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Interdiction des licenciements

Témoignage. « C’est comme ça chez Daher, ils gouvernent et divisent par la peur »

Un ouvrier intérimaire chez Daher, sous-traitant automobile pour Renault Flins, témoigne des conditions de travail et de sécurité dans son usine. Une situation qui, même en temps normal, montre que pour Daher les profits passent avant la vie des ouvriers.

Joachim Bertin

22 avril 2020

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Révolution Permanente : Suite à plusieurs témoignages que nous avons relayés sur Daher, tu as souhaité témoigner des conditions de travail dans ta boîte. Tout d’abord, peux-tu te présenter et nous dire où en est la situation aujourd’hui vis-à-vis de l’épidémie de coronavirus ?

A : Je suis ouvrier en intérim chez Daher, sous-traitant automobile de Renault Flins dans les Yvelines (78). On est sur le site de Flins, et avec la situation de crise sanitaire, la boîte a fermé. Pas par volonté de Daher mais parce que Renault a cessé son activité. Dans notre entreprise, à la production on est ultra-majoritairement en intérim, avec des conditions de travail très dures et une direction qui n’hésite pas à jeter les intérimaires donc il y a beaucoup de roulement. Concernant les CDI, il y en a quelques-uns à la production, des caristes ou pour des postes parfois un peu plus faciles, sinon le reste c’est à l’étage dans les bureaux. Ce sont des intérimaires qui font tourner cette usine et aujourd’hui on se retrouve sans nouvelles de la boîte, nos contrats sont suspendus.

Révolution Permanente : Il y a deux semaines on publiait sur Révolution Permanente un article sur un plan de licenciements qui se prépare dans l’ensemble du groupe [qui regroupe des activités dans l’aéronautique, l’automobile et le nucléaire notamment] concernant plus de 3000 personnes, dont la moitié en intérim. Ce plan semble viser particulièrement l’aéro dont les activités n’ont pas été arrêtées pendant la crise sanitaire. Quelle a été votre réaction face à cette annonce ?

A : En vrai, j’ai pas les mots.. Pour moi ça confirme bien la mentalité de l’entreprise. Tu bosses à fond pour eux et du jour au lendemain ils te jettent. Chez nous c’est courant. On s’est retrouvé dans des situations où des gars sont venus badger à 5 heures le matin, avec leur badge qui ne marche pas. Quand ils ont appelé le chef d’équipe, on leur a rétorqué : « Ah on t’a pas prévenu, t’es en fin de mission, reviens plus travailler ».

Chez nous tout le monde a été choqué par cette annonce, en plus on l’a pas appris par la direction. Quand on sait des choses, on l’apprend par la presse ou à travers un collègue muté dans une autre boîte du groupe qui nous informe. A Flins ça résonne d’autant plus qu’on a beaucoup d’incertitudes parce que Daher n’aurait pas renouvelé son contrat et que nos postes partent petit à petit chez Renault. On entend même parler que le bâtiment où on bosse serait rasé d’ici quelques mois. En même temps faut voir l’état, quand il y a des intempéries importantes, à l’intérieur c’est les chutes du Niagara, il y a de l’eau sur le sol c’est dangereux. Mais encore une fois, toutes ces infos, on les a par des gars qu’on connaît chez Renault, nous on sait rien. A chaque fois les chefs nous disent « Comment tu sais ça ? Où t’as entendu ça ? » et puis souvent ça se réalise derrière. Là le confinement a un peu stoppé cette dynamique. Mais ces derniers temps on voit pas mal de postes partir, du jour au lendemain. Les chefs ils savent des mois à l’avance quel poste va fermer. Un jour on peut être 20 à un endroit, le lendemain 18, une semaine après 15. Et tout cela sans être informé. C’est comme ça chez Daher.

Révolution Permanente : Avant la fermeture suite au confinement, des mesures ont-elles été mises en place pour la sécurité des ouvriers face au coronavirus ?

A. : La sécurité chez Daher c’est quelque chose ! Il faut savoir qu’on travaille à des postes très difficiles. On doit manutentionner des pièces très lourdes, des jantes, des pare-brises... Les postes sont pas aux normes de sécurité, on n’a pas de matériel ! C’est un combat pour avoir des gants qui soient adaptés à notre taille ou des cutters dont on a besoin pour notre travail.. Alors avoir du gel hydro-alcoolique j’imagine même pas ! Les gars aux jantes, qui est un des postes les plus durs physiquement, n’ont pas le matériel adéquat. Ils finissent par avoir des cloques et des coupures partout sur les mains. Pareil pour les pare-brises, pour les lunettes arrière.

Pour les panneaux de porte, les gars sont obligés de passer sur la route, et de slalomer entre les Fenwicks (ce qui est interdit mais pas le choix, le travail est disposé comme ça). Combien de fois on entend des freinages d’urgence, des klaxons. Et un gars qui se ferait percuter par un engin...

Ça c’est le quotidien, il y a parfois des accidents bien plus graves. Par exemple on a un collègue qui avait un Fenwick défectueux, ça faisait des semaines qu’on disait à la direction qu’il accélérait tout seul. Un jour le Fenwick a foncé dans un mur, mon collègue a pris une poutre, s’est retrouvé bloqué dans le Fenwick, on l’entendait pleurer de douleur le temps que les pompiers arrivent, c’était incroyable. Un gars bon bosseur qui finit le dos ruiné, en compote. Aujourd’hui il peut plus bosser comme avant, il a même du mal à jouer avec ses enfants parce que Daher n’a pas voulu assurer la sécurité.

Aux trains-arrière y a un palan qui traverse le poste. Il est défectueux, y a des fils qui dépassent de partout. Résultat, il y a plusieurs mois un collègue a pris le jus. On a également eu un Fenwick qui a brûlé. L’usine était pleine de fumées toxiques et il n’y a aucune aération, pas de fenêtre, ça nous a pris les poumons, ça piquait les yeux donc on a voulu sortir. On nous a répondu : « La production d’abord. Renault ils attendent pas, ils tournent ». Je raconte tout ça parce que ça montre bien la logique de l’entreprise. On nous répète tout le temps qu’un arrêt de la chaîne d’une minute c’est 1000 euros. Donc voilà c’est ça Daher. Ils s’en foutent des salariés, ce qui compte c’est leur profit, leurs intérêts.

De plus, il est évidemment pas question de déclarer un accident de travail. Accident de travail pour un intérimaire ça veut dire fin de mission, y a pas de discussion. Un an de loyaux services à porter des jantes de trente kilos tous les jours, peu importe. On se tue au travail, franchement, ils m’ont tué physiquement. Les blessures c’est courant et si on se met en arrêt maladie, les frais c’est pour nous. L’autre fois, un collègue est tombé car les roues de son chariot s’étaient bloquées. Il s’est blessé à la tête. A l’hôpital il avait encore ses chaussures de sécurité mais il a encore dû batailler deux semaines pour obtenir un accident de travail. J’ai jamais vu une boîte comme ça.

Révolution Permanente : On sait que le recours à la sous-traitance permet de faire baisser beaucoup les coûts de production en rognant sur la sécurité, tu l’as bien montré, mais aussi sur les salaires ça se passe comment chez vous ?

A : Pour moi ce sont des voleurs dans cette boîte. Ils nous prennent des heures de partout. Ils nous font même travailler sur les deux pauses que nous avons dans la journée, une de dix minutes, l’autre de douze ! Normalement on bosse du lundi au vendredi, mais ça arrive que Renault bosse le samedi quand y a plus de demande. Dans ces cas-là les ouvriers de Renault sont prévenus à l’avance, parfois ça se fait sur la base du volontariat. Chez nous, on l’apprend la veille. Et y a pas de discussion, tu viens sinon tu sais que le lundi ton badge ne marche plus.

Et à la fin du mois, c’est tout un combat pour retrouver ce samedi sur la fiche de paye. On est en 2x8, on fait 5h-13h et 13h-21h, et certains jours ils te disent une fois sur place que tu vas devoir faire deux heures de plus. Et là encore, pas question de refuser, c’est un ordre. Pour ceux qui peuvent pas rester quand il faut tirer jusqu’à 23h, parce qu’ils ont des enfants ou font du covoiturage à prendre, c’est fin de mission direct. Alors que ces heures sup’ se retrouvent évidemment pas toutes sur la fiche de paye. En plus Daher te descend toujours auprès de ta boîte d’interim : il faut bien justifier pourquoi ils te virent !

A propos des salaires, chez nous ils sont bas par rapport à d’autres boîtes. Les primes elles sont ridicules. On nous a proposé une prime de performance : s’il y avait pas d’arrêt de chaîne pendant trois mois, on aurait... 60 euros ! Et à côté de ça t’as des samedis pas payés, ce qui peut représenter des journées à 100 euros. Mais à la fin du mois 1400 ou 1200 ça fait la différence. Y a un gros problème avec les heures, la pointeuse elle déconne complet à l’entrée donc y a pas un calcul très précis. Et quand tu viens le 12 du mois (jour de paye pour les intérims) pour réclamer ton dû qui manque sur la fiche de paye, ils font semblant de pas se souvenir quel samedi c’était : « Ah bon, c’était quand ? » ! Alors qu’il y a des milliers de personnes, tout le site de Flins, qui a bossé ce samedi. Ils se souviennent d’un arrêt de chaîne d’une minute mais pas d’une journée de travail quand il s’agit de te payer ! La direction fait semblant que c’est une erreur humaine. Quand t’es intérimaire il faut se battre pour tout. A la fin, ils essayent tellement de gratter partout que quand t’as 5 heures de tes 15 heures sup’ de payées, t’es déjà content...

A un moment, on avait une bonne équipe qui tournait bien. On s’est motivé, on a tout donné, on avait des bons liens, de la solidarité entre nous. En évitant les arrêts de chaîne, on a contribué à stabiliser la production, nous les intérimaires, c’est nous qui faisons tourner l’usine. La direction nous a félicité, les CDI ont eu une grosse prime, pour nous tout a continué comme avant. Heures sup’ pas payées, des gars qui se font virer du jour au lendemain, les liens de solidarité qui se cassent... C’est ça la réalité dans la boîte.

Révolution Permanente : Comment ça se passe dans ces cas-là, il y a un syndicat ?

Chez nous ils servent à rien, ils sont avec le patron, je crois que c’est la CFDT. Une fois quand j’ai demandé à un syndiqué pourquoi il nous aidait pas, ils nous a en gros expliqué qu’il ne voulait pas de problème avec le patron.

Du coup on doit se battre. Même si quand tu relèves la tête, ils te pourrissent auprès de ta boîte d’interim, on ne s’est pas résigné concernant le fait qu’on ne soit pas payé. Pour ça qu’ils nous en ont mis plein la gueule : des pressions psychologiques tous les jours. Ils mettent les gens sur deux voire trois postes ! En plus à mesure que la fermeture de la boîte se précise, la charge de travail s’intensifie. On est sur plusieurs postes à la fois. C’est aussi un moyen de pression de la direction, tu cours partout, c’est dangereux, tu dois tenir la cadence. La direction nous répond que « les postes sont gérables ». Quand on est absent pour maladie ou quoique ce soit, c’est les chefs qui nous remplacent et ils sont pas capables de tenir, ils doivent se mettre à plusieurs pour faire ce qu’on fait seul tous les jours !

C’est vraiment dur chez nous. Il y a des intérimaires qui tiennent même pas une journée, ils passent les tests, ils commencent à bosser et ils appellent leur agence pour arrêter la mission. L’usine ça fait péter des plombs. A la fin de la journée nos têtes elles changent. T’as des gars qui arrivent chez nous, ils sont costauds et, au fur et à mesure des mois, tu les vois maigrir, ils perdent leur sourire. On a un collègue, en CDI en plus qui a développé une forme grave de diabète et il continue à bosser dur. C’est arrivé qu’il tombe devant nous, quand il fait des crises d’hypoglycémie, c’est des salariés qui viennent l’aider. La direction l’a mis en horaires aménagés, il est en CDI ils ne peuvent pas le virer, mais du coup il touche une paye de misère, moins de 1000 euros par mois et ils l’utilisent au max. Et faut voir comment les chefs lui parlent, ils le méprisent vraiment et ça fait mal au cœur de voir ça. C’est comme ça qu’ils font avec les salariés. Pourtant ceux qui restent ici, faut vraiment être accroché ou avoir vraiment besoin. Et on en a souvent besoin effectivement donc ils savent que tu vas tout endurer pour rester et qu’ils peuvent te traiter comme de la merde.

Aussi, Daher embauche beaucoup de gens qui parlent mal français. Ils ne comprennent pas ce que va leur dire les chef mais sont obligés d’obéir. Daher profite d’eux pour mal les payer. Tous les intérimaires étaient ensemble pour faire valoir les droits de tout le monde, c’est dégueulasse comment Daher veut nous diviser. Et quand ils la ramènent trop pour des heures pas payés ou autre, les chefs descendent des bureaux et les engueulent à plusieurs... Il n’y a aucun respect pour l’homme. C’est comme ça chez Daher, ils gouvernent et nous divisent par la peur. Déjà que les collègues avaient peur de perdre leur boulot avant la crise, maintenant ils ont encore plus peur. Parce que si c’est le cas, comment va-t-on faire pour nourrir notre famille ? Comment payer les activités aux enfants, ou même juste de leur faire plaisir de temps en temps avec un petit Mcdo ou quoique ce soit d’autre ?

Révolution Permanente : Comment se profile l’après-confinement et comment la production va reprendre ?

On sait maintenant que la direction veut rouvrir le 29 avril, alors que Macron a annoncé le déconfinement partiel seulement pour le 11 mai. Sur le site de Flins il y a des gens qui viennent d’un peu partout. Évidemment il y a des ouvriers qui sont de Seine-Saint-Denis qui est un des départements les plus touchés par le virus. Si y a pas de tests, comment ils vont faire pour savoir si un ouvrier qui a pas de symptômes a le virus ou pas. Prendre la température ça sert à rien si on n’a pas de symptômes. Pour Renault peut-être qu’ils auront de quoi mettre des mesures en place mais chez nous c’est impossible, même les distances d’écart entre les gens on ne peut pas les respecter avec notre travail, et encore moins si on doit respecter le rythme de la chaîne. Déjà en temps normal, les toilettes sont sales, y a pas de savon, alors là je sais pas ce qu’ils vont réussir à faire.

Sinon on est assez inquiets parce que nos postes sont en train de partir vers Renault, on a même formé ceux qui vont nous remplacer... Le confinement a été une période sursis mais à la reprise ils vont utiliser les intérimaires jusqu’au bout. Les ouvriers de Renault accepteraient jamais de travailler dans nos conditions, même les contrôleurs de Renault nous disent que c’est n’importe quoi. Mais bon les contrôleurs préviennent avant de passer. Si l’Inspection du travail faisait une visite surprise, Daher serait foutu ! Maintenant que les postes vont devenir moins durs parce que la production de la Nissan va s’arrêter, il y aura plus qu’un modèle, la Zoé plus qu’une référence à gérer, Renault peut réintégrer les postes. C’est toujours comme ça quand un poste devient plus facile Renault le reprend. Daher veut passer plus qu’en logistique et garder quelques dizaines de postes de caristes.

Avec la crise mondiale qui arrive, ce sont les ouvriers qui vont encore relever l’économie et qui vont payer la crise. Par exemple, pour terminer l’activité, ils nous ont mis un nouveau directeur, pire qu’un militaire ! Il sert pas la main aux ouvriers ! Je pense qu’à la reprise ils vont nous pousser à travailler très dur mais pas hésiter à nous jeter quand ils auront plus besoin. Pour Daher on est des jouets, ils jouent et quand ils ont bien joué, ils nous jettent.

Quand on commence le matin à 5h y a pas tous les chefs, ils viennent plus tard. Pendant quelques heures on a un peu de répit, un peu de liberté avant que ça devienne la prison comme disent les collègues. Ça tombe d’un coup, le malaise, quand la direction arrive, ça se sent. Mais encore une fois c’est pas eux qui font tourner l’usine ou l’économie, peut-être qu’à la fin on va devoir se gérer tout seul !


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