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Témoignage : "Dans le travail social, le bâteau coule déjà depuis longtemps"

Nous relayons le témoignage d'une stagiaire dans une MEC (Maison d'éducation à Caractère Social) qui explique les difficultés auxquelles font face les travailleurs sociaux et la réalité de leur tâche en période de confinement. Entre le manque de personnels et de moyens, les risques sanitaires, elle relate la manière dont la crise des services sociaux est rendue visible par celle du Coronavirus.

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Crédits photo : Apprentis d’Auteuil

En stage depuis près de deux mois dans un foyer, je tenais à livrer un témoignage sur ce que confinement signifie quand on est un enfant placé, et quand on travaille dans une institution de la protection de l’enfance comme celle-ci.

Je travaille dans une MECS (Maison d’Enfant à Caractère Social), dans laquelle les enfants VIVENT. Nous venons tous les jours et sur des roulements qui tournent qui vont de 7 à 22h nous occuper des enfants avant qu’un ou une veilleuse de nuit ne prenne le relai la nuit. Le foyer accueille une trentaine d’enfants, de 2 à 14 ans. Sur le groupe sur lequel j’interviens, ils ont entre 7 et 9ans. Certain.es sont scolarisé.es la journée en IME (Institut Médico-Educatif, lié à de la déficience), d’autres en internat la semaine en ITEP, lié à des ’troubles du comportement’, d’autres en classe ULIS, et d’autre en école « normale ».

Lundi dernier, M. Macron a annoncé la fermeture de toutes les écoles, alors les 9 enfants (là où normalement, nous n’avons que de la place pour 8), sont là en permanence au foyer. Nous essayons tant bien que mal de nous tenir à faire travailler les jeunes tous les matins : mais nous ne sommes au mieux que 2 pour faire travailler des enfants avec des niveaux très disparates, demandant tous.tes un accompagnement individuel, donc cet accompagnement reste très limité malgré nos efforts pour maintenir une organisation et un rythme scolaire convenable. Mais nous ne sommes pas formé.es à ça. Sachant qu’il faut dans le même temps gérer les autres enfants qui ne sont pas en train de travailler. Les problèmes de violence et d’attouchements, les angoisses et les autres maladies.

Les enfants ne comprennent pas bien ce qui se passe, pour eux, rien ne change vraiment, mis à part qu’ils et elles n’ont plus école. Personne ne vient avec des masques, on leur demande seulement de se laver plus souvent les mains. Mais les mesures sanitaires quand on a 3 ans, qu’on a une chambre partagée, tout le monde comprendra qu’elles ne sont pas applicables. Qu’on ne peut pas se passer d’aller border des enfants pour les coucher, de les porter pour les plus jeunes et de continuer de leur apporter ce qu’ils ont besoin.

Désormais, depuis maintenant deux jours, nous sommes passés au stade du confinement. Les éducateur·ices, peuvent circuler avec un passe-droit fourni par l’association et continuer d’intervenir auprès des enfants. Toutes les visites/sorties/jugements des enfants ont naturellement été annulés. Nous devons maintenant annoncer aux enfants, qui ne voient déjà que très peu leur famille, que désormais, et pour une durée indéterminée, ils ne verront plus leur famille. Nous savons pertinemment que cela signifie des crises pour évacuer ces frustrations et incompréhensions, et c’est bien normal. Nous savons pertinemment que c’est contre nous qu’elles se tourneront et qu’il faudra les gérer tout en protégeant le reste du groupe. Qu’il nous faudra intervenir physiquement pour les contenir, les enfermer pour les calmer. Toujours, en étant, au maximum seulement deux adultes.

Pour le moment, nous essayons d’expliquer au mieux aux enfants ce que cela peut signifier, la solidarité dont on va devoir faire preuve tous et toutes ensemble, et la majorité d’entre elles.eux comprennent ce que cela signifie, et comprennent le travail en plus qui nous est demandé.

Je comptais déjà faire un texte témoignant des conditions de travail en MECS tout en parlant de la beauté de ce métier. Les mesures exceptionnelles que nous vivons m’ont donné envie de témoigner dès maintenant, afin d’ouvrir une toute petit fenêtre sur le quotidien de ces enfants, et de leurs accompagnant·es.

Et je n’ai même pas envie de le tourner en pamphlet politique, histoire d’expliquer comment cette histoire témoigne en écriture rouge du manque de fonds et de considération dans les métiers du social. Je me dis que ces quelques indications parlent d’elles même. Sur le fait qu’on compte autant sur les stagiaires payées au lance-pierre - et sans aucun diplôme pour ma part - que sur les éducs en poste. Qu’on se retrouve à gérer des situations, qui nous dépassent, mais dont la responsabilité pèse sur nous, car nous sommes en première ligne, et que nous sommes ceux et celles qui y sont confronté.es. Qu’on manque tellement de personnel, qu’on oblige des éducs à venir travailler, quand bien même leur enfant est une personne à risque face au coronavirus. Quand bien même au fond, la vie de leur proche soit mise en danger par leur présence au travail.

Et si j’écris tout ça, c’est parce que je témoigne de mon admiration envers les travailleur.ses sociaux, parce qu’au milieu de ces galères, c’est en tant qu’équipe qu’on essaie de sauver le bateau qui coule, qu’on se propose de s’héberger les un.es les autres, qu’on donne notre temps, notre corps, notre énergie à ceux et celles qui sont déjà bien bousillé.es par la vie, ceux et celles qu’on oublie depuis longtemps et que certainement, on continuera d’oublier, et d’enfermer. Parce que dans nos galères, ce sont les enfants qui en patissent mais qui commencent à comprendre qu’on est dans le même bateau, qui comprennent bien nos conditions d’exercice et qui savent parfois le reconnaître.

A l’heure où j’écris, j’apprends qu’un des enfants a de la fièvre. En venant travailler, on savait bien tous·tes pertinemment le risque inévitable qu’on courait à attraper le virus. Mais alors dites-moi, qui va s’occuper des enfants ? Je n’ai pas peur pour ma santé, je suis jeune et je ne suis pas à risque. Certains des enfants ont des problèmes respiratoires, et je m’inquiète bien plus pour eux. Alors affaire à suivre, et enseignements qui en découlent également. Et autant dire, qu’il nous est impossible d’isoler un enfant malade : simplement, nous n’avons pas la place, sachant qu’ils et elles sont déjà en surnombre.

Pensée aux travailleur·ses sociaux, aux aides soignantes en EHPAD, aux médecins de ville, aux étudiant·es et aux jeunes retraité·es appelé·es pour être au front à l’hôpital. Pensée aux prisonnier·es pour qui le parloir a été supprimé, aux sans-abris, aux sans-papiers dans des camps ou dans des CRA, et à tous les oublié·es. Peut être que cette crise sanitaire permettra de mettre en lumière le bateau qui coule déjà depuis des décennies.


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