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Mars 2011-mars 2016, triste anniversaire

Syrie. Cinq ans après le début de l’insurrection, la spirale infernale de la barbarie

Dans le sillage des soulèvements en Tunisie et en Egypte qui avaient mis fin à des dictatures qui semblaient indéboulonnables, la Syrie de Bachar al Assad n’avait pu se tenir à l’écart de la lame de fond des « Printemps arabes ». Cinq ans après, le régime baathiste semble être en passe de reprendre la main, soutenu par ses alliés russes et iraniens, mais pas seulement. Les ennemis d’hier (et amis d’avant-hier) pourraient redevenir, demain, des soutiens de poids. Entre-temps, des espoirs révolutionnaires évanouis et sans doute plus de 250.000 morts, des millions de déplacés et autant de réfugiés. Si cette situation n’était pas inéluctable, est-elle condamnée à perdurer ? Ciro Tappeste

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Après de premiers appels à manifester qui sont lancés dès le 4 février 2011, le mouvement ne démarre véritablement que le 15 mars, date anniversaire du début des manifestations quotidiennes qui vont secouer Deraa, cette grosse ville du Sud du pays : le régime y a fait arrêter des enfants, coupables d’avoir écrits des slogans hostiles au régime sur les murs. Ils sont jetés en prison et torturés. En réponse, la population descend massivement dans la rue et le mouvement se propage au reste du pays. Du régime à la rhétorique nationaliste arabe, laïque et « socialisante » arrivé au pouvoir en 1963 il ne reste plus que le fils de l’ancien dictateur et son train de réformes néolibérales qui ont profondément modifier la physionomie du pays, enrichi la clique de politiciens et de militaires proches de la présidence. Trop c’est trop. A l’occasion des « Printemps arabes », la population syrienne réclame elle aussi « la chute du régime ».

Il s’agit d’une dictature, certes, mais, avant 2011, les occidentaux savaient s’en accommoder. Il n’y a pas si longtemps, avant d’être voué aux gémonies, Bachar el Assad était reçu à l’Elysée et invité aux cérémonies du 14 juillet par un certain Nicolas Sarkozy. Dès que la phase la plus populaire du processus de contestation s’est effritée et que c’est une guerre civile sur des lignes religieuses qui a commencé à se dessiner, les alliés ou soutiens d’hier se sont empressés de se retourner contre Damas pour chercher dans « l’opposition modérée » un pendant aux forces islamistes soutenues par les puissances régionales, Arabie Saoudite, Turquie et pétro-monarchies en tête, aspirant à renforcer leur rôle d’intermédiaire entre les occidentaux et la région. Mais même cette phase-là semble, aujourd’hui, dépassée, si l’on en croit le discours désormais plus conciliateur des chancelleries occidentales, à commencer par celui du Quai d’Orsay.

Dans un premier temps, en effet, entre mars et l’été 2011, les événements ont pris une tournure toute particulière dans le pays.Jouant d’entrée sur une faiblesse en termes de participation du monde du travail (à la différence de ce qui avait pu se passer en Tunisie et en Egypte), seul secteur à même de souder dans une perspective transversale, au-delà des différences confessionnelles, l’opposition au régime, al Assad réussit à balayer le front contestataire de la jeunesse et des quartiers des grandes villes qui s’opposaient à lui en le fragmentant sur des lignes ethnico-religieuses. Dans une région où la question communautaire, largement accentuée en phase de crise, est systématiquement instrumentalisée par les pouvoirs en place et les puissances extérieures, al Assad a réussi à dicter progressivement les termes du conflit en optant pour la stratégie du chaos et en faisant le choix de la guerre civile ouverte sur des bases ethnico-confessionnelles, la seule façon pour lui de se maintenir au pouvoir y compris face aux différentes fractions de la bourgeoisie et des puissances régionales.

Pour ce faire, le régime n’a pas hésité à jouer de concert sur plusieurs plans. La confessionnalisation du conflit est devenu la pierre angulaire de la politique de al Assad, lui permettant ainsi de se présenter tout à la fois auprès de ses soutiens régionaux (Téhéran en tête) comme le défenseur des minorités (à commencer par les alaouites), mais également comme la continuité de l’Etat laïque syrien contre la dérive islamiste de la majeur partie de l’opposition, largement alimenté par le chaos en cours dans l’Irak voisin et la libération par Damas de ses opposants islamistes, longtemps incarcérés en masse dans les prisons du régime. Au Nord, pour contenir la pression d’Ankara, soutien de l’opposition, le régime de al Assad s’est également retiré du Kurdistan et l’a laissé aux mains du PYD, branche syrienne du Parti des Travailleurs du Kurdistan.

C’est sur ce choix de confessionalisation d’un conflit qui, à l’origine, est un conflit ouvert entre les classes populaires et un régime corrompu et autoritaire, que le Liban a connu, entre le milieu des années 1970 et les accords de Taëf, en 1989, une sanglante guerre civile qui est devenu le théâtre plus large d’un conflit par procuration entre puissances régionales et impérialistes. C’est le pari qu’a fait Bachar al Assad, lui dont le père avait joué un rôle central pour décapiter, il y a quarante ans déjà, la gauche radicale et le mouvement populaire libanais et palestinien. Le conflit syrien a emprunté le même chemin avec plusieurs variations, mais le coup de maître du régime de Damas a été de se présenter, en dernière instance, comme le seul rempart contre la créature tout à la fois du chaos provoqué par l’intervention anglo-américaine en Irak en 2003et l’involution actuelle des « Printemps arabes », à savoir Daech.

Dans le cadre des négociations de « paix » actuelles qui font suite à plusieurs tentatives infructueuses à Genève, Damas se retrouve aujourd’hui dans le camp de ce large arc de forces qui bombarde, avec une efficacité toute relative et sans se soucier des dommages collatéraux, l’Etat Islamique, à savoir du côté de ses alliés russes et iraniens, bien entendu, mais également du côté des impérialistes occidentaux et, aujourd’hui, de Riyad et de ses acolytes. Pris entre ces deux feux, la population syrienne est la victime numéro un de cette double barbarie, avec ses centaines de milliers de morts depuis 2011, ses millions de déplacés, ses millions de réfugiés dont plusieurs dizaines de milliers sont prêts à risquer leur vie pour rentrer dans « l’Europe forteresse ».

Ce qui subsiste de l’opposition populaire, tout autant contraire au régime qu’à Daech, aura-t-elle suffisamment de force pour créer les conditions d’une nouvelle phase sociale du processus, comme le soutiennent certains à l’extrême gauche ? Est-ce que le PYD saura déjouer le piège de sa propre instrumentalisation, par les forces impérialistes qui voudrait lui faire jouer le rôle d’infanterie au sol au nom de promesses que les occidentaux n’ont jamais tenus vis-à-vis de la question nationale kurde ? Une chose est sûre, pour les classes populaires et la jeunesse de Syrie comme de la région, prises en étau entre des régimes corrompus et autoritaires et des islamistes réactionnaires qui se présentent parfois comme une alternative, il n’y a aucun avenir du côté d’une intensification de l’intervention occidentale ou du « processus de paix syrien » sous l’égide de l’ONUqui ne sont que les deux faces d’une même politique visant, en dernière instance, à briser les reins de ce qui subsiste des « Printemps arabes » au profit de diverses modalités de contre-révolution.


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