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Soudan. Les militaires sont-ils vraiment en train de reculer ?

Après les pressions de la part des puissances extérieures et des grandes mobilisations, le général Abdel Al-Burhan annonce la libération des ministres arrêtés et la création imminente d’un nouveau gouvernement… qui servirait ses intérêts. Mais les soudanais ne sont pas dupes et appellent à de nouvelles journées de grève.

Lucia Nedme

5 novembre 2021

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Crédits photo :Ashraf Shazly/AFP

Dix jours après la dissolution du gouvernement de transition par les militaires, résultant dans l’arrestation de nombreuses figures politiques, le devenu “homme fort” du pays, le général Abdel Al-Burhan recule et annonce jeudi soir la libération des quatre ministres ainsi que la formation imminente d’un nouveau gouvernement.

En effet, ce changement de paradigme intervient après un appel effectué par le Secrétaire Général des Nations Unies Antonio Guterres à Burhan où il l’aurait poussé, selon un porte-parole de l’ONU, “à libérer Hamdok [premier ministre du gouvernement de transition] et les autres civils détenus arbitrairement au Soudan”. Une demande qui serait allée plus loin, parce que selon l’ONU, Guterres aurait également demandé de créer un gouvernement le plus vite possible afin de régler la crise déclenchée dans le pays.

Mais alors que l’ONU se félicite d’être arrivée à établir des négociations avec Burhan, ce recul partiel est loin d’être expliqué par un simple appel de la part du secrétaire général. Selon un article de Aljazeera, l’annonce de jeudi soir arrive après que “l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, qui entretiennent des liens étroits avec l’armée soudanaise au pouvoir, aient revu leur position à l’égard du coup d’État militaire en se joignant à l’appel lancé par les États-Unis et le Royaume-Uni en faveur du rétablissement du cabinet civil”. Ce changement de position des militaires, viendrait de leurs intérêts à maintenir les liens avec l’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis, et ils ont dû montrer une certaine ouverture aux négociations “pour rétablir la paix” et régler cette crise en proclamant la libération des ministres et la promesse d’un nouveau gouvernement.

Un nouveau gouvernement est en ligne de mire… mais lequel ?

Depuis le début de la dissolution du gouvernement de transition, les militaires avaient prévu d’établir un nouveau gouvernement et non pas une dictature, cette pression reçue par l’extérieur n’a fait qu’accélérer le processus. Comme le disait, Theodore Murphy, directeur du programme Afrique au Conseil européen des relations étrangères : « le message que l’armée veut transmettre au public est qu’il ne s’agit pas d’un coup d’État, mais plutôt d’une correction de la transition du Soudan vers la démocratie (…) Leur objectif est de remplacer certains politiciens civils qui, selon eux, mettaient le pays en danger et fomentaient des dissensions au sein de l’armée ».

Alors que Al-Burhan annonçait déjà sa volonté de former un nouveau gouvernement de technocrates avec éventuellement l’ancien premier ministre du gouvernement de transition - Hamdok, actuellement en prison domiciliaire - selon des diplomates, “une proposition en cours de discussion prévoit de donner plus de pouvoirs à Hamdok, mais avec un nouveau cabinet plus acceptable pour l’armée”.

L’armée ne semblait chercher ainsi qu’un gouvernement qui soit en façade démocratique mais qui serve les intérêts des militaires, comme on le citait déjà dans nos colonnes : "Alex de Waal, spécialiste du Soudan, déclarait à DW que « ce que les militaires aimeraient probablement faire, c’est placer [le premier ministre technocrate] Hamdok à un poste où il reste en fonction, mais où ils tirent les ficelles ». "

Le recul (partiel) de Al-Burhan : une tentative de calmer les mobilisations ?

Alors que Al-Burhan cherche également à régler la crise sociale - et de calmer les mobilisations massives - en montrant cette volonté de “rétablir la démocratie”, en reculant sur son aspect plus répressif libérant les prisonniers politiques, ceci est loin encore d’être le cas. En effet, des membres de l’Association des Professionnels Soudanais (APS), principale organisation regroupant plusieurs secteurs de la classe ouvrière du pays entrée dans la bataille contre le coup d’Etat militaire, appellent déjà à des grèves générales ce dimanche et lundi. Les manifestants, organisés dans des Comités de résistance des quartiers, exigent que les militaires se retirent complétement du gouvernement.

Ainsi, les grandes mobilisations qui prennent place actuellement au Soudan montrent que la classe ouvrière, les femmes et la jeunesse ne font pas confiance aux militaires qui feraient semblant de vouloir rétablir une supposée démocratie pour servir leurs intérêts. Mais ce phénomène montre également que les Etats impérialistes sont prêts à négocier avec les militaires afin d’établir un gouvernement « démocratique » de façade pour maintenir une certaine stabilité, comme ils avaient fait en 2019, en créant un gouvernement de transition avec les militaires et en établissant en parallèle des mesures austéritaires en accord avec le FMI, en laissant près de 10 millions de personnes en situation d’insécurité alimentaire.

C’est seulement à travers l’auto-organisation de la classe ouvrière qu’une voix alternative pourra être entendue, et pourra par la suite établir un véritable rapport de force pour défendre ses propres revendications politiques et sociales ainsi que celle de tous les secteurs opprimés du pays comme les femmes et les minorités ethniques du pays.


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