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Alors que les élections approchent

Sortir ou non de l’euro ? Discussion avec l’économiste grec Costas Lapavitsas

Un large spectre qui va des « prix Nobel » en économie Krugman et Stiglitz jusqu’à des membres d’Unité Populaire défend, de manière plus ou moins décidée, qu’il est nécessaire que la Grèce sorte de la zone euro. « Sortir de l’Euro », c’est d’ailleurs le titre d’un article de l’économiste grec d’origine marxiste et membre d’Unité Populaire Costas Lapavitsas, pubié en juillet dans Le Monde Diplomatique. Nous rendons compte ici des principaux concepts utilisés par l’auteur et approfondissons la discussion, déjà initiée.

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Paula Bach

Lapavitsas signale à juste titre que sous les diktats allemands « le futur de la Grèce s’annonce obscur […] Le chômage se maintiendra probablement très haut sans que l’on puisse imaginer un changement de dynamique dans l’évolution des revenus, qui ont déjà chuté de plus de 30% dans de larges secteurs de la société. De cette façon, une population déjà âgée, accablée par la dette, verra ses jeunes –et particulièrement les mieux formés- prendre le chemin de l’exil. Il est facile d’imaginer la situation de fragilité géopolitique dans laquelle un tel scénario plongerait le pays : Athènes serait rapidement reléguée à l’insignifiance historique. » En opposition, l’auteur suggère que la sortie de l’Eurozone « n’aurait rien d’une fête. Mais l’histoire et la théorie monétaire permette de tracer les grandes lignes d’une stratégie. » Voyons cela.

Lapavitsas suggère qu’Athènes devrait suspendre son appartenance à l’Euro sans invalider son adhésion à l’Union Européenne. La Grèce devrait interrompre le paiement de sa dette publique extérieure envers le FMI et la BCE, mais pourrait continuer à honorer les paiements de ses créanciers privés. Il faudrait ensuite appeler à une conférence internationale pour obtenir une restructuration de sa dette. Le gouvernement pourrait ainsi payer l’ensemble de ses actifs domestiques. Le pays reprendrait le contrôle de sa Banque Centrale qui quitterait l’Eurosystème, mais pas le Système Européen des Banques Centrales (SEBC, regroupant les banques centrales de l’UE, dont l’Eurosystème donc). Le système bancaire serait nationalisé et de nouveaux établissements sains surgiraient. On établirait un contrôle des changes et des transactions bancaires. Les dépôts –tout comme les prêts selon la loi grecque- seraient convertis dans une nouvelle drachme au taux de 1 pour 1. A partir de là, Lapavitsas prévient : la nouvelle drachme se dévaluera probablement beaucoup durant les premières semaines, avant de se stabiliser après plusieurs mois autour d’une réduction de 10 à 20% de sa valeur initiale, pendant que l’inflation ne devrait pas, ou pas trop, augmenter. La satisfaction des besoins des couches les plus vulnérables de la société en produits de base s’élève alors au rang de priorité.

Un minimum de préparation devrait suffire pour éviter de recourir aux tickets de rationnement. Personne ne nie qu’une sortie de l’Euro et un défaut de paiement auront un coup social élevé (plus élevé ?), mais il s’agit d’une épreuve temporaire. Assurément, poursuit l’auteur, la période d’ajustement de quelques mois (plus d’ajustement ?) fera que l’économie entre en récession (plus de récession ?). Mais ensuite… La Grèce peut espérer une récupération de la croissance. Le pays serait en condition d’opérer un déplacement des services vers l’industrie et l’agriculture, et de relancer l’investissement public et soutenir l’investissement privé. Lapavitsas continue en disant que le coût actuel de l’austérité retombe en grande partie sur les salariés, les retraités, les pauvres et les classes moyennes basses. Un gouvernement de gauche profiterait d’une sortie de l’Euro pour transférer cette charge sur les épaules des plus favorisés et transformer la relation de forces dans le pays. Sans doute, cet épisode réduira le pouvoir d’achat de la population, à travers l’augmentation du prix des importations. Mais elle baisserait aussi la valeur réelle des crédits immobiliers et autres prêts. La réactivation de l’activité économique à la suite de la commotion initiale, favoriserait les travailleurs en protégeant les emplois et en facilitant l’augmentation des salaires, ce qui permettrait la redistribution du revenu national. Le continent s’asphyxie et doit retrouver des forces. La Grèce a souvent joué un rôle historique disproportionné par rapport à sa taille, et on dirait bien que se présente une nouvelle opportunité… Nous sommes d’accord avec cette dernière affirmation, bien qu’en des termes différents.{{}}

Entre la corde et la chaise électrique

Premièrement, comme nous l’avons déjà pointé, même techniquement, ce plan a des probabilités très limitées de succès étant donnée la situation économique mondiale actuelle, la faiblesse de l’Europe, la position géostratégique compliquée de la Grèce et les caractéristiques particulières de son économie. Mais laissons de côté ces considérations et supposons faisable la stratégie de Lapavitsas pour aller au cœur du sujet.

Lapvitsas reconnait – un peu à reculons et comme effet non désiré – que, alors même que ces dernières années le revenu de larges franges de la société a baissé de plus de 30%, la dévaluation reviendrait à baisser encore plus le pouvoir d’achat de ces mêmes secteurs. Mais en réalité, ceci n’est pas un « dommage collatéral » mais l’aspect central recherché par la dévaluation, destiné à augmenter la « compétitivité » externe d’une économie capitaliste. Il résulte d’une dévaluation une augmentation égale du prix des produits importés, et donc réduit les salaires et revenus des secteurs les plus pauvres. Plus une économie dépend des importations –et celle de Grèce en dépend beaucoup – et plus fort est l’effet de l’augmentation des prix des importations sur les prix internes. La récession à laquelle Lapavitsas fait allusion est la conséquence de ce processus, dans la mesure où, nécessairement, la dévaluation implique une chute du volume des importations. Normalement, ce processus récessif permet d’améliorer les comptes externes d’un pays en produisant une augmentation relative des exportations, permettant d’augmenter l’excédent commercial. En même temps, cela augmente le chômage et dégrade les salaires de ceux qui conservent un emploi. A son tour, l’inflation –qui selon Lapavitsas devrait être modérée – augmenterait fortement étant donné que les capitalistes chercheraient à répercuter sur les prix finaux leurs marges, réduites par le coût de l’import plus élevé, comme nous l’avons vu.

En conclusion, récession et inflation alimentent à leur tour la baisse réelle des salaires et dans l’équation finale, le processus finit par profiter aux profits des entreprises. De telle sorte qu’une dévaluation de la drachme, qu’avec un regard complaisant Lapavitsas estime au maximum à 20%, se traduirait selon certains analystes par une chute des revenus d’au minimum 30%. Si nous ajoutons une chute de cette ampleur à celle qui a déjà touché de nombreux secteurs, on obtient une diminution d’environ 50%.

Lapavitsas ajoute alors qu’en parallèle aurait lieu une réduction des crédits immobiliers et autres prêts en drachme. A dire vrai, cette réduction n’est rien d’autre que ce que Keynes appelait une « illusion monétaire ». La valeur réelle des dettes internes se réduirait nécessairement par la baisse du drachme, mais pour la même raison, comme nous l’avons signalé, les revenus aussi. De telle sorte que pour les travailleurs, il s’agirait de dettes réduites proportionnellement à des salaires et revenus réduits, ce qui, selon la dynamique spécifique du processus, donnerait en termes réels des dettes identiques aux actuelles. Au contraire, ceux qui pourront bénéficier des baisses de la valeur réelle des dettes seront les magnats du capital, favorisés par les baisses de salaire et le gain de « compétitivité ». D’autre part, la plus grande partie de la dette publique grecque, qui approche des 247 milliards d’euros (177% du PIB), n’est pas due au FMI ou à la BCE (dont les créances additionnées atteignent 39,5 milliards, et dont Lapavitsas propose d’annuler les créances), mais aux pays européens qui, à travers leurs « sauvetages », ont absorbé la majeure partie des dettes dans leurs banques privées respectives.

La dévaluation de la drachme se traduirait immédiatement par une augmentation de la valeur de la dette nationale en euro que finiraient probablement par payer les salariés et secteurs populaires via une augmentation d’impôts ou une réduction des dépenses de l’Etat. Mais après tout cela, nous dit Lapavitsas, dans un futur incertain, vient la reprise. Si nous acceptions – bien qu’en y croyant très peu, pour être honnête – la possibilité d’un développement et d’une telle conclusion sans « sursaut » d’une situation si complexe, on peut effectivement dire qu’après la catastrophe initiale et quelques catastrophes « additionnelles » (par la dévaluation), on devrait arriver à un certain type de reprise économique. En dernière instance, c’est ainsi que fonctionne le capitalisme : durant les crises, la destruction prépare les bases pour l’investissement du capital, et donc pour la reconstruction. Dans ce cas, au cours de la reprise, les travailleurs et classes populaires devront batailler pour récupérer la valeur perdue de leur revenu, et quand ils s’approcheront d’une telle réparation de ces pertes, la « compétitivité » du capital sera de nouveau menacée, ce qui préparera assurément la crise suivante qui exigera de nouvelles baisses de salaires. C’est une histoire connue. Alors, comme par retour de balancier, le capital perd les avantages pour son accumulation élargie. En conséquence, il exige une nouvelle destruction. Pensée en ces termes, aucune sortie n’est possible pour le prolétariat, qui alterne misère et petites améliorations économiques. Mais il ne s’agit pas d’une discussion technique sur le meilleur plan économique. Choisir entre rester dans l’Euro ou une sortie à la Lapavitsas, c’est comme choisir entre la corde et la chaise électrique. Il s’agit d’une discussion politique qui implique évidemment une critique de l’économie du capital.

Le rôle de la mobilisation dans l’économie

Pourquoi ne pourrait-on penser le futur de l’économie grecque que dans les termes des intérêts du capital ? Pourquoi ne pourrait-on pas réfléchir –à l’inverse de la démarche de Lapavitsas – à ce que les revenus des travailleurs et secteurs les plus pauvres ne diminuent ni en terme réel ni nominal, mais qu’ils s’élèvent à un niveau élémentaire, couvrant les besoins d’une famille ? Pourquoi ne pas interdire tout licenciement et exiger un travail pour tous ceux qui sont disponibles ? On nous dira que si on exige par exemple la répartition des heures de travail et un salaire couvrant les besoins familiaux, les entreprises fermeront, vu la réduction des bénéfices. Mais les entreprises, les ports et les chantiers sont aussi des entités qui existent indépendamment de leurs propriétaires.

Dans la mesure où les grands capitalistes grecs et étrangers s’y opposeront – et ils le feront – pourquoi ne pas exproprier leurs biens et actifs comme par exemple ceux de l’industrie navale ? Pourquoi ne pas nationaliser, sans indemnité ni rachat, les entreprises privées comme par exemple la compagnie téléphonique OTE, actuellement dans les mains du capital allemand ? A vrai dire, et étant donnés les liens entre les banques et les grands capitalistes de l’industrie, du commerce et des services, il est impensable et utopique de nationaliser les premières –comme le propose Lapavitsas – sans nationaliser les secondes.

Et on ne peut prétendre nationaliser les banques sans toucher à la propriété du grand capital. Cette même nationalisation et création d’une banque unique permettrait non seulement de centraliser la désastreuse comptabilité nationale, mais aussi d’ordonner les recettes, imposant par exemple un impôt progressif aux grandes fortunes, en connaissant les véritables mouvements grâce à l’élimination du secret commercial. Cela rendrait aussi possible l’octroi de crédits pas cher aux petits paysans et propriétaires, importants pour rallier un secteur de la petite bourgeoisie.

Évidemment, ces mesures doivent se penser comme partie d’un plan global qui inclut la rupture de toute négociation avec la Troïka, l’arrêt du paiement de la dette, la nationalisation du commerce extérieur, entre autres… Mais la clef est qu’un plan de ce type ne doit pas être considéré comme un « plan économique alternatif », mais comme une question de classes. Il s’agit avant tout de mettre en mouvement la classe ouvrière et les secteurs pauvres de la société en fonction de leurs propres intérêts. Il s’agit d’une stratégie totalement opposée à celle de Syriza, consistant à rendre les masses passives et à sauver le capital.

Quand nous parlons de l’importance et du rôle de la mobilisation, nous ne nous référons pas seulement aux grèves et manifestations. Pour diriger le destin d’un pays, il s’agit d’une mobilisation économique des masses, c’est-à-dire de sa participation et sa gestion quotidiennes de l’économie, son rôle dans des organismes de contrôle et gestion des banques et des entreprises nationalisées. Des travailleurs et secteurs pauvres, impliqués directement dans la gestion de l’économie, pour éviter la corruption et organiser la distribution. Il s’agit d’impliquer les masses dans la production de leur destin quotidien. Lapavitsas est dans le vrai lorsqu’il dit que la petite Grèce pourrait jouer un rôle historique disproportionné… Mais c’est seulement avec une politique de ce type-là qu’elle y parviendrait, transformant véritablement le « rapport de forces » dans le pays et enthousiasmant des millions de par l’Europe et le monde, qui verraient comment les travailleurs et les masses peuvent prendre en main leur propre destin. Ces millions ne douteront plus alors pour sortir dans la rue, stopper les usines, les transports, boycotter les politiques portant préjudices à la Grèce, et même transgresser des lois pour l’aider. Une telle avancée –de laquelle Unité Populaire est loin, et que les secteurs révolutionnaires devraient prendre en charge- commencerait à rendre réelle non seulement la peur de l’Allemagne et de l’UE, mais aussi des Etats-Unis et de tous ses prétendus alliés démocrates.


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