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Ras-le-bol

Corinne Rozenn

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Illustration : Félix Vallotton, La Charge (1893)

Ras-le-bol

Corinne Rozenn

Avec ou sans tiret ? Peu importe, l’expression est dans toute les bouches. Et ce n’est peut-être pas un hasard si elle commence comme son cousin proche, par le « R » de « Révolution ».

« Le ras-le-bol est généralisé ». La presse, la télé et les radios nous le disent, ces derniers jours, en continu. Il y avait d’abord le « ras-le-bol fiscal ». C’est en tous cas la façon dont le mouvement des Gilets jaunes a été présenté, dans un premier temps. Rapidement, c’est devenu un « ras-le-bol social ». Contre les fins de mois impossibles, contre la galère, face à des services publics en désertion et puis contre un président qui représente l’exact opposé de ce que vivent « les gens ». Une belle leçon de politique.

Il y a, dans le ras-le-bol, deux aspects. Un côté domino : « le ras-le-bol » de la « France des marges » contamine allègrement celui des lycéens, entraîne dans son sillage les secteurs les plus combatifs du mouvement ouvrier. Mais, en même temps, à l’opposé, il entraîne « le ras-le-bol » des gros commerçants, qui n’ont pas encaissé suffisamment en décembre. Sans parler du « ras-le-bol » des forces de répression, fatiguées de cavaler tous les samedis. Il y a, également, un côté débordement. Le problème, comme dans toute colère, ce n’est pas ce que l’on accumule. C’est quand la fameuse « goutte d’eau » fait déborder le vase de l’écœurement. Lorsque l’énième provocation entraîne la réaction. Alors le débordement entraîne non seulement un passage à la praxis, souvent. Mais il peut également doublement déborder, en allant bien au-delà du cadre établi auquel la colère, quand elle s’exprime, est généralement assignée. On y voit, alors, les éléments pré-révolutionnaires de la situation.

Les Anciens avaient un avantage certain, sur nous. Dans la mythologie grecque, colère et juste vengeance sont synonymes et concomitants. La déesse Némésis est ainsi tout à la fois incarnation de la colère des dieux et vecteur du châtiment divin. Néméïen, en grec, veut dire « répartir équitablement, distribuer ce qui est dû ». Il aura fallu un peu plus d’un an et demi pour que la juste colère finisse par déborder. Mais avec ce V° acte du mouvement des Gilets jaunes, Macron et son monde n’ont pas eu tout ce qu’ils méritaient. Cela impliquerait de changer d’échelle, dans le combat, et de niveau, dans la confrontation, mais également de perspective, d’un point de vue stratégique.

Plusieurs articles de ce dossier proposent des pistes de réflexion à partir de ce « ras-le-bol », qui, si l’on en croit certains linguistes, serait rentré dans le dictionnaire en 1968 et qui fêterait donc, dignement, cette année, son demi-siècle. Ce n’était donc qu’un début…

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