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Guerre en Ukraine

Retrait des troupes russes de Kherson : un nouveau revers pour Poutine

Le retrait des troupes russes de la ville stratégique de Kherson marque un revers important pour Poutine. Plus le conflit avance, plus Poutine s’enlise.

Irène Karalis

10 novembre 2022

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Crédits photo : Celestino Arce / AFP

Seule capitale régionale conquise en mars lors de la première offensive russe, Kherson devait servir de point d’appui pour avancer plus tard vers Odessa et la Transnistrie. Ce mercredi, le ministre de la défense russe a annoncé le retrait des troupes de la ville ainsi que des 4800 km2 environnants. Depuis l’annexion des quatre oblasts du sud-est de Kherson, Zaporijia, Donetsk et Luhansk, Kherson était pourtant devenue une des villes les plus importantes de l’invasion russe et Poutine avait même promis de la défendre « par tous les moyens ». Finalement, ces plans ont été défaits par la contre-offensive ukrainienne. Alors que Kherson était la seule ville contrôlée à l’ouest du Dniepr par les Russes, à la fin de l’été, les forces ukrainiennes ont mené une opération pour encercler les troupes russes, bombardant les ponts utilisés par Moscou pour ravitailler les forces à Kherson et encerclant la ville.

Décrivant le retrait comme une simple « manœuvre » ayant pour but de « défendre la population » selon les mots du chef du parti présidentiel Andreï Tourtchak, l’exécutif politique et militaire russe cherche clairement à minimiser sa portée politique. L’opération a été évoquée au détour d’une réunion sur la situation militaire retransmise en direct à la télévision d’Etat russe, quand le général Sergueï Sourovikine a expliqué que « maintenir [les troupes russes] sur la rive droite ne ser[vait] à rien. » Ce à quoi le ministre de la défense Sergueï Choïgou a répondu, digne d’un comédien : « Je suis d’accord avec vos conclusions et vos propositions. Procédez au retrait des troupes. »

En réalité, derrière ce retrait se cache la volonté d’éviter une bataille qui aurait pu être une humiliation pour la Russie et d’éviter des pertes inutiles. Les militaires russes ont toujours en tête la débâcle de Kharkiv, après laquelle les troupes russes ont laissé derrière eux armes et équipement, au plus grand bonheur des Ukrainiens. Mais politiquement, la perte de Kherson pourrait coûter cher à Poutine.

Une victoire importante pour l’Ukraine

Depuis le mois de septembre, la contre-offensive ukrainienne a remporté plusieurs succès. Elle a permis de reprendre une partie importante de l’oblast de Kharkiv ainsi que des villes importantes telles que Balakliya, Kupyansk et Izium, ville centrale du fait de son placement sur les routes d’approvisionnement des troupes russes. Aujourd’hui, si une partie des forces ukrainiennes appelle à la prudence, redoutant un possible piège laissé par les Russes à Kherson, le retrait des troupes russes de la ville constitue une nouvelle victoire pour le camp adverse.

Deux éléments ont permis cette contre-offensive : la fuite des troupes russes et les aides militaires fournies par l’OTAN, à l’instar des missiles Himars de fabrication américaine. Prouvant une fois de plus le rôle de l’OTAN, ces éléments montrent le caractère international du conflit et permettent à l’Ukraine de se positionner différemment face à la presse et aux gouvernements occidentaux. Mais l’arrivée de l’hiver et le redéploiement des troupes russes vers l’Est risque de compliquer les choses pour l’armée ukrainienne et de rendre de futurs succès plus difficiles.

Si cette victoire ukrainienne va sans aucun doute contribuer à ce que certains gouvernements occidentaux, notamment dans les Etats impérialistes européens, fassent plus « d’efforts » pour aider l’Ukraine, d’autre part il reste à voir quelle sera la réaction du Kremlin en cas de déroute. Si la défaite à Kherson se traduit par des pertes humaines et matérielles trop lourdes il est possible que la Russie tente de répondre avec des bombardements encore plus forts en Ukraine. Et le risque nucléaire, même si limité, est toujours présent.

Un énorme revers pour la Russie

Partout dans la presse, le retrait des troupes russes de Kherson est analysé comme un des plus importants revers pour Poutine depuis le début de la guerre. Militairement, la ville constituait en effet une pièce maîtresse dans son ambition d’avancer vers Odessa. Boris Rozhin, analyste militaire russe, va même jusqu’à qualifier le retrait de « défaite militaire la plus sérieuse depuis 1991 ».

Mais c’est sur le terrain politique que ce retrait pourrait coûter le plus cher à Poutine, en sapant le moral des Russes et en rendant plus difficile pour Moscou le fait de présenter l’invasion de l’Ukraine comme une victoire. De plus, le retrait des troupes donne du grain à moudre aux secteurs les plus radicaux de la classe politique russe, pour qui la politique militaire de Poutine est trop timorée. Le militaire Yuri Kotyonok écrit ainsi sur les réseaux : « Cette décision est choquante pour des milliers et des millions de personnes qui se battent pour la Russie, meurent pour la Russie, croient en la Russie et partagent les convictions du monde russe. »

Enfin, le retrait de Kherson risque une fois de plus de mettre Poutine en porte-à-faux vis-à-vis de sa population. Boris Rozhin explique ainsi dans un post Telegram : « S’il n’y a pas de succès à venir avec des villes importantes capturées et aucune avancée pendant l’offensive d’hiver, la série de revers militaires accumulerait un mécontentement interne bien plus important que les sanctions. » Et pour cause : les rapports décrivant les échecs de l’armée russe, ses lourdes pertes matérielles et humaines ainsi que les défaillances de l’armée en termes de formation comme d’équipement n’ont pas arrêté de se multiplier depuis le début de la guerre. Ce, cumulé à une possible extension de la mobilisation des réservistes au fur et à mesure que la guerre s’enlise, pourrait faire éclater le mécontentement qui couve dans la population.

Le retrait de Kherson marque donc une nouvelle étape dans les difficultés de l’armée russe. Plus la guerre avance, plus les possibilités d’une victoire russe s’éloignent et plus la stabilité du régime est menacée, raison pour laquelle Poutine a bien soigneusement évité de se montrer à la réunion annonçant le retrait, cherchant à tout prix à se dédouaner de la débâcle. Et plus cela offre aux secteurs les plus réactionnaires la place pour défendre l’utilisation de l’arme nucléaire. Seule une voie par en bas, de la classe ouvrière et de la population russe, pourra offrir une perspective progressiste à la guerre et à ses horreurs.


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