Qui paie la crise écologique ?

Taxe carbone et "fiscalité verte", refusons de payer pour la crise du système

Léo Valadim

Taxe carbone et "fiscalité verte", refusons de payer pour la crise du système

Léo Valadim

Les Gilets jaunes, mobilisés contre la taxe carbone, ont soulevé fin 2018 une question brûlante : qui doit payer la crise climatique ? Alors que plusieurs ailes libérales du mouvement écolo revendiquent la mise en place ou l’augmentation d’impôts « verts » sur la consommation, il nous semble important de revenir sur ces questions.

Crédits photo : Clément Mahoudeau. AFP

Difficile aujourd’hui de ne pas dresser le constat suivant : les grands trusts capitalistes et la sphère financière de l’économie donnent au système et à ses crises un caractère toujours plus convulsif et imprévisible. Depuis plusieurs années, des mécanismes de marché sont mis en place par les États dans l’objectif prétendu d’enrayer le réchauffement climatique. Ces tentatives d’« internaliser » les conséquences environnementales dans le système des prix est au mieux totalement utopiste, au pire criminelle, cherchant à vernir de vert un système capitaliste par essence productiviste et destructeur de la planète. En effet, non seulement le niveau d’incertitude est trop grand et la crise trop complexe pour pouvoir par exemple donner un « prix » à la pollution, mais ces politiques se heurtent à des obstacles qui sont de plus grande importance encore.

Dans son livre L’impossible capitalisme vert, Daniel Tanuro explique à juste titre que « dans ce système basé sur la concurrence pour le profit, chaque propriétaire privé des moyens de production est contraint de chercher en permanence à réduire ses coûts, notamment en remplaçant les travailleurs par des machines qui augmentent la productivité du travail. Cette contrainte est absolument impérative : celui qui voudrait s’y soustraire serait immédiatement condamné à la mort économique. Le capitalisme est donc par essence productiviste. Il produit toujours plus de marchandises, ce qui implique de s’approprier et de piller toujours plus de ressources naturelles, d’exploiter toujours plus la force de travail (soit directement dans la production, soit indirectement dans les services et la reproduction de la force), et de détruire toujours plus les savoirs et les logiques alternatifs à sa propre “logique” boulimique ». Nous pourrions ajouter que cette logique oblige aussi les entreprises capitalistes à vendre des produits dont l’obsolescence est programmée, faute de quoi le marché mondial se saturerait très rapidement, condamnant toute possibilité de profits.

Mais aussi, l’énergie renouvelable étant beaucoup plus chère que l’énergie fossile (notamment car les multinationales énergétiques consacrent des efforts colossaux pour en freiner le développement, que très peu d’argent est investi dans la recherche les concernant, et qu’elle nécessiterait des investissements pour la développer), toute entreprise capitaliste, branche d’industrie ou économie nationale se passant du pétrole serait condamnée à la « mort économique ». C’est à partir de ce constat que se sont développées les théories visant à « internaliser » les coûts de la pollution et de la destruction de l’environnement, leur donnant un prix afin de par exemple contraindre les entreprises à privilégier les énergies renouvelables par les « lois du marché ». C’est notamment cette perspective qui a motivé la mise en place de la « taxe carbone », visant à augmenter le prix du CO2 pour pousser à en limiter la production. Loin d’être motivée par un « altruisme » du gouvernement Hollande qui l’a inaugurée en 2014, elle a vite démontré son hypocrisie quand en 2016 il a été décidé d’en allouer les recettes au CICE (3 milliards d’euros sur 3,8 milliards de recette cette année-là). Mais qu’est-ce que le CICE ? Une subvention destinée aux entreprises qui font leur beurre sur le dos de l’environnement et de l’exploitation des salariés (parmi les entreprises bénéficiaires, on retrouve notamment le géant pétrolier Total et Carrefour qui possède des intérêts évidents dans le secteur de l’agro-business et dont les actionnaires ont financé la campagne de Bolsonaro au Brésil).

Pollution : des taxes pour les pauvres, carte blanche pour les grands patrons

Suite au mouvement des Gilets jaunes, les recettes ne sont plus allouées au CICE et l’augmentation de la taxe a temporairement été suspendue. Le gouvernement français cherche aujourd’hui à la réinstaurer de manière plus « acceptable » pour la population. Mais outre la répartition pour le moins aberrante des recettes en 2016, qui en dit long sur le caractère de cette mesure fiscale, il est important de noter que de nombreux secteurs économiques très polluants en sont exonérés. Selon le dernier rapport de la Cour Des Comptes sur la fiscalité environnementale : « Les entreprises sont responsables de 61 % des émissions nationales de gaz à effet de serre mais n’acquittent que 36 % du produit de la fiscalité carbone ». Dans ce même rapport on apprend que « Selon l’Ademe, seuls 8 % des émissions de gaz à effet de serre de l’industrie sont soumises à la composante carbone de la fiscalité sur les énergies fossiles : 88 % des émissions sont exonérées en raison de la soumission au SEQE. ». Qu’est-ce que la SEQE ? Un dispositif européen où les grandes entreprises s’échangent des « droits à polluer », supposé encourager ces grandes industries à se passer des énergies fossiles. Sur ce « marché », le prix de la tonne de CO2 est de 20€, tandis qu’à la pompe il est de 44€ pour la population. Autrement dit : les multinationales qui sont directement responsables de la grande majorité des émissions de gaz à effet de serre (rappelons que 100 entreprises sont responsables d’environ 70 % des émissions), sans compter tous les autres déchets, payent deux fois moins que les consommateurs individuels.
Si ces chiffres peuvent choquer, ils traduisent une contradiction profonde du capitalisme. En effet, alors que le système économique est en crise, que l’on s’attend à une récession d’ampleur et que la guerre commerciale s’intensifie, comment contraindre les capitalistes de prendre à leur charge les coûts de la pollution ? Soumis à une concurrence internationale de plus en plus féroce, les géants de l’industrie et des services mondiaux qui appartiennent à quelques dizaines de personnes ont déjà fait la démonstration qu’ils ne comptaient pas payer pour la crise écologique, et qu’ils seraient prêts à aller jusqu’au bout dans le pillage de la planète pour garantir leurs profits, utilisant tous les procédés possibles d’exploitation, peu importe les dégâts. C’est ce que traduit aussi, parmi des centaines d’autres exemples, le fait qu’Exxon Mobil ait tenté de camoufler des études qui montraient le lien entre ses activités pétrolières et la hausse des températures terrestres, ou encore le fait que Total, empêché d’exploiter le gaz de schiste en France, soit d’autant plus à l’offensive pour l’exploiter à l’étranger (notamment en Algérie, pays aux structures semi-coloniales). C’est en ce sens que la « crise écologique », qui s’exprime aussi avec le plus de violence dans les pays dominés par les pays impérialistes, est intrinsèquement liée à la crise du système capitaliste, qui pousse les trusts à employer des méthodes toujours plus barbares pour maintenir leurs taux de profit face à une concurrence qui s’exacerbe de jour en jour.

Qui va payer la facture de la crise écologique ?

En réalité, toutes les mesures fiscales prétendument « écologiques » se répercutent directement sur prix à la consommation et donc sur l’ensemble de la population, entraînant une diminution du niveau de vie, sans pour l’instant aucune démonstration significative de changements dans les procédés de production ou dans la baisse de consommation de pétrole.
D’après la Cours des comptes le 18 septembre 2019 : « Le Conseil des Prélèvements Obligatoires a testé deux trajectoires à l’horizon 2030, l’une modérée (100 €/tCO2 d’ici 2030), l’autre plus ambitieuse (317 €/tCO2 d’ici 2030), permettant d’accentuer la baisse tendancielle des émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990, sans toutefois pouvoir atteindre l’objectif de -40 % fixé dans la loi ». Aujourd’hui, la tonne de carbone est payée 44€ par les consommateurs, ce qui représente déjà 60 centimes par litre de gazole. En clair, les augmentations proposées par la Cour des comptes entraîneraient une augmentation énorme du coût de la vie, et risqueraient d’engendrer d’importantes mobilisations légitimes des travailleurs et des classes populaires refusant de payer pour une crise climatique dont ils ne sont pas responsables et dont ils sont les premiers à faire les frais. Les Gilets jaunes en ont fait la puissante démonstration, les augmentations du prix du carburant imposées par le gouvernement sont inacceptables pour celles et ceux qui sont déjà écrasés par l’austérité, les bas salaires, et en grande difficulté pour vivre de leurs maigres revenus. Outre le fait que l’efficacité de ces mesures « de marché » est totalement incertaine, elles sont aussi insuffisantes pour mettre fin au réchauffement climatique. Surtout, elles se dirigent aujourd’hui clairement contre les exploités, et leur application suppose un écrasement répressif sans pitié des résistances populaires, qui même en cas de succès entraîneraient une baisse brutale de la consommation du fait de l’augmentation des prix, et donc un approfondissement de la crise du système capitaliste. Ainsi, les mobilisations de cette année ont mis sur la table de manière brûlante la question dont il faudra que l’ensemble de la jeunesse, des classes populaires et du monde du travail s’emparent dans les prochains mois et années : « qui va payer la facture de la crise écologique ? ».

Pour vaincre, le mouvement pour le climat doit rejeter en bloc toutes les mesures qui visent à faire payer aux exploités et aux classes populaires les désastres climatiques. C’est la première des conditions pour pouvoir réaliser une alliance absolument nécessaire entre les travailleurs et les mouvements de jeunesse pour le climat qui secouent de nombreux pays du monde depuis plusieurs mois. Aucun compromis ne pourra être trouvé avec les multinationales et les gouvernements qu’elles dirigent. Pour mettre fin au péril qui pèse sur l’humanité, c’est à ceux qui possèdent tout et mènent jusqu’à aujourd’hui la barque de payer. Il faut mettre à bas ce système qui ne pourra jamais se passer de l’exploitation des travailleurs et de la nature pour le profit de quelques-uns.

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