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Edito

Sommet social à Matignon : élargir les « corps intermédiaires » pour mieux attaquer les travailleurs 

Avec l’affaiblissement de Macron, le gouvernement tente de dépoussiérer la vieille méthode du « dialogue social » qui a toujours servi à mieux détruire les acquis sociaux, y intégrant désormais élus locaux et associations.

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Deux semaines après les annonces de fin du Grand Débat, le gouvernement a tenu hier sa première conférence sociale aux côtés des corps intermédiaires. L’objectif : renouer avec ledit « dialogue social », vieille stratégie de collaboration de classes associant patronat, Etat et bureaucraties syndicales pour faire passer des contre-réformes antipopulaires.

Le 25 avril lors de sa conférence de presse post Grand Débat tant attendue, Macron adressait sa réponse aux Gilets Jaunes : pour le reste de son quinquennat, il n’y aurait pas de changement sur le fond de la politique. Malgré les cinq mois de mouvement des Gilets jaunes et les 50 % de la population, qui en dépit de toute la propagande gouvernementale et médiatique continuent à soutenir le mouvement, il n’y aurait pas de changement de cap.« Est-ce qu’il faudrait tout arrêter, je me suis posé la question, est-ce qu’on a fait fausse route ? Je crois tout le contraire. Les mesures n’ont pas été suffisamment rapides, humaines, radicales, mais je crois profondément qu’elles ont été justes » a-t-il même osé dire. Un pari risqué dans le contexte actuel de crise de régime profonde et de contestation sociale d’ampleur. Les classes dominantes sont conscientes en effet que faire passer les principales réformes du programme de Macron que sont la réforme des retraites et de la sécurité sociale s’annonce périlleux.

A l’issue de cette conférence de presse, à l’exception de quelques rares mesurettes destinées à calmer la colère dans des secteurs comme l’éducation nationale ou chez les retraités, la seule concession annoncée sur sa politique a été un « changement de méthode » : « Ce nouvel acte est un changement de méthode, plus humaniste, plus humaine, sans rien changer au cap » affirme Macron. Pour faire passer les contre-réformes néolibérales que le grand patronat attend de lui et qui a justifié le soutien des élites à l’ex-banquier pour les Présidentielles, Macron a décidé de quitter son costume jupitérien.

En effet pendant les deux premières années de son quinquennat le caractère bonapartiste du macronisme a mené le gouvernement à adopter une méthode excluant le « dialogue » avec les représentants des syndicats, même les plus ouvertement conciliateurs. Cela a eu comme résultat un affaiblissement encore plus important de la capacité des directions syndicales à canaliser la contestation sociale et une dégradation de l’image des syndicats pour beaucoup de travailleurs. Si cette méthode d’une part enlevait l’obstacle relatif des directions syndicales à un gouvernement voulant appliquer son agenda le plus rapidement possible, d’autre part elle affaiblissait l’une des principaux atouts de protection du régime en cas de radicalisation de la contestation sociale. 

Le gouvernement entend ainsi non seulement renouer le dialogue avec les dénommés « corps intermédiaires » (notamment les syndicats), malmenés depuis le début de son mandat, mais encore « élargir » le périmètre de ces derniers. En « élargissant » à des acteurs comme les associations et les élus de proximité, Macron cherche à faire des syndicats des acteurs de second rang. Une démarche qui exprime par ailleurs la profonde difficulté rencontrée par Macron pour trouver des relais susceptibles de canaliser la colère sociale après que les directions syndicales aient toutes tourné le dos à la colère sociale exprimée les Gilets jaunes. Comme l’écrit Cécile Cornudet, éditorialiste aux Echos : « Les élus des collectivités locales sont de la partie, et ouvrent même le bal le matin. Des associations sont conviées. Le terme « partenaires sociaux » change de définition. (…) Finie l’idée d’un « contre-pouvoir » qui engage un rapport de force pour obtenir des « avancées » . Les partenaires sociaux sont des représentants de citoyens, dans l’entreprise notamment, qui doivent « embarquer toute la société pour la transformer » .

Un projet consciemment porté par le macronisme, qui vise à constituer de nouvelles courroies de transmissions élargies, comme en atteste l’ouvrage d’Ismael Emelien et David Amiel, anciens conseillers de l’Elysée ayant rédigé un « Manifeste du progressisme », dont la conclusion est on ne peut plus claire comme le relaie le journal l’Opinion : « Des corps intermédiaires plus assez utiles aux Français, qu’Emmanuel Macron rêve de « remplacer par des associations intermédiaires  ».

Ainsi, cette « grande conférence sociale », à laquelle ont été conviées 40 organisations syndicales, patronales et associations, réunies lundi matin à Matignon représente la première pierre de cette « opération reconquête ». Au nombre des six grands sujets de cette « mobilisation générale pour le travail, l’emploi et ses grandes transitions » (sic) on compte « l’apprentissage », « les emplois non pourvus », « les gestes écologiques du quotidien » ou encore « la rénovation thermique et énergétique des bâtiments ». Autant d’axes qui, on n’en doute pas, vont répondre aux exigences de justice sociale et aux aspirations démocratiques des Gilets jaunes.

Laurent Berger, qui depuis le début du quinquennat mendiait des négociations, sans cesse rejetées, auprès du gouvernement voit enfin aujourd’hui ses vœux exaucés. Le secrétaire général de la CFDT, qui pendant la crise des Gilets jaunes s’est tout particulièrement illustré par sa servilité, continue à assurer avec brio son rôle de petit soldat de Macron. Il s’est ainsi félicité de « ce changement de méthode » : « il faut le noter, il est clair, il est net ». Autre « soldat » de Macron, Laurent Escure de l’UNSA, n’a pas hésité à dire à propos de cette mascarade gouvernementale « C’est un bon début car on a le sentiment que l’on va pouvoir s’exprimer sur tous les sujets ».

La direction confédérale de Force Ouvrière a elle aussi choisi de participer à cette grande concertation aux côtés de l’exécutif et du Medef, légitimant de fait cette grande manœuvre gouvernementale. Malgré l’impasse inédite dans laquelle se trouve le gouvernement pour faire avancer ses plans, la troisième centrale syndicale du pays a choisi, plutôt que de profiter des faiblesses de Macron pour s’engouffrer dans ces brèches, de les colmater en jouant au bon « partenaire social ».

Les directions de la CGT et de Solidaires de leur côté ont choisi de ne pas y participer. Si Solidaires avait signifié depuis le début et de façon claire cette décision, la direction de la CGT, qui jusqu’au dernier moment n’avait pas reçu d’invitation de la part de l’Élysée, a attendu le jour même avant d’annoncer qu’ils n’y participeraient pas. D’autre part si le communiqué de presse de la centrale de Montreuil justifie son absence à cette réunion car « ses objectifs sont loin de correspondre au mécontentement et à la colère du monde du travail et de ceux qui en sont exclus », il faut rappeler que son secrétaire général Philippe Martinez a bien tourné le dos à cette colère sociale depuis le début du mouvement des Gilets jaunes par son attitude divisionniste.

En effet, ce refus de participer à la soi-disant « conférence sociale » du gouvernement de la part de la direction de la CGT ne s’explique pas par son rejet de la méthode de « dialogue social » (bien au contraire !) mais sans doute à d’autres facteurs : la pression de la base mais aussi une certaine gronde interne à l’approche du congrès confédéral. En refusant de participer à une réunion que tout le monde sait ne donnera rien, même d’un point de vue des intérêts de la direction de la CGT, Martinez tente d’apparaitre comme « contestataire ». Mais jusqu’à quand ?


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