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Propos anti-féministes de Maïwenn : pourquoi n’ont-ils suscité aucune réaction dans le milieu audiovisuel ?

Si, en octobre dernier, les propos de Maïwenn le Besco fustigeant les féministes comme « des femmes qui n'aiment pas les hommes » avaient provoqué la polémique sur les réseaux sociaux, ils sont à contrario restés lettre morte dans le milieu audiovisuel français. Une illustration s’il en fallait de la chape de plomb qui règne particulièrement dans le PAF sur la question du sexisme, des violences faites aux femmes.

Monica Peligrosa

22 décembre 2020

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Crédits photos : AFP

« Je ne me suis jamais offensée parce qu’un homme portait un regard bestial sur moi. Au contraire, je prends ça comme un compliment. Plus un homme est viril, plus je me sens féminine ».

Ce sont les mots de la réalisatrice Maïwenn il y a quelques semaines, dans une interview à Paris Match. Que dire, sinon qu’on ne peut que s’étonner de tels propos, ayant vu ses films, notamment « Mon Roi », « Polisse » ou surtout « Le Bal des Actrices », qui dénoncent diverses formes d’abus et d’injustices ?

Quelle projection cela donne-t-il de l’état d’esprit qui règne au sein du milieu de l’audiovisuel français, et dans quelle mesure cela témoigne-t-il de la composition particulièrement réactionnaire de ce dernier, et du nombre trop peu important de figures féministes le composant ?

La Tribune, ou l’intériorisation de la culture du viol

En lien direct, La Tribune sur le « droit d’importuner » signée par Catherine Deneuve et Catherine Millet entre autres il y a deux ans, défend les hommes qui n’auraient que « touché un genou, tenté de voler un baiser ». La question du consentement est ici absente, comme si elle allait forcément donner lieu à une émasculation.
Le texte dénonce le « puritanisme » qui victimise les femmes et serait donc à l’encontre de leur liberté sexuelle.

Ce discours est dangereux car il positionne la gent féminine en « spectatrice » du désir masculin, ayant à répondre à toutes sortes de déclinaisons de pulsions allant du message à connotation sexuelle, du toucher « pas si grave » d’une partie du corps autre que celles habituellement sexualisées dans l’inconscient collectif (allez un genou quoi merde), ou encore du « regard bestial » cité par Maïwenn, la limite étant le viol. Ou presque ! L’ex-fiancée de Luc Besson se gausse également sur l’affaire Polanski : « Je reconnais que les femmes abusées par des hommes sont souvent des femmes fragiles. Je comprends très bien que ça soit condamnable. Maintenant, si j’accepte d’aller dans la chambre d’un homme à 1 heure du matin, je me doute bien que ce n’est pas pour parler d’un rôle ! ». Rappelons que l’on parle ici d’une enfant de 13 ans droguée et violée par un homme de 30 ans de plus...

Des propos particulièrement réactionnaires dont l’objet est de trouver des circonstances atténuantes à l’agresseur. Ainsi, premièrement, les abus sexuels seraient à imputer à la supposée fragilité psychologique féminine, opposée à la « force de caractère masculine ». Deuxièmement, on est face à une défense aveugle d’une même facette de la culture du viol : culpabilisation de la victime, qui l’a « bien cherché » et essentialisation des « besoins pulsionnels » propres à l’homme (on a pu le voir récemment dans le débat sur les crop top qui « déconcentrent » Finkielkraut et consorts). On pourrait presque croire qu’il est la vraie victime, incontrôlable et désemparé face à l’Eve tentatrice.

Ces propos prennent toute leur mesure dans le milieu du show business, à l’avant de la scène du mouvement #Metoo avec l’affaire Weinstein, milieu où coucher pour réussir serait un euphémisme. Ou une « chance », comme le déclare Dupont-Moretti en 2018 : « Je prends l’exemple d’une starlette qui irait voir un producteur américain riche et célèbre et qui lui dirait, je veux devenir une star. Là le type lui dit : ’Tu couches’. Et bien si elle accepte de coucher, pardon de vous le dire, ça s’appelle une promotion canapé, ça ne s’appelle pas un viol ».

Dans toutes ces déclarations , les idées de choix sont faussées : on accepte qu’il « va de soi » que pour évoluer, il faudra se plier au désir de quelqu’un tôt ou tard. Peut-on seulement considérer cela normal dans n’importe quel autre domaine professionnel ? L’idée qu’une actrice doit « monnayer » son corps, en quelque sorte se prostituer pour accéder à une certaine visibilité, réussite, semble tout à fait légitime, et par conséquent, les actes ignobles de personnages au pouvoir dans ces sphères sont comme floutes, passés au prisme de la « séparation de l’homme et de l’artiste », filtre qu’on ne retrouvera pas chez le boulanger ou l’ouvrier, et encore moins s’il s’agit d’un immigré.

En réalité, contrairement à ce qu’affirment les autrices de la Tribune, il n’y a aucune forme de liberté pour les femmes à être « importunées ». Pour elles, la liberté incombe aux hommes avant tout ! « D’importuner » (synonyme de déranger, d’ennuyer !), de siffler, bref de décider le plus souvent de dénier le droit au consentement des femmes.

En somme, il s’agit de maintenir et entretenir le cadre que définit le patriarcat faisant en sorte que ce sont les hommes qui tiennent les rênes du jeu de séduction millénaire où l’homme courtise et la femme se refuse, jusqu’à céder, folle de désir, donnant au mâle triomphant la satisfaction de la conquête et le Graal vulvaire, non sans avoir laissé son guerrier se morfondre le laps de temps nécessaire pour être vue comme une fille respectable.

Les actrices françaises, porte-paroles de la pensée dominante

Maiwenn renchérit : « Quand j’entends des femmes se plaindre que les hommes ne s’intéressent qu’à leurs fesses, je leur réponds : “Profitez-en bien, ça ne va pas durer ! J’espère que les hommes me siffleront dans la rue toute ma vie ».

En gros, ne nous plaignons surtout pas, car le temps fera assez vite son travail pour nous rappeler que zut, on est plus « désirables » et donc, on perd toute valeur ? On repense à Brigitte Bardot, qui déclarait l’année passée « regretter l’époque où on regardait son joli cul » et trouvait la dénonciation du harcèlement sexuel par les actrices « hypocrite, ridicule, sans intérêt ».

Figure phare de la femme enfant, symbole érotique d’une Nouvelle Vague sexiste, paradoxalement incarnant une certaine modernité, BB fait partie elle aussi du club de ces femmes qui se font le porte-voix d’une vision de la place de la femme particulièrement genrée et réactionnaire. Pour elle, le problème c’est « qu’il y a beaucoup d’actrices qui font les allumeuses avec les producteurs afin de décrocher un rôle ».

Dans toute cette rhétorique, il y a comme une inversion de l’accusation. De victime d’un système patriarcal qui naturalise un rapport d’oppression, les femmes se retrouvent coupables de ne pas accepter un système qui soit leur « profite ». Mais que dire sinon de ces violences sexistes qui touchent encore plus les femmes travailleuses, ou encore les classes moyennes ? Des violences qui sont en augmentation avec le confinement notamment les violences sexuelles subies par la classe moyenne ou le prolétariat (augmentation de 12% des violences sexuelles en 2019, 100 % des utilisatrices de transports en commun franciliens victimes au moins une fois dans leur vie de harcèlement sexiste ou d’agressions, une femme réfugiée sur cinq est victime de violences sexuelles après son arrivée en France).

Ce mépris est accompagné d’une diatribe contre les militantes féministes elles-mêmes qui, selon Maiwenn, « n’aiment pas les hommes » et seraient « à l’origine de dommages collatéraux très graves » ! On se demande bien lesquels ? Quels dommages ont-elles bien pu causer, qui seraient plus graves que les féminicides, viols, agressions, harcèlements de tout acabit, toute la panoplie infernale de l’oppression patriarcale ? A-t-on récemment vu des hommes émasculés en rue par des feminazies enragées ?

Le paysage culturel féminin français est profondément marqué par ce type de pensées réactionnaire qui, en réponse à #Metoo, cherchent à maintenir son étau pour décourager les femmes qui souhaiteraient relever la tête et s’opposer à ce système de « valeurs ». Hormis Adele Haenel, peu de femmes osent aujourd’hui briser cette omerta. Maiwenn se contente de cracher son fiel réactionnaire. Pour le reste, peu ou pas de prises de positions, ou des langues de bois exaspérantes. Fanny Ardant suivrait Polanski « jusqu’à la guillotine » et « n’aime pas la condamnation ». Sandrine Bonnaire pense « qu’il y a une force physique que les hommes ont, que les femmes n’ont pas. Rien que ça, ça compte, c’est très important »...

On manque de s’étouffer lorsque Isabelle Huppert estime que "dans le cinéma, la lutte pour l’égalité hommes-femmes est un combat d’arrière-garde".
Marion Cotillard qui considère « que dans le mot féminisme il y a trop de séparation ».
Citons dernièrement Emmanuelle Devos, qui, il y a quelques jours sur France 2, lâche sans éructer qu’il faudrait écrire sur les murs de toutes les écoles de théâtre, à l’attention des jeunes femmes : « si un metteur en scène nous invite à manger, ce n’est pas pour nous nourrir », sans broncher, mondaine.

Ces femmes ayant atteint un certain niveau dans la hiérarchie de leur milieu, elles se raccrochent précisément au socle qui leur a permis d’y évoluer, aussi injuste que celui-ci ait pu être pour leur sexe, faisant de l’exception de leur parcours une « norme », et intériorisant complètement les inégalités le composant. Il ne faut surtout pas passer comme une revancharde ! Ne surtout pas être une féministe hystérique et poilue, c’est pas glamour et ça fait fuir !

Agnès Jaoui, un discours à contre-courant dans l’océan réactionnaire

Il faut saluer la prise de parole récente d’Agnes Jaoui, aux Assises du 50/50, qui dénonce le manque de parité dans la réalisation (25% de films réalisés par des femmes seulement) et déplore s’en être félicitée voilà quelques années (« quelle puissante acceptation de mon infériorité de m’être réjouie d’un chiffre aussi nul »). Elle révèle que les votants des Césars sont 65% d’hommes. 88% des films à la télé sont réalisés par des hommes, 76% au cinéma. Elle dénonce le sexisme des rôles au théâtre (l’obligatoirement jeune et belle fille à marier, l’obligatoirement moins jeune et belle soubrette, la marâtre vieille et laide à loisir car impropre à la consommation) et le peu d’inclusivité sur nos écrans (« des représentations répétées de femmes jeunes, filiformes, blanches et soumises n’aide pas à l’épanouissement des femmes, ni des hommes »). Si elle est encore « timide », cette prise de parole ouvre au moins la brèche pour une autre perspective de discours.

« Ce sont des femmes qui n’aiment pas les hommes », sempiternelle formule que l’on ressort à chaque fois que la dimension structurelle est remise en cause, invisibilise les réalités multiples de destins brisés, sous prétexte d’éviter un discours qui serait castrateur et surtout « politiquement correct », encore selon Maiwenn. Se prononcer contre « l’idéologie victimaire » du féminisme contemporain serait une nouvelle « hype », le nouveau chic pour s’imposer en tant que « vraie femme ». Assumée, libérée sexuellement, rock’n’roll et décomplexée. Elle n’a pas peur de rouler du cul et vous décoche un sourire si vous lui dites qu’elle est bonne, parce que ça la flatte, qu’elle aime la virilité et adore se sentir désirable...

Maïwenn et consort : maintenir à tout prix la chape de plomb en réaction à #MeeToo

Si le sexisme qui sévit dans le cinéma français n’est que le reflet de cette société patriarcale, l’impunité qui y règne sur la question des violences faites aux femmes, et le poids donné à la voix de femmes comme Maïwenn qui prennent le haut du pavé en exprime cependant des traits particulièrement réactionnaires et conservateurs. Il suffit pour cela de voir que contrairement aux États-Unis, la chape de plomb ouverte par #MeToo sur la question des violences sexistes n’a pas eu les mêmes répercussions en France où c’est la contre-réaction dans la lignée de la tribune sur la liberté d’importuner qui aujourd’hui cherche à reprendre la main. Les actrices de plus de 45 ans sont toujours, d’une certaine manière, vues comme « périmées » et sous-représentées à l’écran par rapport à la population réelle, tandis que les hommes du même âge atteignent l’apogée de leur potentiel de séduction.

Il est en effet loin le temps où les comédiennes se permettaient une prise de parole franche et assumée, à l’instar de Delphine Seyrig, qui, en 1972, déclarait que « quand un homme se marie, il épouse une femme de ménage gratis » et comparait sans sourciller le mariage à une forme de prostitution ? A quand un #Timesup à la française ? A quand une nouvelle tribune dénonçant de vrais coupables cette fois-ci ?

Les prises de positions de Maïwenn le Besco ne sont que le reflet du sexisme profond qui règne dans le cinéma français. La réalisatrice n’en est pas moins une personnalité qui aujourd’hui cherche à maintenir, consciemment ou inconsciemment, ce système de domination. Qu’elle semble chercher à se rattraper en affirmant « je suis pour que les choses changent, je suis pour une égalité salariale, mais je ne suis pas pour l’égalité de l’identité » dans une récente interview n’enlève en rien son rôle conservateur et réactionnaire pour l’ensemble des femmes victimes de violences sexistes, qui auront été amenées à entendre son discours profondément anti-féministe.

Qui plus est, les propos de Maïwenn n’ont fait face à aucune critique de la part des acteurs et actrices du PAF, alors que le geste hautement symbolique d’Adèle Haenel a rencontré lui un tollé. Ce silence assourdissant témoigne d’une certaine omerta autour de la question, et les interventions comme celle de Jaoui sont malheureusement insuffisantes pour parler d’une réelle prise de conscience.


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