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La grève aux grévistes

Rencontre entre Borne et l’Intersyndicale : le retrait de la réforme ne s’obtiendra pas à Matignon !

L’intersyndicale se rendra bien « unie » à la rencontre proposée par Elisabeth Borne. Mais alors que Macron a fermé la porte à tout recul sur les 64 ans, à quoi sert de discuter ? En y participant, l’intersyndicale sème des illusions sur un compromis impossible à obtenir, et détourne le mouvement du seul terrain déterminant, à savoir la rue et la construction de la généralisation de la grève.

Damien Bernard


et Joël Malo

31 mars 2023

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Malgré un reflux, la grève du 28 mars a constitué une nouvelle journée de mobilisation massive dans toute la France. Avec deux millions de manifestants selon les syndicats, cette dixième journée de mobilisation a montré que le mouvement garde toute sa vitalité. Non seulement la détermination se maintient, mais de nouveaux secteurs de la jeunesse sont rentrés en lutte, avec de nombreux primo-manifestants. Dans ces coordonnées, et malgré des contradictions concernant les secteurs en grève reconductible comme les éboueurs, la situation reste ouverte. En témoigne la crise politique et institutionnelle qui se maintient et ne trouve pas d’issue, ou encore la peur du gouvernement qui cherche à canaliser la colère en « lâchant du lest », en surface pour le moment, sur la loi immigration ou sur le SNU.

Pourtant, depuis une semaine maintenant, la seule préoccupation de l’intersyndicale est de faire des propositions au gouvernement pour trouver une « sortie de crise ». D’abord dans le discours de Laurent Berger de la CFDT, imité par l’ensemble de l’intersyndicale ensuite, on ne parle plus de « retrait » de la réforme mais de « pause » ou de « suspension ». En réponse aux demandes de médiations de l’intersyndicale, Elisabeth Borne a finalement proposé une rencontre aux différentes confédérations mercredi prochain. La manœuvre côté gouvernement est évidente : alors que la mobilisation du 23 mars a marqué un saut dans la radicalisation du mouvement, Macron et son gouvernement ont considéré nécessaire de renouer le lien avec les directions syndicales pour éviter que la colère ne s’embrase. Un changement de ton qui n’augure aucun changement sur le fond. Et Francois Bayrou, qui pourtant n’est pas opposé à une « médiation » ne s’en cache pas et affirmait qu’« on ne peut pas changer de ligne à ce point » et que « les 64 ans sont dans le texte ». Mais pour lui, « il y a matière à discuter ». En d’autres termes, rien à discuter sur le fond, mais cela ne mange pas de pain de « discuter » pour chercher l’« apaisement ».

Une politique de l’exécutif à laquelle toutes les confédérations répondent positivement, à commencer par la CFDT, Solidaires, et maintenant la CGT. Nouvellement élue pour succéder à Philippe Martinez à la tête de la CGT, Sophie Binet a confirmé la présence de la CGT mercredi prochain à Matignon. « Nous irons, toute l’intersyndicale, unie, pour exiger le retrait de [la réforme des retraites] de façon ferme, déterminée », a déclaré la secrétaire confédérale de la CGT. Avant d’ajouter : « nous ne lâcherons rien, il n’y aura pas de trêve, il n’y aura pas de suspension, il n’y aura pas de médiation », se délimitant ainsi de la ligne de Laurent Berger et de Philippe Martinez affichée ce mardi 28 mars. « On ne reprendra pas le travail tant que cette réforme ne sera pas retirée », a-t-elle ainsi réaffirmée. Une intersyndicale « unie » se rendra donc à l’Elysée, mais où chaque syndicat ira porter son mot d’ordre. Si Laurent Berger appelle depuis le jeudi 23 mars à la « pause » ou à la « suspension » de la mesure d’âge des 64 ans, la CGT, Sud, et Force Ouvrière devraient y défendre « le retrait de la réforme ».

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Mais par-delà la position défendue par chacun des syndicats, c’est la participation même à cette rencontre avec le gouvernement qui pose problème. Elle constitue une rupture importante avec un principe exprimé par l’intersyndicale depuis le début du mouvement, à savoir que le retrait de la réforme constituait un préalable à toute négociation avec le gouvernement. Or, alors que la détermination conquise par le mouvement après le 23 mars posait la perspective d’une généralisation de la grève, la participation de l’intersyndicale à ces discussions envoie un signal qu’il est possible de trouver une voie de compromis avec le gouvernement. Aucun doute que Macron saura l’utiliser à son avantage, alors que le mouvement en cours n’a absolument rien à y gagner !

Qu’y a-t-il à discuter avec Borne alors même que Macron refuse de bouger la moindre virgule à son projet de loi, notamment sur les 64 ans ? A quoi sert une rencontre avec ceux qui brisent la grève et répriment les secteurs-clés du mouvement par des réquisitions et des assauts de CRS contre les piquets ? Alors que dans le même temps, la répression contre les manifestations s’accentue, et les arrestations se comptent par centaines à chaque journée de mobilisation ? On se rappelle notamment qu’à l’automne dernier, lorsque les raffineurs avaient été réquisitionnés, Martinez avait annoncé suspendre la participation de la CGT au dialogue social avec le gouvernement. A l’heure actuelle, cette idée ne semble venir à l’esprit d’aucun dirigeant confédéral.

Plutôt que d’aller rencontrer Borne, l’heure est à faire tenir et à durcir le mouvement. L’appel bien tardif au jeudi 6 avril a de son côté permis à l’exécutif de prendre du répit. Alors même qu’il n’y a rien à « discuter », l’intersyndicale montre que le centre de sa stratégie est de trouver une « sortie de crise », bien loin de la construction du rapport de force par les manifestations et la grève reconductible. Or, la puissance du mouvement n’est due qu’aux efforts et à la combativité des grévistes, c’est à elles et eux qu’il revient de discuter et de décider des suites du mouvement.

Dans ce sens, partout dans les bases syndicales et dans les assemblées de grévistes, il faut dénoncer urgemment ces manœuvres qui visent à faire dépendre notre mouvement de rencontres avec le gouvernement. A l’inverse, il faut profiter de l’énorme solidarité qui s’est exprimée ces derniers jours dans les caisses de grève, du soutien entre les secteurs contre la répression et de l’entrée de la jeunesse scolarisée dans la lutte pour étendre et renforcer la grève.

Ce que nous écrivions le 23 mars garde toute son actualité : « toutes ces tâches impliquent de s’organiser à la base, entre travailleurs, syndiqués ou non syndiqués, de différents secteurs, jeunes. Et c’est la principale faiblesse actuelle : les cadres pour s’organiser en dehors des AGs de facs et d’entreprises sont encore trop limités. Pour affronter l’ensemble des défis posés, il va être décisif de résoudre cette question. C’est en ce sens que le Réseau pour la grève générale cherche à construire des comités d’actions pour prendre nos affaires en mains. Comme l’expliquait l’appel voté par le Réseau ces comités d’action sont une perspective aussi concrète qu’urgente, pour rassembler dans toutes les localités, les travailleuses et les travailleurs déterminés à lutter à la hauteur de ce qu’exige la situation. Ce réseau pour la grève générale, qui rassemble pour le moment quelques centaines de travailleurs, de syndicalistes et d’étudiants, doit s’étendre dans tout le pays pour construire la généralisation de la grève au travers de comités d’action. »

Des perspectives à l’opposé de l’intersyndicale qui ne propose que des journées isolées de plus en plus isolées, et cherche à coordonner une sortie de crise avec le gouvernement. Alors que Macron souhaite reconstituer le « dialogue social », il faut rompre immédiatement toute discussion avec lui et son gouvernement. Ce ne sera pas à l’Élysée, à Matignon, et avec le MEDEF, présent ce mercredi, que nous pourrons obtenir le retrait de la réforme.


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