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Racisme et islamophobie sur l’Ile de Beauté

Procès de Sisco. Un lynchage traité comme un simple fait divers

Jamais procès en comparution immédiate n’aura duré si longtemps. Douze heures d’audience. Au final, le tribunal correctionnel de Bastia a rendu son jugement : « une crise paroxystique où tous les bas instincts sont ressortis ». Au Palais de Justice de Bastia, où l’on devait tirer au clair les tenants et aboutissants de la « rixe de Sisco », c’est le « fait divers » qui a primé. Partie d’un règlement de compte sur fond de tentative d’appropriation d’une petite plage publique près du cap Corse, sur la commune de Sisco par une famille bastiaise d’origine marocaine, l’altercation, le 13 août, a rapidement tourné au lynchage, le tout largement alimenté par les rumeurs les plus nauséabondes sur fond de polémique autour du burkini et d’exacerbation d’un climat islamophobe national et local. Mais derrière le jugement qui porte uniquement sur des actes individuels, l’affaire est pourtant révélatrice d’une véritable montée des tensions identitaires sur L’Ile de Beauté où pas moins de 18% des électeurs avaient voté pour Marine Le Pen aux dernières élections présidentielles.

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Yano Lesage

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Ni topless ni burkini, mais réel lynchage

Les aiguilles ont fait le tour du cadran pour juger ce qui avait au départ tous les aspects d’un simple fait divers et que le tribunal a voulu cantonner au rang de fait divers. Le 13 août dernier, au moment des faits, la famille Benhaddou, originaire de la banlieue de Bastia, s’installe sur une petite crique près du village de Sisco et tente d’en empêcher l’accès aux badauds. Ils « privatisent », selon les termes du procureur, cette petite crique accessible par un chemin de terre. Bien loin des rumeurs qui ont alimenté l’affaire par la suite dans le contexte ultra-tendu survenu après les attentats de Nice, il n’est sur cette plage ni question de baigneuse en topless, ni de burkini. Mais d’une simple photo qui a mis le feu aux poudres, prise par Jerry Neumann, jeune siscais de 18 ans, rapidement rudoyé et giflé par l’aîné de la fratrie Benhaddou, Mustapha, en retour insulté dans des termes racistes. C’est avec l’arrivée, en « renfort » du père de Jerry Neumann et d’une centaine d’habitants du village, que le règlement de compte tourne à la rixe voire au lynchage contre la famille Benhadou : échange de coup de couteau qui font cinq blessés dont une femme enceinte, incendie des véhicules de la famille bastiaise… La situation est telle que la famille ne sera évacuée qu’à la suite de l’intervention d’une centaine de gendarmes.

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Une lame de fond islamophobe

Le lendemain, une manifestation spontanée « organisée » par les habitants de Sisco se dirige vers le quartier populaire de Lupino de Bastia, aux cris de « aux armes, on est chez nous ». La police fait barrage pour empêcher sa tenue mais également pour protéger les Benhaddou emmenés à l’hôpital, la veille. Le scénario qui se joue est le même que celui d’Ajaccio, en fin d’année dernière, à la suite d’actes de vandalisme enregistrés dans la nuit du 24 au 25 décembre : en pleine polémique sur la déchéance de nationalité que le gouvernement défend corps et âme, plusieurs centaines de personnes organisent une descente en direction du quartier des Jardins de l’Empereur, un quartier populaire et métissé d’Ajaccio, arborant drapeaux corses et scandant des slogans racistes (« Arabi Fora ») pour mener une véritable ratonnade et saccager un lieu de culte musulman et un kebab. Des actes de racisme et d’islamophobie d’une extrême violence s’expriment sous couvert de défense de l’identité corse. Un contexte auquel se rajoute, en août, la récente polémique autour du burkini, qui explique en partie les proportions exceptionnelles que prend ce qui était au départ une tentative de privatisation d’une crique et une simple photo, devenu en l’espace de quelques heures, un véritable lynchage public puant d’islamophobie. A nouveau, un rassemblement « de Corses » devant la Préfecture, à Ajaccio, en décembre, ou à Bastia, en août, finit par se transformer en une manifestation dont les cibles sont « les étrangers » et « les arabes ». Pilotées pour partie par des militants d’extrême droite, on y retrouve une partie des activistes de la mouvance nationaliste, au pouvoir en Corse, à savoir ceux qui n’ont pas accepté l’idée d’une « communauté de destin corse », à savoir la reconnaissance du droit du sol dans le cadre de la revendication du droit à l’autodétermination, mais restent attachés à l’idée très rétrograde et réactionnaire d’un « droit du sang » qui excluraient de la communauté de l’île tous ceux n’étant pas suffisamment corse, par leur patronymes ou leurs ascendants.

Ces « crispations identitaires » comme en parle la presse pour renvoyer dos à dos les « deux communautés », occulte la question de la multiplication des actes racistes anti-arabes et anti-musulmans dont les deux départements de l’île possèdent le triste record. C’est dans ce cadre, d’ailleurs, que le maire de Sisco, Ange-Pierre Vivoni (PS) ne s’est pas privé de flatter les velléités identitaires de son électorat. Alors qu’aucun élément factuel – autre qu’une participante à la rixe originaire de Sisco dont la justice a reconnu qu’elle avait largement « exagéré » les faits pour lancer une rumeur – nulle trace de Burkini. Pourtant, pour le maire de Sisco l’occasion de la rixe est saisie pour ajouter aux tensions en promulguant son interdiction.

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Un contexte évacué du jugement

Dans ce jugement, le procureur a tout fait pour ramener l’affaire « à ses proportions ». Une manière d’évacuer les éléments de contexte donnés plus haut. Conclusion : deux villageois, le boulanger Lucien Straboni, 50 ans, et l’employé de mairie, Pierre Baldi, 22 ans condamnés respectivement à un an et huit mois de prison de sursis pour coup et blessures à l’encontre de Jamal Benhaddou alors que celui-ci était au sol puis sur une civière de pompier ; deux ans de prison fermes pour Mustapha Benhaddou, 33 ans pour violence avec arme (le couteau servant à la découpe de la pastèque) et 6 mois de sursis pour ses deux frères, Abdelillah et Jamal.

Clairement, la justice et les parties ont fait tout pour évacuer la dimension raciste de l’événement. Pour éviter une nouvelle contestation et une émeute à la sortie du tribunal devant lequel des centaines de Siscais et de « Corses » étaient massés et assurer un retour au calme ? Très certainement. Mais lorsque la participation d’une centaine de personne à un lynchage collectif passe en toute impunité et que le maire de la commune dit son « soulagement » à l’issue d’un tel « procès », on peut véritablement se demander combien de temps le « calme » va tenir.


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