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Révolte

Sénégal. Malgré la répression brutale et les appels au calme, les manifestations continuent ce week-end

Après les émeutes au Sénégal et leur répression sanglante, le président Macky Sall s’est exprimé pour condamner des « agressions contre l’État, la République et les institutions », pendant qu’une partie de l’opposition appelle au calme. Pourtant la colère reste profonde, et de nouvelles manifestations doivent se tenir ce week-end.

Antoine Weil

8 juin 2023

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Sénégal. Malgré la répression brutale et les appels au calme, les manifestations continuent ce week-end

Crédits photo : HEATHER SHUKER

Depuis le 2 juin, la colère gronde à nouveau au Sénégal. A la suite de la condamnation du principal opposant Ousmane Sonko à deux ans de prison ferme pour « corruption de mineur » le rendant inéligible pour l’élection présidentielle de 2024, des manifestations ont éclaté, connaissant une dure répression

Le gouvernement veut reprendre la main, aidé par les appels au calme de l’opposition

En début de semaine, un calme apparent semblait revenu à Dakar, après que les forces de défense et sécurité ont durement attaqué le mouvement, causant près de 30 morts. Le gouvernement en a profité pour tenter de reprendre la main, avec un communiqué du président de la République Macky Sall, prenant la parole pour la première fois depuis le début pour mouvement pour condamner des « agressions extrêmement graves contre l’État, la République et les institutions »dont « l’objectif était sans aucun doute de semer la terreur et de mettre à l’arrêt notre pays », avant d’appeler à des « enquêtes judiciaires immédiates » et à « préparer un mémorandum complet sur les décès, actes de vandalisme et défiance vis-à-vis de l’État perpétrés à l’occasion de ces manifestations. ».

Tout en maintenant un discours répressif très fort afin de criminaliser les manifestants, le pouvoir a décidé de retirer plusieurs dispositions liberticides, comme la suspension des données mobiles pour accéder à internet. Les applications restent en revanche toujours bloquées, le porte-parole du gouvernement estimant qu’elles favoriseraient l’organisation d’actes délictueux, comme des « attaques stratégiques, sur les centrales d’approvisionnement en eau, électricité » car « on a voulu terroriser le Sénégal ».

Face à la crise, le président a suspendu toute décision aux conclusions, attendues avant le 25 juin, du « dialogue national » qu’il a engagé avec certaines forces de l’opposition. Un des éléments majeurs qui suscite la colère des manifestants et qui doit être discuté dans cette instance concerne la participation du Président aux élections de 2024 pour briguer un troisième mandat, ce que la Constitution interdit.

Pour stabiliser la situation, Macky Sall peut néanmoins compter sur le support de plusieurs personnalités d’oppositions qui ont appelé au calme ce mercredi tout en demandant au Président d’annoncer ne pas se présenter pour un troisième mandant afin de calmer la colère. C’est notamment le cas du candidat à la présidentielle Idrissa Seck, un temps coopté par le pouvoir en le nommant à la tête du Conseil économique, social et environnemental (Cese), et de l’ancien maire de Dakar Khalifa Sall, pourtant membre de la plate-forme d’opposition F24, aux côtés d’Ousmane Sonko. Dans le même sens, l’actuel maire de Dakar Barthélémy Dias, membre de la coalition de Sonko et qui a bénéficié de son soutien aux dernières municipales, participe au dialogue initié par le régime.

Cette situation marginalise le leader de l’opposition et son parti Pastef (Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité), comme l’explique l’expert des questions électorales Mamadou Seck pour L’Opinion : « On voit se dessiner une sorte de gentleman agreement contre [Sonko]. Chacun a intérêt au maintien des rentes économiques et politiques du pays que Sonko remet en cause ». Dans la recherche d’un sauvetage du régime Sénégalais, inspiré de la Vème République Francaise et profondément autoritaire, l’opposition cherche à ouvrir une porte de sortie pour Macky Sall pour éviter une crise politique qui dépasserait sa seule figure politique et remettrait en question l’ensemble du fonctionnement de la République Sénégalaise.

La colère contre le régime reste cependant très forte, et deux manifestations sont prévues vendredi 9 et samedi 10, à l’appel de la plate-forme F24, sorte de coalition démocratique regroupant partis et secteurs de la société civile dont le principe politique consiste en la dénonciation d’un éventuel troisième mandat de Macky Sall.

Derrière la remise en question de Macky Sall, une crise de régime profonde

Le mouvement débuté le 2 juin répond en effet à un rejet profond du système sénégalais et va au-delà de la figure d’Ousmane Sonko. A l’instar du mouvement de 2021, où à la suite de l’arrestation de Sonko ont eu lieu plusieurs jours d’émeutes consécutives, les manifestants s’attaquent aux gendarmeries, qui défendent le régime de Macky Sall, mais aussi aux multinationales françaises comme Auchan ou Total pour dénoncer la FrançAfrique.

Une contestation radicale, qui va au-delà du programme d’Ousmane Sonko. Celui-ci a beau affirmer vouloir revenir sur certains éléments majeurs pour l’impérialisme français au Sénégal, comme le Franc CFA ou les exonérations de taxes pour les multinationales, il insiste pour ne pas couper ses relations avec l’Etat français s’il arrive au pouvoir, comme il le rappelait dans une interview pour France 24 en janvier dernier.

Aussi, la colère est renforcée par les conditions économiques et sociales terribles pour la population et notamment la jeunesse. Comme nous l’expliquait l’économiste sénégalais N’Dongo Samba Sylla il y a deux ans, le Covid et l’explosion du chômage chez les jeunes, dans un pays où 50% de la population a moins de 20 ans, a mis fin pour de bon au « mythe de l’émergence » du Sénégal, qui consistait à rêver d’un avenir de développement économique et de construction d’une classe moyenne. Les effets de la guerre en Ukraine ont encore renforcé ce phénomène, avec une inflation forte seulement contrôlée autour de 9,5% depuis le mois d’avril. Le Sénégal, au même titre que l’ensemble des pays de la région, est profondément touché par les conséquences de la crise du Covid-19 et de l’augmentation massive du coût des matières premières et de l’alimentation, un scénario qui a ouvert des crises politiques et des révoltes profondes qui a déstabilisé les gouvernements de la région ainsi que la position de la France.

La situation reste donc explosive, d’autant que les anciens mécanismes de contention semblent enrayés. Un article d’Afrique XXI explique en effet que lors du mouvement de mars 2021 les « régulateurs sociaux », soit les marabouts et des leaders de la société civile, avaient réussi à apaiser la situation en organisant des négociations. Désormais « leur capacité à en faire de même est loin d’être garantie, leur crédibilité et leur impartialité étant de plus en plus remises en question par l’opposition ». Cette fois-ci, le pouvoir aura donc davantage de mal à sortir de la crise.

Une contestation qui fragilise le principal allié de l’impérialisme dans la région

Une mauvaise nouvelle pour l’Etat français, alors que le Sénégal est son principal allié dans le Sahel occidental. Le gouvernement d’Emmanuel Macron pourra à cet égard accueillir Macky Sall en grande pompe à Paris à la fin du mois, à l’occasion de la conférence internationale sur un nouveau pacte financier mondial. La position de Paris ressemble d’ailleurs à sa position classique dans le cas de crises au sein de pays dominés par son impérialisme. Derrière une position "neutre" de façade, la France reste un partenaire central de Macky Sall qui voit sa position comme un point d’appui majeur en pleine crise de restructuration de la position de l’impérialisme français au Sahel, et a en ce sens montré son soutien au président actuel plusieurs reprises.

Malgré les près de 30 manifestants tués par le régime, Macron n’est pas prêt de lâcher son allié, dans une région où il est contesté avec des gouvernements plus hostiles au Mali et au Burkina Faso, et la contestation de cet automne contre le régime au Tchad. A cet égard le ministère des Affaires étrangères a appelé dans un communiqué « à la retenue, à cesser les violences et à résoudre cette crise, dans le respect de la longue tradition démocratique du Sénégal ».

L’impérialisme français n’a pas de complexe à soutenir les régimes les plus autoritaires pour préserver ses intérêts, comme cela a été le cas au Tchad avec la succession d’Idriss Déby par son fils. Dans tous les cas, il est fort probable qu’une décision de Macky Sall de se maintenir à la tête de l’Etat Sénégalais ne se fera pas sans un accord (même secret) de Paris. En ce sens, une entente par le haut entre Macky Sall et certaines personnalités de l’opposition n’est pas à exclure, comme le suggère Mamadou Seck pour L’Opinion : « On soupçonne un accord tacite entre les deux hommes qui ferait d’Idrissa Seck le plan B de Macky Sall s’il venait à renoncer. C’est plausible. Le président n’a pas préparé de dauphin. ».

Pour en finir avec la FrançAfrique au Sénégal, il faut une mobilisation indépendante de la jeunesse et de la classe ouvrière

Face aux manoeuvres de l’opposition qui cherche à trouver une solution à la crise de régime et aux remises en question timides de l’impérialisme Français, la jeunesse Sénégalaise montre déjà une voie beaucoup plus progressiste pour en finir avec le régime autoritaire de Macky Sall. Seule une mobilisation indépendante de la jeunesse et de la classe ouvrière sénégalaise peut permettre une véritable rupture avec l’impérialisme français et l’ensemble des Etats qui cherchent à défendre leurs intérêts géopolitiques dans la région. Une mobilisation indépendante qui romprait ouvertement avec le régime Sénégalais inspiré de sa relation coloniale avec la France, afin de s’attaquer à un Etat qui opprime des pans entiers de la population, ce que Ousmane Sonko veut perpétuer à travers sa volonté de s’attaquer aux personnes LGBT s’il accède au pouvoir. Au contraire, une véritable rupture avec l’impérialisme français et le régime autoritaire du Sénégal passeront par un retrait total des troupes françaises du pays, ainsi que des grandes multinationales, la fin du Franc CFA et le rejet de la dette externe ainsi que la nationalisation de l’ensemble des secteurs stratégiques et industriels.

Alors que la diaspora immigrée en France a organisé des manifestations de soutien dans plusieurs villes, le mouvement ouvrier français doit se saisir de cette question et apporter toute la solidarité à la jeunesse et aux travailleurs sénégalais qui se battent contre Macky Sall, le patronat et l’Etat français.


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