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Vers un cessez-le-feu ?

Premier cas de Covid-19 au Yémen, catastrophe en vue

C’était l’une des pires perspectives de la pandémie en cours, maintenant devenue un danger concret : le Yémen connait son premier cas de Covid-19 et le virus menace de se répandre dans tout le pays très rapidement.

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Vendredi dernier le Yémen annonçait son premier cas de Covid-19 dans la région d’Hadramaout. Il s’agit d’un homme travaillant dans le port d’Ash Shihr. C’est une très mauvaise nouvelle pour ce pays dévasté par cinq ans de guerre civile, par la pire épidémie de choléra des temps modernes et maintenant aux prises avec une épidémie de dengue ; tout cela sans mentionner les millions de personnes dépendantes de l’aide internationale (80% de sa population) ou souffrant de malnutrition.

Au Yémen la guerre a détruit le système sanitaire alors que le pays était déjà le plus pauvre du monde arabe avant le conflit : on estime que seulement 51% des capacités sanitaires yéménites sont en état de fonctionner, le pays compte en moyenne 10 professionnels de la santé pour 10 000 habitants et seulement 500 respirateurs artificiels pour ses 28 millions d’habitants. Comme si cela n’était pas suffisant, au cours de la guerre les personnels de la santé ainsi que les installations hospitalières sont devenus une cible de prédilection des attaques des différents camps en conflit.

Le risque de propagation fulgurante du virus dans le pays est rendue possible aussi par le fait qu’il y a 3,6 millions de déplacés, souvent habitant dans des camps ou dans des logements précaires sans accès à l’eau courante ni aux produits d’hygiène élémentaires comme le savon. Il en va sans dire qu’au milieu de la honteuse « guerre » pour les équipements médicaux que se livrent les grandes puissances, le pauvre Yémen n’a aucune chance de devenir une destination prioritaire de ces produits essentiels. Toutes ces conditions font du Yémen un « terrain propice » pour une propagation meurtrière du Covid-19.

L’Arabie Saoudite entre hypocrisie et opportunisme

Face à cette perspective dramatique, l’Arabie Saoudite, qui mène la coalition internationale contre la rébellion Houthiste au Yémen, a décidé 9 avril dernier d’appliquer un cessez-le-feu unilatéral de 14 jours. L’ONU, les pays du Golfe et les puissances occidentales n’ont pas tardé à féliciter Ryad pour ce « geste humanitaire ». Une hypocrisie totale. L’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis (EAU) sont parmi les principaux responsables des destructions dans le pays et de la mort de milliers de yéménites.

La réalité c’est que l’Arabie Saoudite, et les autres pétromonarchies du Golfe, ont intérêt à mettre fin à cette guerre qui est devenue un bourbier pour elles. Comme on peut le lire dans un article d’Al-Monitor, un Yémen déstabilisé en permanence pose un danger pour toute la région, notamment au milieu d’une pandémie : « pour l’Arabie Saoudite et les pays du Golfe, le Yémen, le pays le plus pauvre du monde arabe, est donc trop grand pour le laisser tomber. Un État en faillite chronique au Yémen signifierait une péninsule et une région en crise perpétuelle - qu’elle soit causée par la guerre, le terrorisme, les réfugiés, la maladie ou tout cela à la fois (...) Pour le prince héritier Mohammad Bin Salman, la guerre au Yémen doit être résolue afin qu’il puisse se concentrer sur ses réformes économiques et sociales et supprimer un élément de frictions dans les relations entre les États-Unis et l’Arabie Saoudite ».

Cependant, le contexte pandémique et la menace d’une catastrophe sanitaire qui pèse sur le Yémen n’est pas la seule raison qui pousse l’Arabie Saoudite à trouver une solution rapide, même si temporaire : la crise économique à l’horizon. En effet, l’Arabie Saoudite, dont la principale source de richesses est le pétrole, se trouve en pleine « guerre des prix » avec la Russie mais aussi avec les entreprises nord-américaines du secteur. Jeudi dernier les membres de l’OPEP+ et la Russie sont arrivés à un accord sur la réduction de la production afin de faire augmenter le prix du brut mais l’avenir reste sombre pour les pays exportateurs et l’accord, selon les économistes, ne servirait qu’à gagner un peu de temps. Dans ce contexte continuer à mener une guerre coûteuse économiquement et politiquement pour le régime des al-Saoud devient un fardeau. En effet, depuis plusieurs mois des indices montrent que la stratégie saoudienne semble avoir évolué dans le conflit, s’inclinant progressivement vers un « désengagement ». La menace du Covid-19 apparaît comme une opportunité idéale pour tenter une issue négociée sans apparaître comme capitulant face à l’ennemi.

Du côté des rebelles Houthistes, soutenus par l’Iran, ils n’ont pas encore répondu au cessez-le-feu de la coalition internationale. Mais les Saoudiens et leurs alliés occidentaux comptent faire pression sur l’Iran pour imposer un cessez-le-feu durable, ce qui pourrait éventuellement arranger Téhéran. En effet, bien que cette guerre « par procuration » serve les intérêts du régime iranien, le Yémen n’est nullement un pays stratégique pour l’Iran. Autrement dit, alors que l’Iran soutien une guerre totalement réactionnaire depuis cinq ans il pourrait aujourd’hui être intéressé à utiliser un cessez-le-feu soi-disant « humanitaire » pour améliorer son image internationale. Cependant, cela ne veut pas dire qu’ils parviendront à convaincre les Houthis, dont certains secteurs pourraient voir un certain avantage à poursuivre les actions militaires.

Les puissances occidentales sont directement responsables

Cette situation dramatique du Yémen ne tombe pas du ciel. Elle est le résultat de la guerre civile mais aussi d’années de domination impérialistes dans la région. Car le Yémen était déjà l’un des États les pauvres au monde bien avant le début du conflit en 2014. La domination coloniale britannique, les boycotts économiques, les différentes guerres civiles et les guerres entre le Yémen du Nord et le Yémen du Sud depuis les indépendances, l’ingérence saoudienne et des autres puissances régionales, la désastreuse unification des Yémen du Nord et du Sud conduite par des cliques bureaucratiques et corrompues, entre autres, ne sont que quelques éléments qui ont préparé cette situation au fil des années.

Mais la responsabilité des puissances impérialistes dans la guerre actuelle est aussi directe. N’oublions pas que l’origine du conflit en cours se trouve dans l’accord entre le gouvernement yéménite et le FMI pour réduire les subventions au pétrole afin de payer les dettes du pays. Cela avait déclenché des manifestations populaires qui ont ensuite été détournées par différentes factions des classes dominantes débouchant sur une guerre totalement réactionnaire qui a fait plus de 100 000 morts. Les puissances occidentales ont toutes soutenu politiquement et militairement (juteuses ventes d’armes) l’Arabie Saoudite qui mène la coalition internationale soutenant le gouvernement d’Abdrabbo Mansour Hadi. Cette coalition est non seulement responsable pour des milliers de morts dans le pays mais aussi d’un blocus économique et humanitaire criminel.

Quoi qu’il en soit, la situation du Yémen est dramatique. Le Covid-19 frappe à la porte et menace d’emporter des milliers de vies. Dans l’immédiat malheureusement, d’un point de vue de la menace sanitaire, il ne reste qu’à espérer que le virus ne se répande pas dans le pays, même si tout semble indiquer qu’il ne s’agisse que d’une question de temps avant que le pays soit plongé dans la catastrophe. Nous avions d’ailleurs déjà pointé ce risque précédemment. C’est en ce sens que la lutte des travailleurs et travailleuses dans les pays impérialistes comme la France pour une reconversion de la production afin de lutter contre la pandémie serait aussi la meilleure façon de venir en aide aux peuples les plus vulnérables face au Covid-19. En effet, si les travailleurs dans les pays impérialistes réussissent à imposer la production en masse, et sous contrôle ouvrier, de masques, de respirateurs, de lits, de gel hydro-alcoolique, etc. cette production pourrait aussi être destinée aux pays les plus pauvres comme le Yémen qui sont les plus en risque. La pandémie exige une réponse globale et les capitalistes sont en train de montrer qu’ils sont incapables de le faire et qu’ils préfèrent condamner des milliers et milliers de personnes exposées au virus. Dans les pays impérialistes, les leçons de cette crise sanitaire doivent conduire le mouvement ouvrier à mettre un arrêt à la politique criminelle que « leur » bourgeoisie mène à travers le monde.


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