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Islamophobie d’État

Signalements pour « atteinte à la laïcité » : l’offensive islamophobe de Pap N’Diaye pour la rentrée

L’inflation et le mouvement de grève actuel pour les salaires n’empêchent pas le gouvernement de poursuivre ses politiques islamophobes. Digne héritier de Blanquer, Pap Ndiaye revendique 313 signalements pour « atteinte à la laïcité » depuis la rentrée. Alors que l’Éducation nationale connait une crise profonde, le ministre préfère, sous couvert de « laïcité », renforcer les attaques contre les musulman-e-s et la répression au sein des établissements scolaires.

Tristane Chalaise

14 octobre 2022

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Crédits photo : Geoffroy Van der Hasselt / AFP

Le ministre de l’Education nationale a révélé, dans Le Monde, les chiffres et la politique de son ministère envers les « atteintes à la laïcité ». Dans la suite de son intervention à l’Assemblée nationale, Pap Ndiaye revendique fièrement une hausse des signalements, qui atteignent les 313 pour le seul mois de septembre. Le résultat d’un renforcement des politiques islamophobes et répressives, et des incitations à la délation auprès des personnels et des élèves.

Les « tenues susceptibles d’être ostentatoires » : aller toujours plus loin pour cibler les élèves musulman-e-s

La visite à Marseille d’Emmanuel Macron en juin dernier avait donné le ton. Interrogé sur « l’épidémie de tenues islamiques » à l’école, le Président de la République promettait de renforcer la surveillance et le contrôle des tenues des élèves – et des personnels – considérées comme musulman-e-s. Dès la rentrée se sont ainsi ajoutées à la longue liste des tenues à cibler dans les établissements (voiles, foulards, bandeaux, bandanas, jupes et robes longues, couleurs sombres…) les abayas et les kamis, supposés manifester un grand péril pour la laïcité.

Un élargissement qui laisse toujours plus libre-cours à l’interprétation, et renforce le pouvoir arbitraire des directions d’établissement. Car ce ne sont plus seulement les tenues « ostensibles » (selon les termes de la loi de 2004) qui sont visées dans les établissements scolaires, mais aussi les « tenues susceptibles d’être ostensibles » (selon le courrier envoyé aux recteurs d’académies à la mi-septembre). Désormais, chaque direction d’établissement a toute latitude pour déterminer, en fonction de facteurs totalement subjectifs (« l’attitude » de l’élève et sa religion supposée), si une tenue peut être portée ou non par un-e élève en particulier, et si le port de cette tenue peut justifier une exclusion, temporaire ou définitive, de l’établissement.

Et, une fois de plus, ce sont plus spécifiquement les filles qui sont victimes de ces politiques répressives. Dans son interview au Monde, Pap Ndiaye, évoquant les signes que doivent interpréter les chefs d’établissement, prend leur exemple, comme si elles étaient les premières coupables de ces atteintes à la laïcité : « Est-ce que la jeune fille qui porte telle ou telle robe la met régulièrement ? Est-ce qu’elle refuse de changer de tenue, est-ce que cela s’accompagne d’autres signaux ? ». Un sexisme assumé, dans la continuité de l’imposition d’une « tenue Républicaine » à l’école, selon la formule de Jean-Michel Blanquer, qui, à la rentrée 2020, visait autant à interdire autant les voiles que les crop-top.

« Être ferme et intransigeant » : Pap Ndiaye se félicite d’avoir renforcé la répression et la délation au sein des établissements scolaires

Anciennement figure de l’antiracisme, accusé par ses détracteurs de « wokisme » et « d’islamo-gauchisme » dans les premiers jours de son mandat, Pap Ndiaye veut rompre avec cette image, et rassurer la droite, voire l’extrême-droite. Le ministre se veut le digne successeur de Blanquer, « ferme et intransigeant », et se félicite que « de nombreux élèves ont été sanctionnés depuis la rentrée scolaire ». Une répression qui se fait par un renforcement de la pression sur les équipes – et les élèves – pour dénoncer celles et ceux qui, dans leur entourage, leur sembleraient trop ouvertement musulman-e-s.

Les chefs d’établissement se sont ainsi vus adresser, par leur rectorat, des courriers leur rappelant les règles édictées par le ministère, tandis, que dans d’autres établissements, les personnels se sont vus invités à signaler immédiatement à leur direction tout ce qui leur semblerait contrevenir à la loi. Les personnels sont par ailleurs invités par le ministre, et par leur hiérarchie, à « se tourner vers les cellules « Valeurs de la République » qui existent dans chaque rectorat ».

Mises en place sous le ministère Blanquer, ces équipes d’intervention spéciales se sont déjà illustrées par la répression d’un enseignant, menacé de sanction pour avoir dénoncé dans un poème satirique leurs principes dogmatiques et leurs méthodes autoritaires. D’après l’un de ses collègues, cité par L’Humanité, c’est aussi un soi-disant « laxisme » au sujet de la laïcité qui serait à l’origine de la mutation forcée de Kai Terrada, enseignant de mathématique dans un lycée de Nanterre.

Des méthodes bien loin de la « pédagogie » et de la « laïcité positive » que prétend défendre le ministre dans son interview au Monde. Un moyen aussi pour attiser les tensions et renforcer les divisions au sein des établissements scolaires, et permettre au ministère d’exercer toujours plus de contrôle sur les personnels et les élèves, susceptibles en cas de manquement d’être sous le coup d’une « atteinte à la laïcité » aux contours extrêmement flous.

Des moyens pour l’éducation, pas pour la répression des personnels et la mise au pas des élèves !

En stigmatisant les musulman-e-s, le gouvernement ne fait qu’attiser les tensions, tout en rendant les élèves responsables des discriminations dont ils sont, en premier lieu, les victimes. Car comme toutes les politiques se réclamant de la laïcité depuis la loi de 2004, celle-ci vise avant tout les musulman-e-s. Touchant plus spécifiquement les filles, ces lois et mesures renforcent d’autant plus les inégalités à l’école, et renvoie à une institution patriarcale, où le contrôle du corps des femmes et de leurs tenues est plus important que le fait de leur garantir un apprentissage.

Pap Ndiaye a en effet beau jeu de dénoncer les « phénomènes communautaires en France », prétextant faire de l’école le fer de lance de la lutte contre les « extrémismes religieux ». Alors même que le gouvernement cherche à exclure les élèves musulman-e-s qui seraient « trop religieux » dans les écoles publiques, il est de plus en plus généreux avec les écoles privées, qui relèvent à plus de 80%... de l’enseignement catholique.

L’école connait une véritable crise, illustrée par l’impossibilité de recruter suffisamment de personnel à la rentrée. Or, ce que les personnels de l’Éducation nationale dénoncent depuis des décennies, ce n’est pas le manque de laïcité : c’est le manque de moyens, la dégradation des conditions de travail et d’apprentissage des élèves, la précarisation et les faibles salaires. Des écoles maternelles des quartiers populaires sont encore envahies par des rats tandis qu’élèves et enseignant-e-s dénoncent les trois ans d’enfer qu’ils ont vécu dans un lycée de région parisienne. Pendant ce temps, le gouvernement préfère investir dans des équipes « Valeurs de la République » et dans le Service National Universel, qui devrait coûter entre 1 et 1,5 milliards d’euros par an. Il fait ainsi, explicitement, le choix du contrôle, de l’endoctrinement et de la répression des élèves et des personnels.

Depuis l’affaire de Creil en 1989, les gouvernements successifs n’ont fait qu’instrumentaliser la laïcité pour mener leurs politiques islamophobes, et faire porter sur les musulman-e-s la responsabilité de la dégradation de l’école, de plus en plus attaquée par les politiques austéritaires et la volonté de faire toujours plus d’économies en détruisant le service public, tout en permettant au grand patronat de faire toujours plus de bénéfices sur le dos des classes populaires. Contre la loi de 2004, nous devons ainsi dénoncer cette islamophobie d’Etat qui ne sert que les intérêts du gouvernement et du patronat, et divise notre classe. De même, nous devons exiger des moyens non pas pour la répression, mais pour l’école, pour les salaires des personnels d’éducation, et pour que tou-te-s les élèves puissent être accueilli-e-s et vivre dans des conditions décentes, en particulier élèves des quartiers populaires, qui sont les premièr-e-s à subir, en plus des lois racistes, une école au rabais.


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