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Lutte contre l’homophobie

Suicide de Lucas. Face au harcèlement homophobe, les travailleurs de l’éducation doivent s’organiser

Le 7 janvier dernier, Lucas, collégien dans les Vosges, se suicidait après avoir été victime de harcèlement homophobe. Si Pap Ndiaye, ministre de l’éducation promet d’agir sur les LGBTI-phobies, la précarisation de l’Education publique promet de nouveaux drames et la perpétuation des violences.

Benoit Barnett

8 février 2023

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[Crédits photo : O Phil Des Contrastes]

A un mois du suicide du jeune Lucas en raison du harcèlement homophobe qu’il subissait dans son collège et que lui et sa mère avaient déjà dénoncé, celle-ci s’est exprimée lors d’une conférence de presse donnée à Epinal. Elle désigne le harcèlement homophobe comme « élément déclencheur » dans le passage à l’acte de son fils. 

Dans cette affaire, la responsabilité pénale retombe sur 4 jeunes qui ont participé au harcèlement de Lucas et qui doivent porter maintenant le poids de l’inaction de l’administration déjà mise au fait des violences que subissait Lucas depuis le début de l’année. Ces jeunes seront jugés au printemps à huis clos devant la juge des enfants et bénéficieront de l’« excuse de minorité » face aux peines encourues qui s’élèvent normalement à 10 ans de prison et 150 000 euros d’amendes. Il s’agit d’une peine répressive pour pallier des actions qui auraient pu être prises bien en amont par l’administration déjà alertée.

Si la mère de Lucas ne peut pas s’empêcher d’en vouloir aux adolescents responsables du harcèlement, elle souhaite tout de même que ces jeunes participent à des interventions de sensibilisation dans des établissements scolaires et témoignent des actions qu’ils ont commises. Elle a appelé à ne pas « nourrir la haine » et a rappelé l’inaction du corps enseignant qui aurait « dû faire plus ». 

Un avis que partage l’association SOS Homophobie qui a réagi sur son compte twitter : « Le suicide de Lucas est tragique. La lutte contre le harcèlement scolaire doit être urgemment renforcée. Qu’un établissement agrée par @éducation_gouv ne réagisse pas à de nombreux signalement est alarmant ». En effet, le collège de Lucas est engagé dans le dispositif pHARe censé lutter contre le harcèlement. Ce programme mis en place par Jean-Michel Blanquer donnait d’ « excellents résultats » selon le ministre de l’Education, Pap Ndiaye. 

Dans un entretien pour le site Têtu, Pap Ndiaye déclarait vouloir « être le ministre qui fera franchir une étape décisive dans la prise en compte des personnes LGBT+. C’est pour cela que j’ai décidé de généraliser dans toutes les académies des observatoires des LGBTphobies ». Une campagne de sensibilisation devrait être en préparation selon Pap Ndiaye, mais qui sera aussi efficace que les autres puisquelle est prévue sans augmentation de moyens, de création de postes ni même de proposition de programme complet au service de l’éducation sexuelle et affective des écoliers, collégiens et lycéens. 

Non, Pap Ndiaye, ce ne sont pas quelques individus qui sont responsables de l’homophobie mais bien le gouvernement !

Concernant ces « excellents résultats » du dispositif pHARe lancé en 2020, le rapport SOS Homophobie, de cette année s’oppose aux déclarations plus qu’optimistes de Pap Ndiaye. Sur l’ensemble des signalements reçus par l’association, 9% de ceux relevant de lesbophobie (haine des lesbiennes) ont lieu dans le cadre scolaire. Pour la gayphobie (haine des hommes gays), 4% des signalements concernent le cadre scolaire. Pour les personnes trans, les cas de transphobie signalés s’élèvent à 8% dans le milieu scolaire. Les violences LGBTI-phobes sont un fait commun dans la vie des jeunes en France.

Pour le Huffington Post, Olivier Raluy, secrétaire national pour les CPE du SNES-FSU, juge que le dispositif pHARe qui n’est « pas à la hauteur ». « Souvent, c’est de l’autoformation à travers des visios et des vidéos, un peu comme des mooks, explique Olivier Raluy. Ce sont des modules préparés par le Ministère, qui ne sont pas mal faits, mais qui ne sont pas au niveau de l’ambition qu’on aurait pu espérer sur ce sujet.  » De son côté, la sociologue Johanna Dagorn, membre de l’Observatoire International de la violence scolaire déclare : «  Il n’y a aucun travail de fond, de ce que me disent les équipes, c’est assez sommaire. » 

Pour Olivier Raluy, « le problème est le manque de moyens » et ce depuis la première législation en matière de gestion des oppressions et de la sexualité dans le cadre scolaire. En 2001, il y a plus de 20 ans, était mis en place l’obligation de tenir des cours sur la sexualité de la primaire au lycée à raison de trois séances par an. En 2022, quelques mois avant la tenue d’un colloque sur le « wokisme » par le gouvernement et des groupes transphobes, Jean-Michel Blanquer sortait une circulaire qui se donnait pour but de « lutter contre les discriminations ». Au final celle-ci n’a fait que mettre de côté toutes les recommandations de militants LGBTI pour inféoder la procédure de changement de prénom des élèves trans à l’accord de leurs deux parents. Cette décision passe consciemment au-dessus des violences transphobes qui existent dans les familles et permet de les perpétuer à l’école.

Concrètement, si une formation d’une semaine concernant les questions d’identité de genre et d’orientation sexuelle est proposée aux enseignants, la participation se fait sur la base du volontariat. « Elle est insuffisamment suivie, par moins de 5% des professeurs » témoigne un enseignant en SVT pour BFM.

Ces mesures sont largement cosmétiques vis-à-vis des problèmes que rencontrent les écoliers, les collégiens et les lycéens. Si comme le prétend Pap Ndiaye, « la lutte contre le harcèlement scolaire et contre l’homophobie doit être une priorité du gouvernement », les déclarations sont très loin de la réalité. L’année dernière encore, dans une période électorale marquée par les offensives de l’extrême-droite, Emmanuel Macron déclarait ne pas être favorable à ce que l’école aborde ces questions.

Nous devons nous organiser pour plus de moyens pour une éducation sexuelle et affective intégrale

Il est courant de devoir gérer des problèmes de harcèlement allant de l’insulte aux violences dans nos classes et dans les cours de récréation. Un AED témoignait ainsi dans nos colonnes : « Dans mon lycée, aucun dispositif de ce type n’est en place à ma connaissance. En cas de besoin, notamment sur demande des enseignants et selon des critères variables, c’est l’infirmière qui doit intervenir. Et, jusqu’à il y a peu, il n’y avait qu’une seule infirmière... pour plus de 1000 élèves. Se pose donc en fond la question des moyens : des embauches, des formations et des augmentations de salaires pour les personnels d’éducation qui, de fait, se confrontent à l’oppression au quotidien. »

Le suicide de Lucas et son traitement politique démontre encore une fois qu’en tant que personnels de l’éducation nationale, nous ne devons avoir aucune confiance dans l’Etat et ses institutions. Elles-mêmes sont actuellement sur le pied de guerre pour mettre au pas la jeunesse et les travailleurs qui se mobilisent pour leur retraite et pour leur avenir. Face aux oppressions que subissent les jeunes écoliers, collégiens et lycéens, nous ne pouvons pas attendre que la solution aux problèmes de harcèlement et de violence vienne d’une énième circulaire ou campagne de sensibilisation. Ce qui se passe à l’intérieur de nos établissements n’est d’ailleurs que le reflet des oppressions et de la violence sociale de l’ensemble de la société, qu’il faut changer de fond en comble.

Nous sommes sur le terrain tous les jours, au contact des jeunes et connaissons les problématiques qu’ils rencontrent. Le gouvernement participe à la perpétuation du sexisme, des LGBTIphobies et du racisme au sein de nos établissements. Nous devons nous organiser par nous-même pour arracher des moyens et des embauches au statut pour mettre en place un vrai programme d’éducation sexuelle intégrale qui répondent aux problématiques que rencontrent les jeunes. Cela, nous ne pourrons l’imposer qu’en construisant un rapport de force en alliance avec l’ensemble du monde du travail.


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