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Vers une guerre civile ?

Révolution et contre-révolution au Soudan

Lundi dernier, quatre mois après un soulèvement dû au triplement du prix de pain, la révolution au Soudan a connu un tournant abrupt. L'armée a dispersé dans le sang les sit-in qui se tenaient à Khartoum, multipliant les exactions et tuant près d'une centaine de manifestants – qui ont réaffirmé leur détermination à ne pas céder et poursuivre les mobilisations.

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Lundi dernier, quatre mois après un soulèvement dû au triplement du prix de pain, la révolution au Soudan a connu un tournant abrupt. L’armée a dispersé dans le sang les sit-in qui se tenaient à Khartoum, multipliant les exactions et tuant près d’une centaine de manifestants – qui ont réaffirmé leur détermination à ne pas céder et poursuivre les mobilisations.

Ce processus révolutionnaire s’inscrit dans l’histoire politique de long cours du pays. Les récents mouvements de contestation des dernières décennies (I) expriment, dans la dynamique de la mobilisation, les fractures géographiques et sociales du pays (II). Désormais, la situation risque désormais d’avancer vers une forme de guerre civile qui pourrait déstabiliser la région (III).

Une mobilisation qui s’inscrit dans l’histoire des révolutions et de la crise économique qui touche le pays

Etat des lieux de la mobilisation

Les manifestations ont d’abord éclaté dans les villes de province, et notamment les quartiers pauvres de la périphérie. C’est en effet le triplement du prix du pain qui est à l’origine des premières manifestations, qui ont touché le 18 et 19 décembre la ville ouvrière d’Atbara. Ce sont ainsi principalement les zones où les populations sont les plus vulnérables à l’inflation importante qui touche le Soudan qui se sont mobilisées, avant de s’étendre ensuite à des villes agricoles, concentrant là encore une population massivement pauvre, composée du prolétariat et du lumpenprolétariat de la périphérie.

Le mouvement a ensuite rapidement pris un caractère polyclassiste avec l’extension géographique aux centres urbains, notamment Khartoum, capitale du pays et du soulèvement. Ces espaces géographique sont plutôt composées de classes moyennes qui ont émergé dans les années 1990 au moment des grands privatisations économiques, avec la formation de grands centres-urbains et d’une classe moyenne via la redistribution de la rente pétrolière, processus dont Khartoum est l’illustration. A l’appel de la Société des Professionnels Soudanais, représentants de la petite-bourgeoisie nationale (association composée des corps de métiers des médecins, journalistes et avocats), les manifestants ont mis en avant des mots d’ordre de caractère économiques, dénonçant la redistribution inégale des ressources économiques, mais surtout démocratiques, dénonçant la répression et appelant à un changement de régime.

Le 11 avril, après plusieurs mois de soulèvement, le dictateur al-Bashir, au pouvoir depuis un coup d’état en 1985, ainsi que plusieurs hauts responsables sont déposés par l’armée, qui met en place un Conseil de transition militaire (TMC) pour une durée de deux ans. L’état d’urgence instauré par al-Bashir est maintenu, provoquant l’ire des manifestants, qui rejettent les propositions de mesures transitoires et réclament dès lors une seconde fois le départ de dirigeants auto-proclamés qui menaçaient de confisquer la révolution.

Seulement vingt-quatre heures plus tard, le dirigeant du TMC démissionne au profit d’al-Burhan, chef d’armée, et de son second Mohamed Hamdan Dagalo (surnommé Hemeti), chef des Forces de Soutien Rapide (RSF) – milice paramilitaire connu pour ses exactions au Darfour.

Dès lors, les négociations se tendent alors que se maintiennent les sits-in pour réclamer une transition qui passerait le pouvoir à la société civile. Dans ce contexte, c’est lundi dernier, après avoir longtemps joué un rôle « d’arbitre » du régime, nourrissant les illusion d’une partie de la population, que l’armée a montré son vrai visage en faisant se disperser dans le sang le sit-in, multipliant simultanément les exactions et actes de barbaries.

Une mobilisation qui s’inscrit dans l’histoire des révolutions et de la crise économique qui touche le régime

Ce processus révolutionnaire s’inscrit plus spécifiquement dans la continuité des mouvements de contestations de la dernière décennie, et plus généralement dans l’histoire politique du pays, scandée par deux révolutions civiles.

L’histoire récente du Soudan est marquée par les révolutions et contre-révolutions. En effet, le Soudan a connu deux processus révolutionnaires : en 1964 et en 1985 – chaque fois la situation s’est retournée contre la population avec l’instauration d’un régime dit« bonapartiste sui generis ». [1]

Néanmoins, ces processus révolutionnaires ont structuré profondément l’imaginaire collectif politique de la population, en particulier des classes populaires, ancrant dans les mœurs un ensemble de pratiques d’auto-organisation et de références symboliques, fruit du rôle important joué par la culture de gauche révolutionnaire, notamment dans les années 1940 à 1960 par le Parti Communiste soudanais et le rôle des syndicats dans l’opposition à l’impérialisme britannique. C’est cette culture de gauche, véritable mémoire révolutionnaire, qui irrigue auojurd’hui les mobilisations.

Plus particulièrement, la dernière décennie a été marquée par des vagues importantes de contestations dans un contexte de reconfiguration des forces politique du pays dans un contexte de crise économique latente, avec une montée de l’opposition au régime bonapartiste d’al-Bashir.

C’est au cours de la campagne de 2010 pour la réélection d’al-Bashir que les premiers signes de contestations commencent à apparaître. « Lors de la campagne de 2010, un nouveau groupe est créé, le Girifna, « nous en avons assez » (We’re fed up), et appelle à voter contre le National Congress Party, le parti au pouvoir, note Clément Deshayes, doctorant à l’université Paris-8 et chercheur au think tank Nouria Resaearch. Ce groupe prend d’abord la forme d’une campagne puis se transforme très vite en un mouvement décentralisé de résistance et de contestation, qui articule des actions de rue avec une utilisation intensive des nouvelles technologies ».

Les années suivantes vont s’inscrire dans la lignée de ces proto-protestations. Entre 2011 et 2012, des manifestations massives ont lieu à Khartoum, à l’initiative notamment d’une grève des étudiants de la principale université du pays. Un an après, en Septembre 2013, la contestation s’étend aux classes populaires issues des quartiers pauvres de la périphérie. La répression qui s’ensuit est brutale, s’acharnant surtout sur les populations les plus pauvres, déjà victimes de racisme et de marginalisation socio-économique.

Si le coût de la vie a constitué un motif central des mobilisations récentes, la contestation politique du régime était déjà avancée. Ainsi, en 2016, la contestation se poursuit et se durcit, avec cette fois l’organisation de grandes grèves générales et trois jours de désobéissance civile dans les hôpitaux pour protester contre le coût des médicaments et le manque de moyens. Comme le souligne le chercheur Clément Delshayes : « Ces dix ans de contestation, d’expérimentation, d’apprentissage, permettent de penser le mouvement actuel. (…) Il est tout à fait probable que cette décennie d’intensification des contestations, aux niveaux national et local, ait permis à la fois de diffuser des pratiques de résistances et de lutte et à la fois de véhiculer des représentations liées à l’injustice de la domination du régime en place. »

L’économie politique du soulèvement au Soudan et les dynamiques de classe

. Un système rentier en crise

L’histoire socio-politique du pays et les fractures géographiques entre le centre et la périphérie, que l’on retrouve aujourd’hui dans la composition sociale des manifestants, sont le fruit du développement « inégal et combiné » hérité de la main-mise de l’impérialisme sur le pays (allié à la petite-bourgeoisie nationale, fut-elle islamiste ou laïque).

Avant le début de l’exploitation des gisements pétroliers au Sud Soudan, le Soudan était principalement divisée entre un centre agricole exportateur de matières premières et un sud marginalisé. C’est cette fracture sociale et géographique qui est visible aujourd’hui dans le soulèvement, comme le note Raphaëlle Chevrillon-Guibert, politologue : « L’élargissement de la contestation aux régions favorisées structurellement est fondamental pour saisir le caractère inédit de la contestation qui a débuté en décembre 2018. (…) Pour comprendre cette rupture, il faut revenir à ces fortes asymétries régionales qui marquent la trajectoire du Soudan. Elles s’inscrivent dans l’histoire longue du Soudan et notamment dans le schéma colonial qui concentre, dans les régions centrales, ressources politiques et économiques. Le développement colonial était organisé autour d’une agriculture d’exportation située dans les régions du centre principalement et autour de la formation intellectuelle d’une élite issue de ces mêmes régions qui, logiquement, a repris les rênes du pays après l’indépendance. » [2]

Cette tendance au développement inégal et combiné s’est accentué avec l’exploitation des gisements de pétrole au Sud Soudan dans les années 2000, accentuant les fractures sociales et géographiques du pays stout en favorisant l’émergence d’une couche de généraux se partageant la rente pétrolière. En effet, l’économie politique du régime politique soudanais se caractérise depuis par un régime rentier où les fractions rivales de l’appareil de sécurité (divisées entre armée régulière, sécurité intérieure et milices paramilitaires) se répartissent le pouvoir politique et économique avec l’appui du capitalisme impérialiste.

Si la redistribution de la rente pétrolière a permis un temps d’intégrer une frange des classes moyennes au régime politique, la base matérielle de cette économie de prébende a été mise à mal par la crise économique et l’assèchement des réserves de pétrole suite à l’indépendance du Sud Soudan en 2011. Avec le tarissement de ses flux de pétrole et d’argent, le régime a vu se rétrécir ses marges de manœuvres économiques et politiques. Las difficulté à entretenir ses réseaux clientélistes a déstabilisé l’équilibre précaire au sein des forces armées et le pacte qui liait le régime aux classes moyennes. Dans ce contexte, le régime a en effet rencontré des difficultés majeures pour maintenir la stabilité du « bloc historique » formé via l’alliance des classes moyennes.

Or, si les privations et les affres de la répression sont le lot commun des classes populaires, expliquant leur relative circonspection au début du mouvement, les classes moyennes, qui ont bénéficié de l’ouverture à la concurrence du pays dans les années 1990 et de la redistribution de la rente pétrolière, ont été directement heurtées par le tarissement des ressources économiques. Avec un budget de la défense qui consomme 70% du PIB et un régime rentier, la dégradation de la situation économique a provoqué l’exaspération des classes moyennes dont le niveau de vie a été amputé par la crise, débouchant sur une situation rapidement hors de contrôle une fois la jonction opérée avec les classes populaires de la périphéries.

Comme le souligne Raphaëlle Chevrillon-Guibert, ce sont donc ces populations autrefois favorisées par le développement économique provenant de la rente pétrolière qui se retrouvent aujourd’hui en tête de la contestation :  « On constate en effet que les contestations ont débuté dans des régions structurellement favorisées par le pouvoir, c’est à dire dans les territoires qui, au-delà d’une trajectoire de développement déjà historiquement en leur faveur, avaient bénéficié pleinement de l’embellie économique des années pétrolières. L’État avait construit des ponts, des routes, apporté massivement l’électricité. C’est aussi dans ces régions que les populations ont pu travailler, mener leurs affaires et éventuellement s’enrichir pendant les années 2000. Parallèlement, les régions périphériques comme le Darfour s’appauvrissaient avec la guerre et les déplacements massifs de populations. (...) Or ce sont précisément ces populations, associées à des opposants plus historiques comme les membres des syndicats ou des partis d’opposition locaux, qui sont descendues dans la rue à partir du mois de décembre 2018. »

Ce déplacement de sa base sociale est ce qui a profondément déstabilisé le régime, dépassant les forces armées au vu de l’ampleur et de la durée de la manifestation qui regroupent classes populaires, petite-bourgeoisie, étudiants, et en premier les femmes qui jouent un rôle moteur dans le soulèvement.

Dynamiques de classe dans la mobilisation

Cette dynamique de classe est particulièrement visible dans le processus du soulèvement soudanais, où ce sont les classes moyennes qui sont à la tête des mobilisations, notamment à travers plusieurs organisations qui servent de paravent, dont l’Association des Professionnels Soudanais (SPA), principal organisateur des mobilisations à travers les réseaux sociaux.

Toutefois, historiquement, comme dans tout processus révolutionnaire, la petite-bourgeoisie est incapable de jouer un rôle indépendant, et se retrouve dans une position ambivalente à l’égard des classes populaires et des classes dominantes, nourrissant l’illusion d’une transition pacifique et civile vers la démocratie via l’unité populaire. « Sa position intermédiaire entre les classes des grands capitalistes, des commerçants et des industriels, la bourgeoisie proprement dite, et la classe des prolétaires, lui imprime son caractère distinctif, écrit Engels. […]. Sans cesse ballotée de la sorte, entre l’espoir de s’élever aux rangs de la classe la plus riche et la peur d’être réduite à l’état de prolétaire, ou même à celui d’indigent, entre l’espoir d’avancer ses intérêts par la conquête d’une part dans la direction des affaires politiques, et la crainte de provoquer par une opposition intempestive la colère d’un gouvernement qui disposer de son existence même, puisqu’il peut lui enlever ses meilleurs clients, possédant peu de moyens et dont l’insécurité est en raison inverse de la grandeur, cette classe a les vues les plus vacillantes. » [3]

Une situation qui se retrouve aujourd’hui dans la position pendant longtemps conciliatoire et attentiste de la petite-bourgeoisie envers l’armée. Interrogé par le Nouria Reasearch Center, Magdi el Gizouli, chercheur, rappelle : "Leur intention initiale était de soumettre à l’étude une liste de demandes au Parlement dans le cadre d’une manifestations de professions libérales. La tournure des événements en décembre 2018 les a poussés à adopter une nouvelle stratégie. C’est ainsi qu’ils ont rédigé une déclaration surnommée " Déclaration sur la liberté et le changement ", demandant la démission immédiate du président el-Béchir et de son gouvernement et la formation d’un " gouvernement national de transition " composé de " technocrates ". (...) Cette formulation : le retrait d’un souverain et l’idée de "technocrates" gouvernant pour une période de transition est la codification standard d’un "coup d’Etat". L’acte décisif du renversement du dictateur est confié à un officier militaire qui est censé aligner l’armée sur les intérêts du mouvement de protestation, désormais considéré comme un agent de la volonté populaire." [4]

Cette situation attentiste et conciliatoire la petite-bourgeoisie s’est par ailleurs répétée historiquement au Soudan, la petite-bourgeoisie optant à deux reprises pour une direction bonapartiste après un processus révolutionnaire, en 1969 et en 1985, et en faveur des réformes néolibérales qui ont reposé sur "l’accumulation par dépossession" des populations agricoles de la périphérie.

Et maintenant, vers une guerre civile ?

Désormais, toute illusion sur le rôle de l’armée est levée. Avec la répression sanguinaire qui a causé la mort de plus d’une centaine de personnes, le conflit menace désormais d’entrer dans une nouvelle phase – possiblement une guerre civile. Acculé par les menaces de grève générale qui se sont multipliées et les appels à poursuivre les sit-in, l’appareil militaire, déjà divisé et qui menace de se fissurer, a opté pour une répression sans pitié. Comme le résume l’éditorialiste britannico-soudanaise Nesrine Malik : « Ce avec quoi a affaire la révolution soudanaise aujourd’hui, c’est le cœur même du gouvernement de Bachir distillé dans ses parties essentielles : des réseaux de favoritisme avec trop à perdre, des milices devenues trop grandes pour être dissoutes, et de sales affaires avec des alliés régionaux trop importants pour être jetées à la mer. »

En effet, la dictature militaire en place jouit du soutien des régimes réactionnaires de la région : Egypte, Arabie-Saoudite et Emirats Arabes Unis. Premièrement, d’un point de vue géopolitique, ces pays cherchent à étendre leur influence dans la région et assurer la main-mise sur les ressources agricoles et minières du Soudan, qui a fait de ces activités les principales ressources de son développement après l’assèchement de la rente pétrolière. Secondement, le contrôle de ressources économiques va de pair avec le contrôle d’un espace géopolitique clé qui s’étend autour de la Mer Rouge et permet de renforcer le poids de ces pays en Libye. Troisièmement, d’un point de vue politique, tous ces régimes réactionnaires qui soutiennent le Soudan ont un intérêt direct à étouffer tout processus révolutionnaire qui pourrait déstabiliser leur propre pays et inspirer la région, à l’instar du Printemps Arabe de 2011 – c’est le cas notamment de l’Egypte, dirigée par Al-Sissi, général tout droit sorti du ventre de la contre-révolution. En somme, comme le souligne le Washington Post : « Les dirigeants militaires soudanais tirent des " leçons de l’impunité dont jouissent Mohammed bin Salman et Sissi, le prince héritier saoudien, pour assassiner des opposants qui les soutiennent aujourd’hui ", a déclaré Timothy Kaldas, un analyste du Tahrir Institute for Middle East Policy basé au Caire, dans Today’s WorldView. "Leur soutien par des autorités régionales qui ont elles-mêmes échappé aux conséquences d’une répression violente de leurs opposants les a peut-être encouragés à suivre leur exemple et à utiliser une force meurtrière contre les manifestants au Soudan. " »

Les grandes puissances ne sont pas en reste de leur côté. Les Etats-Unis, qui ont pour alliés directs l’Arabie Saoudite dans la construction d’un arc anti-Iran au Moyen-Orient, ne vont pas plus loin que quelques timides dénonciations, tandis que la France a pour principal partenaire de son commerce d’armement des pays comme l’Égypte ou l’Arabie Saoudite. Quant à la Chine, le Soudan leur doit plusieurs milliards de dollars en pétrole. De même, la Russie cherche à protéger les mines qu’elle possède au Soudan. Clapirfaçon lapidaire Clément Deshayes : « Ce régime honni est en réalité bien protégé. »

***

L’euphorie provoquée par le soulèvement ayant entraîné un moment l’illusion d’une unité d’intérêts entre les différentes classes est rapidement retombée après la répression sanglante de l’armée. « Mais c’est le sort de toutes les révolutions, écrivait Engels, que cette union de différentes classes, qui jusqu’à un certain point est la condition nécessaire de toutes révolution, ne peut être de longue durée. La victoire n’est pas plutôt remportée sur l’ennemi, que les vainqueurs se divisent en camps opposés et tournent leurs armes les uns contre les autres. C’est ce développement rapide et passionné de l’antagonisme des classe qui, dans les organismes vieux et compliqués, fait d’une révolution un si puissant agent de progrès social et politique ; c’est cet incessant et vif jaillissement de partis nouveaux, se relayant au pouvoir, qui, pendant des commotions violentes, fait franchir à une nations plus d’étapes en cinq années qu’elle n’eut fait du chemin en cent ans dans des circonstances ordinaires. » 5

Toutefois, le processus révolutionnaire qui s’est ouvert il y a quatre mois au Soudan, et qui s’inscrit dans le prolongement de cette décennie d’ébullition, n’est pas pour autant retombé. La crise économique ouverte suite à l’assèchement des réserves en pétrole, ont contraint le régime à se resserrer sur un cercle étroit de généraux corrompus, aiguisant les tensions au sein de l’appareil de sécurité, tandis que la hausse du coût de la vie a engendré la colère des classes moyennes qui se sont alliées aux classes populaires. L’ampleur et la durée du mouvement, en dépit des exactions brutales des derniers jours ont ainsi en partie dépassé les forces armées : les espoirs du peuple soudanais ne sont pas encore brisés, et les manifestants ont réitéré leur détermination et ont démontré tout leur courage en appelante à poursuivre les manifestations.

Bien que la tradition marxiste joue un rôle structurant au Soudan, l’absence d’un parti révolutionnaire capable de former un bloc contre-hégémonique autour de la classe ouvrière et ses alliés, luttant pour gagner les classes moyennes à un projet révolutionnaire, est aujourd’hui un obstacle central qui mine le processus révolutionnaire. En dépit de ces limites toutefois, ce mouvement démontre à quel point la détermination du peuple soudanais est un exemple héroïque pour les mouvements révolutionnaires à travers le monde. Dans cette époque de crise, guerre et révolutions, la jeunesse, les classes populaires, le monde du travail, les femmes surtout – en tête des manifestations – ont montré leur courage et leur détermination, manifestant vaillamment pendant plus de quatre mois et ayant réaffirmé leur détermination à ne pas se laisser voler leur révolution.


[1Le bonapartisme sui generis définit, selon Trotsky, un régime politique dans lequel le capital étranger joue un rôle décisif pour appuyer un pouvoir autoritaire qui tente de s’élever au-dessus des classes, louvoyant entre le capital étranger et national : « Dans les pays industriellement arriérés, le capital étranger joue un rôle décisif. D’où la faiblesse relative de la bourgeoisie nationale par rapport au prolétariat national. Ceci crée des conditions particulières du pouvoir d’État. Le gouvernement louvoie entre le capital étranger et le capital indigène, entre la faible bourgeoisie nationale et le prolétariat relativement puissant. Cela confère au gouvernement un caractère bonapartiste sui generis particulier. Il s’élève pour ainsi dire au‑dessus des classes. En réalité, il peut gouverner, soit en se faisant l’instrument du capital étranger et en maintenant le prolétariat dans les chaînes d’une dictature policière, soit en manœuvrant avec le prolétariat et en allant même jusqu’à lui faire des concessions et conquérir ainsi la possibilité de jouir d’une certaine liberté à l’égard des capitalistes étrangers. La politique actuelle du gouvernement en est au second stade : ses plus grandes conquêtes sont les expropriations des chemins de fer et de l’industrie pétrolière. » Léon Trotsky, L’industrie nationalisée et la gestion ouvrière, juin 1938

[2Économie politique du régime et de la révolte. Clientélisme, asymétrie et injustice dans la dynamique protestataire. Entretien avec Raphaëlle Chevrillon-Guibert par Clément Deshayes | 1 janvier 2019

[3ENGELS, Friedrich. Révolution et contre-révolution en Allemagne.

[4Class Dynamics, Dissemination of the Sudanese Uprising. Entretien avec Magdi el Gizouli



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