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France Insoumise

Réorganisation de LFI : le coup de force de Mélenchon ouvre une profonde crise interne

Ce week-end, la France Insoumise réunissait une « Assemblée représentative » qui a abouti à une réorganisation de LFI écartant des figures du mouvement. Piloté par la direction de LFI, ce nouveau coup de force a ravivé la crise qui couve depuis plusieurs années autour de la démocratie en interne.

Paul Morao

13 décembre 2022

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En organisant la convocation du nouvel organe de direction du parti la semaine dernière, Jean-Luc Mélenchon ne s’attendait surement pas à provoquer une telle crise. Pourtant, depuis vendredi dernier, le lancement de « l’Assemblée représentative » a fait exploser les critiques contre le leader insoumis et son bras droit Manuel Bompard. Celles-ci viennent y compris de son premier cercle, dont Mélenchon semble avoir entrepris d’écarter un secteur.

Si la pratique est habituelle chez ce dernier, qui a régulièrement fait monter puis exclu certains de ses proches ces dernières années (la dernière « purge » de 2019 ayant abouti à l’exclusion de François Coq et Charlotte Girard), la crise qui s’est ouverte pourrait prendre une ampleur nouvelle. Alors que l’organisation est fragilisée par, l’affaire Quatennens, la crise en cours rouvre le sujet autour de la démocratie interne au mouvement.

« Assemblée représentative » : une réorganisation bureaucratique du mouvement

Samedi 10 décembre, LFI organisait la première réunion de son « Assemblée représentative ». Cet organe de direction, qui devrait se réunir au moins deux fois par an, succède aux « Conventions » qui existaient jusqu’alors. Il rassemble « les membres de la Coordination des espaces, le binôme paritaire en charge de l’animation de chaque pôle du mouvement, ainsi qu’un·e insoumis·e par département tiré·e au sort parmi les animateur·rices de groupes d’action certifiés ».

Pour sa première convocation ce week-end, les délégués devaient notamment discuter et approuver « la nouvelle organisation du mouvement ». Face à ce coup de force, des députés du mouvement ont dénoncé l’opacité de cette Assemblée lancée à l’issue de réunions de membres de la Coordination des espaces, accusés d’avoir mené leurs réflexions en « vase-clos », avant d’en dévoiler les conclusions à la presse le 10 novembre dernier.

Comme le rapporte Mediapart : « les figures du mouvement contactées par Mediapart affirment n’avoir pas été tenues informées de l’avancée des débats, alors que la composition d’une nouvelle direction est en jeu. (…) » Une opacité de la prise de décision à laquelle s’ajoute une méthode de sélection par tirage au sort qui a suscité des interrogations au sein du mouvement. Le Monde souligne ainsi : « une centaine de militants expérimentés ont donc été tirés au sort pour participer à l’assemblée de samedi, un par département. Le choix des émissaires fait jaser en interne : un tel est proche de tel député parmi les plus loyalistes, un autre suppléant d’une députée elle aussi très « lignarde ». »

Enfin, c’est la réorganisation présentée à cette Assemblée en elle-même qui a suscité des critiques. En effet, celle-ci acte la reconduction d’une structure bicéphale reposant, d’un côté, sur un organe opérationnel, la « Coordination des espaces », véritable direction du mouvement dont sont écartées de nombreuses figures, et, de l’autre, sur un « Conseil politique » à vocation consultative. Si des députés du mouvement et des représentants de structures politiques satellites de LFI, du REV au POI en passant par Picardie Debout pourront y siéger, une partie d’entre eux y voient un cadre artificiel, qui les écarte de facto du véritable lieu de décision qu’est la Coordination des espaces. D’autres pointent le fait que ce Conseil n’était pas initialement prévu, et qu’il n’aurait été créé que pour donner le change aux figures écartées de l’instance centrale…

Une crise d’une ampleur inédite ?

Les premières critiques publiques de ces éléments ont été portées par quelques figures du mouvement. Clémentine Autain a notamment été une des principales voix de la dénonciation de cet état de fait. La députée, figure du mouvement mais membre d’une organisation en son sein, la Gauche écosocialiste (ex-Ensemble), a tancé dès vendredi la réorganisation. Dans une interview à Libération ce week-end elle détaille ses critiques :

« Nous avions une responsabilité : ouvrir les portes et les fenêtres de LFI pour transformer le mouvement et passer un cap de massification. Après trois mois de travail à huis clos, et malgré des avancées, je constate que le repli et le verrouillage ont été assumés de façon brutale. Les militants n’ont pas eu voix au chapitre alors qu’ils devraient être les acteurs principaux du mouvement. La direction a été choisie par cooptation, ce qui favorise les courtisans et contribue à faire taire la critique. Aucun effort de pluralisme n’a été fait dans sa composition. »

Des éléments qui prolongent un billet publié au mois de juillet sur la nécessité de « Consolider la NUPES » en assurant le pluralisme en son sein. Une contribution à l’époque reçue en interne comme une attaque contre la direction et Mélenchon. Dans le détail, Libération rapporte cependant que Clémentine Autain avait choisi dans un premier temps de jouer le jeu de la réorganisation : « Jusqu’à mercredi, elle était presque sûre d’être intégrée à la direction. Manuel Bompard lui-même le lui avait dit. « J’ai postulé pour être dans le pôle communication, on m’a dit que Sophia Chikirou était déjà dessus donc j’ai dit que j’étais disponible pour d’autres tâches et je n’ai aucune nouvelle à ce jour » ».

A ces sorties se sont ajoutées celles de François Ruffin. Le député, lui aussi historiquement un « franc-tireur » dans l’orbite de Jean-Luc Mélenchon, qui ne cache sa volonté de préparer une candidature à la présidentielle pour 2027 a critiqué dans les médias samedi le fait d’avoir été écarté. « « Au départ, je pensais que j’allais être seul sur le banc de touche, et puis finalement, je vois que la moitié de l’équipe reste au vestiaire » a-t-il expliqué samedi sur LCI, avant d’expliquer : « je vais discuter avec mes camarades pour voir quelle attitude on peut avoir sur le sujet » et de dénoncer un « rétrécissement ». De son côté, la député européenne LFI Leïla Chaibi, a également dénoncé une quasi « purge ».

Or, la dénonciation de la réorganisation s’est également étendue cette fois à des proches historiques de Jean-Luc Mélenchon. Alors que Eric Coquerel, Alexis Corbière ou Raquel Garrido sont écartés du nouvel organigramme, cette dernière a par exemple tancé sur Twitter : « Donner voix au chapitre aux insoumis dans leur parti-mouvement, c’était la demande générale et la raison d’être d’une restructuration. Cette demande n’a pas été considérée pour le moment. Qui a peur des militants ? » Dans Le Figaro elle complète en critiquant ouvertement Jean-Luc Mélenchon : « Jean-Luc Mélenchon nous a invités au printemps à faire mieux. Il nous a dit qu’il allait devoir être remplacé ! Tout le monde doit être loyal à notre histoire commune. Lui compris. Le pire serait qu’on se retrouve sans candidat en 2027, après avoir déçu et dégoûté beaucoup de militants par nos méthodes… » De son côté, Eric Coquerel demande à ce que « soit représentée dans la direction toute la nuance du mouvement ».

Des critiques acerbes et inhabituelles de la part de membres (ou ex-membres ?) du noyau autour de Mélenchon, qui rappelle fortement les « purges » passées. Or, rarement celles-ci n’avaient pris d’emblée une telle ampleur. En 2019, l’exclusion de fait de François Coq s’était d’abord faite à bas bruit avant d’être « officialisée » par le dirigeant insoumis dans un tweet rageur le qualifiant de « nationaliste ». De son côté, Charlotte Girard, co-rédatrice de L’avenir en commun, était partie d’elle-même en dénonçant le manque de démocratie interne. Un départ qui n’avait pas suscité beaucoup de réaction des frondeurs actuels.

A la différence de cette dernière, ceux-ci expriment cependant clairement leur volonté de porter une perspective différente de la direction autour de Jean-Luc Mélenchon. Dans ce cadre, l’opposition naissante qui mêle les critiques de secteurs historiquement à l’écart du cercle central de LFI et des proches « purgés » pourrait ouvrir une crise d’une ampleur nouvelle dans le mouvement. Si les références à une « implosion » grossissent le niveau actuel de crise, celle-ci pourrait aller en s’amplifiant et ébranler le leadership mélenchonien, autour duquel s’est structurée l’organisation « gazeuse ».

Fragilisée par l’affaire Quatennens, LFI face à la crise de son fonctionnement anti-démocratique

Ce dernier est déjà fragilisé ces derniers mois par l’affaire Adrien Quatennens, qui a été condamné ce mardi à 4 mois de prison avec sursis pour des faits de harcèlement et de violence envers son ex-compagne, qui dénonce par ailleurs des « violences physiques » « depuis plusieurs années. » Tout au long de celle-ci, l’attitude de Jean-Luc Mélenchon a été une défense unilatérale de son ancien dauphin, allant jusqu’à organiser son retour discrètement. Si cette tentative a été battue en brèche par les déclarations de Céline Quatennens, elle a également suscité de fortes tensions en interne entre une aile favorable au retour autour de Jean-Luc Mélenchon et Manuel Bompard et des secteurs plus gênés par cette perspective.

Alors que le débat autour de Adrien Quatennens devrait se rouvrir dans les jours et semaines à venir, il pourrait se superposer et approfondir la crise autour du fonctionnement interne. L’affaire avait déjà mis en lumière les méthodes de clique qui règnent au sein de LFI, Mélenchon se permettant le jour des « aveux » de Quatennens de lui réitérer publiquement toute sa confiance malgré l’absence d’enquête interne.

La fragilité actuelle est inscrite dans la structuration historique du mouvement, dont la réorganisation récente constitue in fine une continuation directe. La France Insoumise a en effet toujours cherché à garantir au maximum la mainmise pleine et entière du cercle de dirigeants adoubés par Jean-Luc Mélenchon. Comme le note Manuel Cervera-Marzal dans Le populisme de gauche que nous citerons longuement :

« Pour échapper au contrôle que l’appareil pourrait exercer sur son créateur. Mélenchon a souvent expliqué avoir créé la France insoumise afin de se débarrasser des « baronnies » militantes qui entravaient son action au sein du Parti de gauche. (…) La « charte des groupes d’action de la France insoumise a été conçue à cette fin : les groupes locaux sont sommés de se diviser dès qu’ils atteignent plus de quinze membres ; ils ont l’interdiction de créer des structures intermédiaires permanentes ; ils doivent se soumettre à une procédure de « certification » dont les modalités ne sont pas indiquées, pas plus que l’organe qui délivre ladite certification ; ils disposent d’une aide financière en fonction des initiatives qu’ils mettent en œuvre et à condition d’obtenir l’accord du mouvement, autrement dit ils n’ont aucun fonds propre. (…)

Au niveau national, la direction insoumise entrave la formation de fractions dissidentes. Deux modalités de prise de décision empêchent l’apparition de contestations. La première est le vote en ligne sur un texte unique préétabli par la direction. Le résultat, qui dépasse systématiquement les 80 % d’approbation, traduit un mécanisme à vocation plébiscitaire. (…) La seconde modalité de décision est exposée dans le quatrième des onze principes de la France insoumise : « Les prises de décisions par consentement sont privilégiées afin d’éviter les écueils liés aux clivages et aux mises en minorité » De facto, les insoumis décident beaucoup plus au consensus qu’au vote. Ils justifient ce choix par un souci de « bienveillance » et d’« inclusion ». Mais, dans la pratique, le recours au consensus, ou à son apparence, se révèle surtout un moyen efficace de préserver le pouvoir du leader. »

Un fonctionnement dont la réorganisation n’est qu’un énième avatar [2], qui a historiquement été justifiée par des impératifs « d’efficacité » et a impliqué la dépolitisation de la majeure partie des cadres politiques. Ainsi des « Conventions », ersatz de Congrès où le poids des délégués des différentes franges du mouvement a été consciemment dilué en s’appuyant sur le tirage au sort. Une absence de possibilité d’expression interne pointée du doigt en 2019 par plusieurs dizaines de militants dont Charlotte Girard :

« Aucune véritable instance de décision collective ayant une base démocratique n’a été mise en place. Ceci ne signifie pas que les membres de la France Insoumise ne soient pas consultés, ne puissent pas donner leur avis (consultations en ligne sur les programmes ou sur les campagnes, conventions) ou ne puissent pas s’impliquer dans le travail national au travers notamment les équipes thématiques. Mais les décisions stratégiques fondamentales sont finalement prises par un petit groupe de personnes, dont on ne connaît même pas précisément la démarcation - prérogatives, champ d’action, identité, statut ­ sans qu’ils aient pour autant reçu de véritable délégation de la part du mouvement pour le faire. »

Mélenchon persiste et signe

Un cadre qui fait de la coordination opérationnelle de la ligne imposée par Jean-Luc Mélenchon le seul mode de participation envisageable pour les cadres que le leader insoumis a réaffirmé ce lundi. Dans un billet de réponse à la polémique ouverte sur son blog, il explique :

« la « coordination des espaces » de la France Insoumise est une structure opérationnelle. Son objet est de fédérer l’activité de secteurs d’action. Ceux-ci ont par ailleurs un fonctionnement autonome. Son rôle est de coordonner, comme son nom l’indique. Rien à voir donc avec un « bureau politique » ou un salon de rencontres aigres entre courants et sous-courants. » Et de s’en prendre à ceux dont « la veille et le lendemain de notre évènement », l’« intérêt est seulement pour le dénigrement » et qui seraient animés par la seule « angoisse de perdre de la lumière médiatique à leur profit. »

De son côté, Manuel Bompard répondait ce lundi sur France Inter : « la volonté de La France insoumise, c’est de construire un mouvement qui n’est pas un parti politique traditionnel, et nous avons des formes de désignation de nos équipes de direction qui ne sont pas les mêmes que les autres, ça ne veut pas dire qu’elles sont moins collectives ou moins démocratiques. »

Une manière de botter en touche qui masque mal la profondeur de la crise qui s’est ouverte. Si celle-ci est d’abord le fait de cadres écartés par le fonctionnement actuel, qu’ils avaient jusqu’alors largement accepté, dans un contexte d’affaiblissement de la figure de Mélenchon et de luttes de succession elle pourrait avoir de profondes conséquences. Des conséquences d’autant plus lourdes que ce qui se joue d’une manière aussi anti-démocratique au sommet est essentiellement une lutte des places, qui ne se traduit par aucun désaccord de ligne très visible à la base militante.

Dans le logiciel mélenchonien, les militants sont des petites mains de l’organisation et sont tenus au secret des débats stratégiques et politiques. A propos de la France Insoumise, Manuel Cervera-Marzal toujours décrivait une « pyramide renversée en équilibre sur sa pointe » dont « les grandes décisions stratégiques procèdent toutes de la volonté du leader ». Celle-ci est aujourd’hui moins stable que jamais.

Notes

 :

[1] Les membres sont : Gabriel Amard, Manon Aubry, Manuel Bompard, Hadrien Clouet, Manon Coléou, Helen Gilda-Duclos, Clémence Guetté, Philippe Juraver, Sarah Legrain, William Martinet, Alexandra Mortet, Danièle Obono, Mathilde Panot, Francis Parny, Paul Vannier.

[2] Quand bien même elle prévoit une extension relative des attributions des groupes locaux.


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