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Des « attendus » non désirés

Sélection à l’université : malgré le vote à l’Assemblée, les universitaires commencent à résister

La réforme de l’accès à l’université, pompeusement baptisée « projet de loi relatif à l’orientation et à la réussite des étudiants » a été votée mardi à l’Assemblée Nationale par 361 voix contre 129. La réforme autorise en particulier la mise en place des « attendus », cache-sexe de la sélection, par filière dans les universités. Malgré l’opposition de la France Insoumise, le texte est passé comme une lettre à la poste auprès des députés. Mais c’est un autre son de cloche qui commence à se faire entendre au sein des personnels de l’université….

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Le projet de loi autorisant la sélection à l’université avec la mise en place des « attendus » par filière a été voté mardi 19 décembre à l’Assemblée Nationale avec 361 voix pour, exprimés par les députés de la majorité La République En Marche, par les voix du Modem et de l’UDI, et 129 voix contre, représenté par La France Insoumise, la Nouvelle Gauche et les communistes, mais aussi les voix des Républicains.

La sélection universitaire : des futurs bacheliers exclus des universités

La loi autorise l’examen du profil des candidats futurs bacheliers à l’entrée en licence et l’instauration d’une liste « d’attendus » que devront remplir les futurs bacheliers pour se voir accepter dans la filière universitaire de leur choix. C’est un changement cataclysmique dans les conditions d’accès à l’université qu’est en train de faire passer le gouvernement Macron et un recul, sans précédent depuis 1968, sur le droit d’accès à l’enseignement supérieur public pour l’ensemble des bacheliers.

En effet, même si le projet de loi ne supprime pas juridiquement la mention « le premier cycle est ouvert à tous les titulaires du baccalauréat » inscrite dans l’article L612-3 du Code de l’éducation, il l’abroge dans les faits. Dans un contexte de restriction budgétaire extrême de l’université et d’un manque de places dans les licences, la permission donnée aux universités de sélectionner leurs candidats – ouverte par l’abrogation des dispositions permettant à « tout candidat [d’être] libre de s’inscrire dans l’établissement de son choix » et excluant « toute sélection » de la part des établissements et des formations - va de fait exclure des bacheliers du système universitaire.

Où iront les candidats non-reçus à l’université ? Très certainement vers les établissements privés qui devraient fleurir avec cette réforme. Mais uniquement pour celles et ceux qui en ont les moyens. Ou pour les moins chanceux, qui auront la possibilité de contracter des crédits, de s’endetter, et d’entrer dans la vie active avec l’injonction d’accepter n’importe quel type d’emploi, tenu par la crainte des créanciers. Pour les autres, malchanceux d’un système universitaire public – et encore relativement accessible pour l’instant - à défaut de l’interdiction juridique d’accéder à l’enseignement supérieur, se verront opposés l’interdiction économique.

Depuis la rentrée, la sélection s’impose dans l’apathie généralisée

Depuis l’annonce de la sélection à l’université, la contestation – autant de la part des étudiants, des lycéens futurs bacheliers que du côté des personnels de l’université – était restée quasiment muette, contrairement à 1986, où l’opposition à la loi Devaquet avait mis les foules étudiantes et universitaires dans les rues jusqu’au retrait du projet de loi.

Il faut dire que, depuis plusieurs années déjà, le scénario se prépare. A l’arrière plan, les universités exsangues, les places qui manquent dans les amphithéâtres, les conditions de travail des enseignants du supérieurs toujours plus dégradées… Une mise à sac de l’université publique organisée par les coupes budgétaires successives met en place le décor. Arrive la fin de l’année scolaire 2016-2017 et l’élément perturbateur : le système Admission post-Bac et le tirage au sort des bacheliers, fautes de place suffisantes dans les universités. Si le choix de cursus n’est plus possible pour l’ensemble des bacheliers, plutôt que l’aléa, c’est au « mérite » de décider ! Le terrain de l’opinion est déjà labouré.

Aux enseignants du supérieur excédés par leurs conditions de travail s’ajoutent le « sens commun » d’une hostilité au tirage au sort. Sauf que le projet de loi sur la sélection à l’université, une fois énoncée, ne prévoit en réalité, ni d’améliorer la situation – sous haute tension – des universités, ni d’offrir de meilleures chances de « réussite et d’orientation » aux étudiants et futurs bacheliers.

Une réforme de plus en plus contestée par les universitaires

A mesure que le contenu du projet de loi se précise, que sort la longue liste des « attendus » selon les filières déclinés par le ministère de l’Enseignement Supérieur, que le projet d’instauration d’une « année de remise à niveau » des étudiants non reçus n’est pas adjointe à un renforcement des moyens pour les mettre en place, le monde de l’université commence à se crisper. Comment décliner localement les critères de sélections, les « attendus », extrêmement flous, au niveau de chaque licence et de chaque université ? Qui, dans les facultés, va être en charge de l’étude des dossiers de milliers de candidats pour réaliser la sélection ? Et avec quels moyens supplémentaires ? Comment instaurer une « année de remise à niveau » à moyen constant alors que les universités sont déjà bondées et les moyens réduits à leur plus simple appareils ? La contestation porte à la fois sur l’infaisabilité du plan étudiant pour des raisons matérielles mais également, de manière plus politique, sur sa contradiction avec les principes du Code de l’éducation.

En novembre dernier, le Snesup-FSU, syndicat majoritaire d’enseignants du supérieur alertait sur le contenu du « plan Etudiant », « ce projet flou et conservateur », tandis que, sur Paris, une dizaine de lycées avaient été bloqués en opposition au plan Vidal. Le 12 décembre, le syndicat rappelait dans un communiqué son hostilité à l’instauration des « attendus » et au plan Vidal, projet masqué de la sélection à l’université en « contradiction avec le code de l’éducation », aujourd’hui en partie abrogé par le passage de la loi au Parlement. Localement, et conjointement à l’intersyndicale, la fédération appelle à la mobilisation des personnels des universités et des enseignants du secondaire, comme des lycéens.

De fait, dans les universités, commence à s’organiser cette grogne. Depuis début décembre, plusieurs conseils d’UFR, de faculté, rassemblant les personnels administratifs et enseignants, au sein de différentes universités font remonter leur refus d’appliquer la sélection et le projet de loi du gouvernement. L’UFR de Sciences Humaines et Sociales de l’Université Paris-Est Marne-La Vallée a dénoncé, dans une motion datant du 5 décembre, un « calendrier précipité », un projet qui valide « un enseignement supérieur encore plus sélectif et inégalitaire », et surtout qui « n’offrira ni plus de places aux néo-bacheliers, ni les moyens suffisants que méritent les étudiants ». A Marseille, une Assemblée Générale des personnels et étudiants qui s’est déroulée le 12 décembre s’est prononcée « pour le retrait du plan étudiant » tout comme le Conseil de la Formation et de la Vie Universitaire (CFVU) de l’Université Paul Valéry Montpellier 3 qui « refuse de mettre en place la réforme de l’accès à l’université sans un investissement massif dans l’université ». Le 14 décembre, c’est au tour du département de Lettres Modernes de Lyon 3 de critiquer un dispositif qui « se met en place dans la précipitation, sans moyens supplémentaires, sans concertation avec les équipes pédagogiques » et en rappelant que celui-ci ne résout pas « les problèmes rencontrés par APB [qui] reposaient en grande partie sur le manque de capacité d’accueil des universités ». Le 15 décembre, l’assemblée générale de l’Université de Bourgogne vote le « retrait du projet de loi […] et du plan étudiant qui l’accompagne ». A Paris 1, les conseils d’UFR d’Histoire et de Sciences Politiques décident, le 16 et le 19 décembre, de refuser de « faire remonter les attendus spécifiques tant que le ministère n’aura pas accordé les moyens nécessaires, ni précisé les conditions réglementaires de sa réforme ». Quant à l’Université Paris 8 Saint-Denis, le CFVU a critiqué, le 14 décembre, « la façon inacceptable dont le Rectorat a procédé pour établir les capacités d’accueil ParcoursSup 2018 de l’université » et la « fausse concertation rectorale ».

Qu’ils soient hostiles au principe de la sélection, à ses modalités d’application à moyen constant, ou à la « fausse concertation », les personnels administratifs et enseignants des universités sont de plus en plus remontés contre la loi Vidal et le plan étudiant. Des assemblées générales ont été appelées pour le retour des vacances de décembre et pourraient, on l’espère, être la première pierre à l’édifice d’une opposition au projet anti-démocratique de l’Université porté par le gouvernement Philippe et le président Macron. Un projet dont les contours ont été révélés par les MacronLeaks et qui porte en germe l’accélération de la privatisation de l’enseignement supérieur, l’augmentation des frais d’inscription, le renforcement de la sélection et de la reproduction sociale. La grève de l’Université du Mirail à Toulouse, lancée le 13 décembre dernier lors d’une Assemblée Générale des personnels et des étudiants et reconduite depuis, pourrait servir d’appui dans la construction d’une mobilisation qui doit sortir de la logique, fac par fac, et se construire à échelle nationale.

Crédit photo : UNEF


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