on aurait été forts les premières semaines et ça se serait terminé très vite. »

L’importance de porter une direction alternative aux directions syndicales et aussi partagé par Chris, : « La coordination, c’est une organisation de la base des grévistes. C’est des gens qui arrivent à passer outre leurs étiquettes et leurs casquettes syndicales. Bien sûr, il y a des secteurs qui restent dans leur coin. Mais j’espère qu’ils nous rejoindront. Quand on voit que les bureaucraties syndicales ne donnent aucune perspective, la coordination est ultra importante pour pouvoir avoir un vrai plan de bataille qui nous permette de gagner. Cette coordination, elle a pu faire ce travail-là. Une grève c’est important qu’elle vive. S’il n’y a pas d’actions, pas de manifs : les gens désertent le mouvement. Aujourd’hui, elle est encore active et elle permet d’essayer d’élargir la grève, de travailler avec d’autres secteurs comme l’énergie, les profs, les étudiants et de briser les barrières du corporatisme. On a vu qu’on ne pourrait pas gagner avec juste la RATP SNCF. C’est en étant uni les uns avec les autres qu’il y a une perspective de victoire. Il faut que la grève se généralise. Mais il se passe énormément de choses dans le pays. Nous, on peut repartir demain en reconductible si d’autres secteurs entrent majoritairement dans la bataille. On peut dire que c’est un peu tard, que les autres sont en retard, mais absolument pas. Ce n’est pas parce que certains ne rejoignent pas le mouvement que, maintenant, il faut leur cracher dessus. Ce n’est jamais trop tard. Il faut y aller ensemble, massivement. La grève n’est pas terminée, je crois vraiment qu’on peut gagner. »

Nous avons demandé à Anasse Kazib sa vision sur son secteur et ce qui a amené des choix différents dans cette lutte : « À la différence de la grève de 2018 ou nous étions quotidiennement sur l’AG interservice de Paris Nord, nous avons fait le choix de construire un bastion de la grève sur le Bourget. Nous avons appris des erreurs de 2018, c’est qu’il ne faut jamais déserter le secteur dont on est attaché, car derrière c’est plus difficile. Le principe même d’une AG c’est de pouvoir y exprimer ses doutes, sa vision, pouvoir être force de proposition. Les gens n’osent pas trop intervenir dans des AG ou ils ne connaissent pas les collègues, souvent car ils sont impressionnés par le monde ou par des militants expérimentés et il n’y a rien de pire que d’avoir un gréviste qui n’a pas d’espace pour réellement s’exprimer sans se sentir en décalage avec l’ambiance. Le fait d’avoir une AG locale facilite cela, mais surtout l’envie de s’investir plus dans la lutte et pas juste d’être spectateur. Malheureusement dans encore beaucoup de secteurs il n’y a pas d’AG ni de piquet, mais sans cadre d’auto-organisation, tu ne peux rien faire. » Il nous raconte également sa fierté de voir le saut qu’on fait ses camarades entre le 5 Décembre et aujourd’hui « Le Bourget c’est ma deuxième famille, je suis extrêmement fier de voir que le travail que nous faisons depuis longtemps paye et que demain ce que nous avions commencé à quelques un, sera poursuivi par des dizaines. Le travail le plus dur je pense c’était de convaincre les camarades qu’on peut avoir été passif dans une lutte et puis devenir un vrai militant de la grève comme Mickael ou Tony. Souvent les gens sont pris par un effet volontariste, pensant qu’on entre dans une grève de manière spontanée un matin, et c’est tout un défi de faire comprendre que c’est le travail et les militants de terrain qui joue se rôle. Bien sûr il y’a des gens qui respirent la lutte et d’autres avec qu’il faut être patient et ne jamais les lâcher. Je suis convaincu que demain d’autres nous rejoindront. C’est le principal conseil que je veux dire aux grévistes pour qui c’est la première lutte, il ne faut jamais désespérer ni croire que ceux qui ne sont pas là aujourd’hui ne pourront pas être la demain, comme m’a dit un camarade « La patience est révolutionnaire ».  »

Même si le Bourget n’impacte pas le service voyageur, la grève sur ce secteur a eu un impact important sur le fret ferroviaire : « souvent on s’intéresse qu’à la conduite, pourtant dans notre secteur pas un train n’est sorti pendant presque 20 jours, c’est plus difficile de motiver des salariés de plus en plus isolés, qui voit la casse du Fret, l’avenir sombre, avec de plus en plus d’intérimaires. Il a fallu un travail dur pour motiver des aiguilleurs et des agents du fret, souvent seul en poste. Quand tu vas dans une unité de tractionnaire, dans la journée tu peux croiser 40 50 conducteurs. Chez nous tu croises très peu de monde, tout le monde travail quasiment seul ou en binôme. C’est difficile quand tu n’es pas aidé par l’effet de groupe. Les gens se parlent par radio ou téléphone depuis des années sans réellement discuter ensemble. Cette grève aura cassé justement l’individualisme, ils sont entrés en grève en tant que collègues, aujourd’hui ce sont des frères et des sœurs de lutte. C’est la plus belle victoire aujourd’hui, de casser le cloisonnement d’années de réorganisation et de management anxiogène ».

Enfin nous voulions en savoir plus sur la caisse de grève du Bourget que beaucoup de grévistes revendiquent : « Nous avions avec ma camarade Laura, l’expérience de caisse de grève dans le passé, ou nous avions lancé avec les grévistes de ONET en 2017 une caisse qui a atteint 80000€ pour 84 grévistes en lutte pendant 45jours. Nous avons toujours su que la caisse de grève, n’est ni une caisse de charité, ni pour payer les merguez, la caisse de grève je dis c’est l’arme du gréviste, comme un militaire n’irait pas à la guerre sans son fusil, un gréviste ne peut pas imaginer lutter en reconductible sans penser à ce qui risque de l’arrêter à savoir l’argent. Nous avons milité dès le départ la caisse, mais nous avons également utilisé cette caisse pour donner l’exemple à d’autres secteurs comme à la RATP ou il n’y a pas d’expérience là-dessus. Aujourd’hui les camarades de la RATP revendiquent le Bourget en disant « Ils nous avaient prévenus de faire une caisse dès le début ». C’est une fierté que des grévistes cites en exemple le Bourget, en disant « La prochaine fois on fera comme le Bourget dès le départ on mettra en place une caisse » Nous n’avons pourtant rien inventé, mais simplement montrer la nécessité de s’auto-organiser et de ne pas banaliser, les choses qui paraissent inutiles au début, mais qui après 3 semaines de grève sont centrales. L’argent ne fait pas tout, mais on ne tient pas une grève de 50 jours en vivant d’amour et d’eau fraiche comme dit l’expression. Nous avons récolté plus de 80000€ une partie compense les pertes de la grève, nous arrivons a remboursé plus de 30€ par jour de grève et nous allons laisser une partie pour continuer à alimenter la caisse si nous devons repartir je l’espère demain en reconductible pour en finir avec cette réforme  ».


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