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Mépris de classe et racisme d’État

Quartier La Chapelle-Pajol. Quand la lutte contre le sexisme vise à légitimer le racisme d’État

Dans le quartier La Chapelle-Pajol, les problèmes de harcèlement de rue deviennent prétextes à un renforcement du pouvoir policier et à une légitimation du racisme.

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© Image : RTBF

Le 19 mai, les associations SOS La Chapelle et Demain la Chapelle lançaient la pétition : « Les femmes, une espèce en voie de disparition au cœur de Paris ». Selon les membres organisateurs de ce mouvement, cette pétition a pour but d’avertir et d’attirer l’attention des élus sur les problèmes que rencontre le quartier, à savoir l’« insécurité », le « manque de propreté » ; mais surtout, le harcèlement de rue. En effet, des femmes témoignent de l’oppression verbale et physique qu’elles subissent dans ce quartier du 18e arrondissement de Paris, au point de ne plus oser fréquenter l’espace public.

Bien que SOS La Chapelle soit revenu sur sa page Facebook sur le fait qu’il ne s’agissait pas de stigmatiser une population qui serait à l’origine de ces agressions psychologiques et physiques, ni de servir une quelconque position politique, les migrants (ou les personnes assimilées comme telles) et les populations non-blanches restent la cible n°1 du traitement médiatique. Ce sont aussi les premières victimes des différentes mesures visant à renforcer le contrôle policier que les élus locaux et nationaux souhaitent mettre en place. Il ne s’agit évidemment pas de remettre en question la parole de ces femmes victimes d’agressions, comme cela se fait très généralement, ni de revenir sur la gravité de tous les actes de violence sexiste (physique ou psychologique) commis à leur encontre ; mais bien de voir comment ce problème structurel commence déjà à être instrumentalisé par le gouvernement en place. En effet, le harcèlement de rue devient prétexte à légitimer le racisme institutionnel et médiatique, en renforçant notamment l’appareil policier, dont la cible première est les populations immigrées et les habitants des quartiers populaires.

L’oppression des femmes, dont le point culminant se trouverait dans le harcèlement de rue, serait l’apanage des « vendeurs à la sauvette de cigarettes » ou encore des « trafiquants de faux-papiers ou de stupéfiants » (selon Le Parisien, qui a sorti plus de cinq articles sur la question). À la suite du lancement de la pétition et de l’écho qu’elle a rencontré, « le 31 mai prochain, une réunion se tiendra au parquet de Paris, entre le procureur François Molins et les maires d’arrondissements, où sera étudiée la création d’un Groupe local de traitement de la délinquance (GLTD) dédié au quartier. Un dispositif qui permet une accélération des procédures judiciaires. » Comprendre donc, en sous-texte, que ce sont les populations racisées et/ou pauvres, les « délinquants », qui sont individuellement les responsables du sexisme. Cela ne fait que renforcer un imaginaire collectif conditionné par la classe dominante et son idéologie, qui assimile les classes populaires à de potentiels agresseurs sexuels. Ainsi, le Figaro titre : « À Paris, un quartier devenu hostile aux femmes », suivi d’une photo-choc, où, au centre de l’image, nous pouvons apercevoir deux individus non-blancs en survêtement dans la rue. À gauche de l’image, ironiquement, un panneau publicitaire affiche la nouvelle campagne de maillot de bain HM où une mannequin dénudée et photoshoppée pose lascivement. Si le harcèlement de rue est une réalité, le sexisme et l’objectification généralisée et institutionnalisée du corps des femmes en est une autre, mais à laquelle on s’attaque beaucoup moins.

Rappelons déjà que le harcèlement de rue n’est pas exclusivement le fait des hommes des quartiers populaires, mais qu’il s’agit d’une pratique courante dans toutes les classes sociales. De plus, il ne doit pas venir masquer une autre forme de sexisme, structurelle et donc moins visible, des classes dominantes. L’oppression des femmes, le patriarcat, n’a ni classe ni nationalité. Par contre, les questions féministes deviennent doublement instrumentalisées par la classe dominante. D’un côté, par toute la mythologie qui se construit autour des femmes et de leur corps, utilisé comme moyen de marketing (en entretenant une relation hyper-sexualisé à celui-ci), mais aussi de consommation (avec des canons de beauté instaurant une discipline marchande) ; sans parler de la construction d’un nouvel idéal féminin de travailleuse et mère au foyer (assurant donc héroïquement travail social et travail domestique gratuit invisibilisé), dans une logique individualiste, et dont la nouvelle Secrétaire d’État à l’égalité homme-femme est particulièrement représentative.

De l’autre côté, la lutte contre le sexisme est instrumentalisée par cette même classe dominante et devient le moyen de concentrer des revendications féministes contre les personnes non-blanches et de légitimer ainsi le renforcement de l’appareil policier. Comme solution aux problèmes de harcèlement sexiste, on nous propose donc encore une fois une solution qui n’a finalement presque rien à faire des problèmes des femmes et qui ne vise qu’à analyser superficiellement, et au cas par cas, un problème généralisé de sexisme et de misère sociale. Poser le problème du harcèlement de rue jusqu’au bout, c’est mettre en péril la domination capitaliste et patriarcal que nous subissons toutes et tous. Il s’agit donc d’une logique morbide où ceux-là même qui tolèrent l’oppression et l’exploitation du corps des femmes, lorsqu’il s’agit de les discipliner et d’en retirer un profit, deviennent ses plus fervents protecteurs lorsqu’il s’agit de les « protéger » des populations qu’ils ont eux-mêmes plongées dans une misère sociale.

Les mesures prises par les institutions d’État pour empêcher le harcèlement de rue sont à l’opposée de toute stratégie d’émancipation collective : le renforcement des patrouilles policières, le « ramassage d’objets divers (sacs, matelas) »… Seraient recensées 110 opérations depuis le mois de janvier, donnant lieu à plus de 19000 évictions de vendeurs à la sauvette et l’arrestation de 884 personnes.

Il s’agit donc de débarrasser l’espace public, par la force, ceux qui subissent de plein fouet la misère, la précarité, sans questionner la cause même de leur existence, à savoir le chômage de masse, les massacres aux frontières, les guerres impérialistes… En bref, la structure même du système capitaliste. La réponse donnée à ce problème, un renforcement des contrôles policiers, ne va faire qu’aggraver la discrimination que subissent déjà quotidiennement les individus non-blancs, étant les plus contrôlés et les principales victimes des violences policières. Sous l’égide de la lutte anti-sexiste, le gouvernement ouvre encore plus la voie à la stigmatisation et la répression des personnes issues des classes populaires. Et, ironie du sort, c’est donc le déploiement de la police qui devrait permettre de régler les problèmes de sexisme alors même que nombre de femmes témoignent (comme sur la page Facebook « Paye ta police »), du traitement qui leur est réservé lorsqu’elles cherchent à porter plainte pour agressions sexuelles, physiques ou psychologiques, ou pour viol : remarques dégradantes, culpabilisations ou refus pur et simple de donner suite à la plainte.

La lutte contre le harcèlement de rue, lorsqu’elle sert à la stigmatisation et la répression des classes populaires, n’a rien d’une solution. Dans ce cas précis, elle ne fait que légitimer le tournant autoritaire du gouvernement. Le sexisme est un fléau structurel de notre société, intrinsèquement lié au système capitaliste lui-même et qui, à la mesure de sa gravité et de son impact sur l’ensemble des femmes et des personnes LGBTI, mérite d’être remis en cause dans ses racines profondes, et ne doit donc pas devenir un instrument de division de notre camp social.

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