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Enquête

Répression syndicale : au lycée Victor Hugo, la direction « liquide tous ceux qui militent »

En grève depuis le 16 janvier, une partie de la vie scolaire du lycée Victor Hugo à Marseille dénonce la suspension d’un de leurs collègues syndicaliste. Après avoir discriminé les lycéennes musulmanes, la direction du lycée s’attaque aux militants syndicaux de l’établissement.

Matteo Falcone


et Raji Samuthiram

27 février 2023

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Depuis le 16 janvier, une partie de la vie scolaire du lycée Victor Hugo, situé à Marseille, est en grève pour soutenir un de leur collègue actuellement suspendu, Emmanuel Roux, surveillant et secrétaire de l’UL CGT centre-ville. Déjà, l’année dernière, trois surveillants avaient été mis à la porte pour avoir rapporté des faits de racisme au sein de l’établissement. Cette année après avoir discriminé les lycéennes musulmanes, la nouvelle direction de l’établissement s’attaque à l’une des figures du mouvement et s’en prend à « tous ceux qui militent ».

Un délégué syndical, figure des luttes des AED, réprimé

Les lycéens et les surveillants dénonçaient déjà la situation depuis un certain temps. En janvier 2022, six surveillants rapportent des propos à caractère raciste qu’une professeure de l’établissement aurait prononcé à ses élèves. En résulte une extrême tension au sein de l’établissement : harcèlement moral, remarques racistes et sexistes envers les surveillants de la part de professeurs et de membre de la direction. À la fin de l’année, trois des six surveillants seront remerciés (non-renouvellement de leur CDD).

Le 14 novembre 2022, un courrier est adressé au rectorat de l’académie d’Aix-Marseille de la part des sections syndicales CGT et SUD, soutenues par tous les personnels d’éducation élus au Conseil d’Administration du Lycée Victor Hugo. Il rapporte des propos racistes et sexistes prononcés par le chef d’établissement sur lesquels nous étions revenus dans notre premier article.

Mais ce courrier dénonce aussi une « répression syndicale » à venir, faisant référence à un audit réalisé suite aux évènements de l’année précédente : « Dans les circonstances de l’espèce, elles ne peuvent que se demander si les conclusions de l’audit n’auraient pas été écrites à l’avance ; elles ne peuvent que s’attendre à une répression syndicale, sous la forme de sanctions ou de sanctions déguisées en mutation dans l’intérêt du service, qui ne peuvent être acceptées. » En effet, les accusations de répression syndicale dans l’Éducation Nationale et la fonction publique se multiplient depuis des années, et les audits représentent généralement un premier tournant redouté.

Malheureusement, au lycée Victor Hugo, cette répression n’aura pas manqué : le 16 décembre, Emmanuel Roux, surveillant et secrétaire général de l’union locale CGT centre-ville, apprend sa suspension. La direction affirme qu’il aurait été « menaçant » et qu’il est écarté pour « manquement grave à vos obligations de service, notamment en termes de probité et de posture professionnelle. » Des faits que réfute complètement le délégué, ainsi que ses collègues en grève depuis le 16 janvier pour le soutenir. Le conseil de discipline du surveillant mis en cause est prévu pour le 20 mars.

Contactée par nos soins à propos de cette convocation, la direction du lycée nous a laissé sans réponse. Le rectorat, de son côté, a refusé de nous répondre. Pour Emmanuel Roux, il s’agit avant tout de discrimination syndicale : « Le conflit qu’on vit actuellement, il date déjà depuis un long moment. Il a commencé il y a plus de 2 ans quand on a commencé des mobilisations sur les statuts des AEDs. » En effet en 2021, le lycée Victor Hugo a été le point de départ d’importantes mobilisations des vies scolaires partout en France. Les grévistes avaient obtenu le CDI au bout de six ans et la prime REP+, même si celle-ci n’est pas encore appliquée également ni pour tous, notamment pour les surveillants aux lycées et les professeurs nouveaux entrants. Une victoire insatisfaisante mais importante décrochée par ces contractuels et donc travailleurs précaires de l’éducation nationale.

De fait Emmanuel Roux était donc devenu une figure de ce mouvement, tout autant comme l’année dernière lorsqu’il avait défendu ses trois collègues mis à la porte après avoir rapporté les pratiques stigmatisantes en cours au sein de l’établissement. « Manu est une figure syndicaliste importante notamment dans le lycée, c’est pour ça qu’il est visé ! » nous confie Elias, AED depuis trois ans au sein de l’établissement en grève pour soutenir son collègue. Pour Emmanuel Roux : « Je pense que l’objectif de la direction c’est de liquider tous ceux qui militent, syndicalistes en priorité mais aussi tous ceux qui militent, qui ont des revendications à faire valoir. »

Cette déferlante s’est récemment illustrée avec le dépôt d’une plainte du proviseur et de la proviseure adjointe contre le délégué syndical pour outrage. S’en est suivi une convocation le vendredi 17 février au commissariat du 3ème arrondissement, classée sans suite immédiatement par la justice. Cette démarche témoigne d’une véritable volonté d’acharnement, afin d’empêcher le syndicaliste de revenir au sein de l’établissement.

Une situation qui impacte directement le surveillant : « La situation est assez invivable, je suis père de famille, de deux petites. Cet acharnement, ça finit toujours par vous atteindre. » Au-delà de la pression ressentie, Emmanuel Roux craint également pour sa situation économique : « Si en plus de ça vous rajoutez que les perspectives pour l’année prochaines c’est d’aller m’inscrire à Pôle Emploi, ça rend la vie assez compliquée. »

Canal Telegram : @revolution_permanente

Une grève pour soutenir un collègue et pour dénoncer l’actuel système scolaire

« On s’est mis en grève reconductible depuis le 16 janvier, pour soutenir notre collègue suspendu injustement dans une vague de répression syndicale » nous déclare Djenab Barry, surveillante depuis septembre 2021 au sein de l’établissement. Au centre de cette grève de cinq surveillants du lycée, soutenus par les syndicats, la réintégration de leur collègue et la dénonciation d’un climat de tensions et de répression syndicale. Djenab Barry poursuit : « Avec ce qui c’est passé l’année dernière, la nouvelle direction, quand elle est arrivée, avait beaucoup d’a priori sur les surveillants de la vie scolaire. Très vite, elle a voulu casser le mouvement syndicale au sein du lycée. »

Pour Elias, surveillant depuis trois ans, actuellement en grève : « Depuis qu’on a obtenu la CDI-sation des contractuels et la prime Rep et Rep+, on à l’impression que le rectorat veut nous le faire payer ! », il témoigne : « On nous met complètement à l’écart des élèves, on nous enlève notre titre d’assistants d’éducation, on nous donne seulement des tâches de surveillance, on n’est plus dans l’essence même de notre métier ». Une ambiance de travail qui impacte directement les travailleurs de la vie scolaire : « J’ai déjà été en arrêt maladie cette année parce que ce n’était pas possible au travail, il y a une certaine crainte d’être encore ciblé comme l’as été mon collègue. » Il renchérit « Toute forme de solidarité est réprimée, les autres AED et professeurs ont peur de nous soutenir ! »

Une criminalisation de la solidarité qui serait même allée jusqu’à la confiscation d’une caisse de grève départementale datant de l’année dernière par le proviseur de l’établissement. Il aurait été contraint de la rendre après un rappel à l’ordre de la part du rectorat, suite aux plaintes des syndicats auprès de ce dernier.

Les AED pointent aussi du doigt un système scolaire à bout de souffle, qui discrimine les élèves en fonction du quartier où ils étudient ainsi qu’un manque de moyen criant : « vie scolaire délabrée », « absence de profs dans certaines matières principales », « absence d’une salle de travail pour les élèves ». Pour Emmanuel Roux : « Les minots de nos quartiers de fait seront discriminés par la sélection sociale et les mauvaises conditions, il n’y a absolument pas d’égalité entre eux et ceux des beaux quartiers », avant de conclure « c’est vrai que dans l’éducation nationale, ce qui est le plus simple quand y a des problèmes c’est de virer les précaires plutôt que de poser les problèmes de fond qui touchent aux élèves. »

Mais si la direction semble déterminer à chasser syndicalistes et militants, ceux-ci ne baissent pas les bras pour autant. Alors que les facs et les lycées commencent à se mobiliser contre la réforme des retraites, la bataille à Victor Hugo témoigne de l’acharnement de l’éducation nationale contre celles et ceux qui dénoncent les offensives réactionnaires de ce gouvernement.

La casse de l’éducation publique conduit à une accentuation de la répression contre les travailleuses et les travailleurs de l’éducation nationale, dont le lycée Victor Hugo s’illustre comme une véritable pointe avancée. Non-renouvellement, mise à la porte de travailleurs militants ou syndicalistes, criminalisation de la solidarité… toutes ces démarches représentent des moyens pour le gouvernement de se prévenir des mobilisations futures.


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