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Un quart des télétravailleurs en dépression

Pression patronale, détresse psychologique : quand le télétravail est une souffrance

Depuis le début du confinement 7,5 millions de personnes sont concernées par le télétravail. Une situation imposée qui apporte son lot de souffrance et de pressions supplémentaires : selon une étude d’OpinionWay, près d’un télétravailleur sur deux se sent en situation de “détresse psychologique”.

Inès Rossi

23 avril 2020

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Le télétravail, un calvaire

En janvier 2019, INfluencia, “ la revue de la communication des tendances et de l’innovation, destinée à tous les curieux et enthousiastes qui désirent faire avancer leur entreprise.”, à la pointe de la start-up nation, publiait un article sur le télétravail. “Pour accroître votre productivité et combler les attentes de vos salariés, une solution existe : le télétravail.

Beaucoup en rêvent mais leurs employeurs sont encore réticents à leur lâcher la bride. 61% des Français souhaiteraient télétravailler,selon les chiffres officiels du Ministère du Travail, mais à peine 17% d’entre eux peuvent goûter aux joies du home office.” À en croire le journal, le télétravail est la solution miracle pour les entrepreneurs : non seulement les travailleurs sont plus “productifs”, c’est même pour eux une “joie” de travailler depuis leur “home office”, pour employer le jargon start-upper.

Loin des fantasmes de productivité et de confort, la crise actuelle révèle la réalité du travail à domicile pour bon nombre de travailleurs. À l’heure où Macron annonce un déconfinement possible à partir du 11 mai, tout en appelant à une prolongation des dispositifs de télétravail, l’institut OpinionWay a mené un sondage sur la santé psychologique des salariés en télétravail depuis le début du confinement.

Le résultat est sans équivoque : “Après quelques semaines de confinement et de télétravail, le bien-être psychologique des salariés s’est largement dégradé en perdant 10 point par rapport à 2016 (Enquête Eurofound 2016), 44% des salariés sont en situation de détresse psychologique et 1⁄4 présente un risque de dépression nécessitant un accompagnement.

En cause, des conditions de travail dégradées et une pression accrue à la productivité. Seule une minorité de travailleurs peuvent s’isoler dans une pièce pour travailler : la plupart partagent un espace avec un conjoint et/ou des enfants. Les personnes confinées dans des petits espaces relatent plus de difficultés à travailler. La perte de salaire liée au chômage partiel est aussi une source d’angoisse importante. Enfin, les problèmes techniques, le matériel non-adapté, les problèmes de connexion à internet sont autant de facteurs qui rendent impossible de travailler “normalement”.

Selon une enquête Deskeo, près de la moitié des télétravailleurs ne mange pas le midi, 81% d’entre eux ont peur de perdre leur emploi, et près d’un tiers d’entre eux disent avoir allongé leurs journées de travail.

Charge mentale et télétravail, un cocktail explosif

Sans surprise, les femmes sont plus impactées par le confinement puisqu’elles sont 22% à être en “détresse élevée” contre 14% pour les hommes. En cause, la double charge de travail : en plus du travail professionnel, les femmes endossent le plus souvent le travail domestique en plus, c’est-à-dire s’occuper des enfants, du ménage, des courses, de la cuisine, etc. “Dès le lendemain, le rythme a été délirant : entre les messages en masse des enseignant.e.s de mes enfants et l’utilisation guidée vers plusieurs supports différents, parfois inconnus ou incompatibles, l’intendance de la maison à gérer, les échanges avec les collègues, toutes et tous aussi perdu.e.s sans accompagnement de la hiérarchie…” nous expliquait Manuela, CPE en télétravail et mère de famille, dans une interview.

La situation de confinement me rappelle beaucoup mes années de congé parental, avec la charge mentale du travail et de la pression hiérarchique en plus. Je ne sais pas si une étude est en cours pour savoir lequel des 2 parents s’est dévoué, dans chaque famille, pour s’absenter physiquement de son travail en vue de garder ses enfants confinés, mais je suis prête à parier que les chiffres sont à peu près les mêmes que pour les séparations. Le travail de parent au foyer n’est toujours pas valorisé, pourtant il est difficile, c’est du 20h par jour, on est seul, sans soutien, et sans bulle pour se reposer. On aime nos enfants certes, mais on apprécierait de sortir de ce schéma qui mêle exploitation et soumission” ajoutait-elle.

Une pression patronale accrue

Pourtant, les patrons attendent des travailleurs qu’ils travaillent comme si de rien n’était. Tout est mis en place pour éviter la hantise des patrons, c’est-à-dire la perte de productivité des salariés. Loin de protéger les employés de la surveillance patronale, le télétravail les transforme en force de travail disponible 7 jours sur 7, 24 heures sur 24. Des logiciels de surveillance sont même mis à disposition des patrons pour s’assurer que les travailleurs s’acquittent bien de leurs tâches à distance. En confinement, peu à peu, la vie “professionnelle” se confond avec la vie “personnelle”, jusqu’à complètement engloutir cette dernière. Combinée à l’isolement social, l’aliénation caractéristique du travail dans une société capitaliste est plus forte que jamais.

Le télétravail n’est pas un choix : il est imposé aux salariés par leurs patrons qui, peut importe les difficultés objectives, veulent maintenir leurs profits. Et si les travailleurs en souffrent, les patrons y voient certains avantages, comme l’indique ce cynique article de Forbes : “Le télétravail imposé, une source d’innovations. Les salariés, qu’ils exercent des fonctions managériales ou non, ont dû s’adapter rapidement à la situation, faire preuve d’innovation, apprendre à revoir leur fonctionnement et leur manière de manager une activité collective.[...] Le télétravail que nous vivons aujourd’hui doit devenir une source d’inspiration pour le travail de demain. Chacun doit contribuer à sa manière à la reprise de l’activité économique.”

Le maintien des profits des patrons se fait aujourd’hui au prix de nos santés physiques et mentales. Il est impossible d’attendre des travailleurs, en pleine pandémie, qu’il maintiennent une activité professionnelle normale depuis chez eux. Alors que le télétravail est source de souffrances pour les travailleurs, c’est un laboratoire pour les patrons qui cherchent à nous rendre de plus en plus productifs. Après le 11 mai, “il va falloir que le télétravail se poursuive dans toute la mesure du possible” affirme Edouard Philippe.

Mais le maintien du télétravail dans les conditions actuelles est également un risque sanitaire. Il est primordial que les travailleurs décident eux-mêmes de leurs conditions de travail ; comme dans les lieux où le travail est censé reprendre, les travailleurs toujours confinés doivent s’organiser en commissions décisionnaires, pour pouvoir décider de leurs conditions de travail, contre les logiques de productivité à tout prix imposées par le patronat.


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