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Prix du pétrole

Pourquoi l’Arabie Saoudite coupe la production de pétrole sur le dos des intérêts nord-américains ?

Les relations entre Washington et Ryad se détériorent sur fond de rivalités internationales. Mais les deux Etats continuent à avoir besoin l’un de l’autre.

Julian Vile

18 octobre 2022

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Les relations se tendent entre Riyad et l’administration Biden. A l’aube des élections de mi-mandat, le régime monarchique de Mohammed Ben Salman a décidé de réduire sa production pétrolifère de deux millions de barils par jour. Cette décision constitue une « surprise d’octobre » ou une décision géopolitique visant à influencer le résultat des élections de novembre aux Etats-Unis.

En Juillet, la rencontre entre Joe Biden et Mohammed Ben Salman fut remarquée après que les deux dirigeants se soient salués avec un « fist bump ». Ce geste familier a fait réagir alors que Biden avait mentionné la fin de l’agression saoudienne au Yémen comme un des objectifs de son gouvernement dans son premier discours de politique étrangère.

Malgré cette proximité affichée entre le roi saoudien et Joe Biden lors de la récente visite de ce dernier, Riyad semblerait souhaiter peser sur les élections afin de remettre le parti républicain en place au parlement. À ces fins, l’Arabie Saoudite et les pays de l’OPEP+ ont sensiblement réduit leur production de baril de pétrole, ce qui aura pour effet d’aggraver l’inflation et le prix à la pompe. Ces facteurs seront déterminants dans les élections de mi-mandat en novembre, élections mettant traditionnellement l’administration en place en position de vulnérabilité ce que les républicains ne manqueront pas d’exploiter en faisant porter à Joe Biden la responsabilité de l’explosion du prix de l’essence.

En réponse à cette manœuvre, un tollé s’opère parmi les cadres du Parti démocrate. Là où le consensus démocrate s’en tient d’habitude à de vagues condamnations des exactions du régime saoudien jamais suivies de conséquences, les appels au retrait des troupes stationnées en Arabie Saoudite se sont multipliés. Le sénateur du New Jersey Bob Menendez est allé jusqu’à proposer une loi actant la fin de la vente d’armes au régime. Malgré ces appels au sein de son propre parti, l’administration Biden s’est contentée de vagues menaces à l’encontre du régime, disant vouloir « réévaluer la relation » entre les deux pays.

Il faut cependant constater l’hypocrisie de la superpuissance impérialiste qui prétend jouer la carte humanitaire à l’encontre de Riyad uniquement lorsque le régime prend des décisions qui vont à l’encontre de ses intérêts. L’inquiétude de surface affichée par l’administration démocrate sur les crimes de guerre saoudiens au Yémen ne l’a jamais empêchée de continuer une vente d’armes ininterrompue au fil des administrations successives. Si le Parti républicain, et plus particulièrement l’administration Trump, ont véritablement renforcé l’alliance de l’impérialisme étatsunien avec la monarchie saoudienne, le support matériel de Joe Biden est resté sensiblement le même,se contentant de vagues déclarations humanitaires ponctuelles afin de masquer la coopération du pays avec une monarchie sanguinaire.

Cependant, cet évènement montre les difficultés de l’impérialisme nord-américain à assurer son rôle de leadership mondial absolu. Même si la guerre en Ukraine a aidé les nord-américains à faire revivre un OTAN en « état de mort cérébrale » (dixit Macron), parmi certains gouvernements et régimes de la « périphérie » capitaliste Washington rencontre certaines difficultés à s’assurer des loyautés sans faille. Les pétromonarchies, dont l’Arabie Saoudite, n’aiment particulièrement pas les discours sur la défense de la « démocratie » mis en avant par l’administration Biden. Ils estiment qu’ils pourraient être les prochains à être mis sur la cible. Ils savent aussi que dans un contexte de divisions et de rivalités géopolitiques exacerbées, ils peuvent tenter de mettre en valeur leurs points forts pour obtenir des garanties plus importantes de la part de Washington et en même temps élargir la palette de leurs partenariats internationaux. Comme l’affirme Hilal Khashan de Geopolitical Futures, « la règle qui régit le partenariat entre les États-Unis et le Golfe - le pétrole contre la sécurité - ne tient plus, comme en témoigne la lutte pour définir les règles de fixation des prix du pétrole au niveau mondial. Du point de vue des Saoudiens et des Émiratis, les États-Unis ont perdu leur capacité à déterminer les priorités de leur partenariat ».

En ce sens, cette nouvelle « crise » montre l’affaiblissement réel du leadership mondial nord-américain. Cependant, cela ne veut pas dire que les Etats-Unis ont déjà perdu complètement leur leadership mondial, ni même que la rupture soit consommée entre l’impérialisme nord-américain et les monarchies du Golfe. Le monde est en train de rentrer dans une nouvelle période de rivalités et de risques de guerres directes entre puissances, et ces évènements font partie d’une certaine reconfiguration des rapports de force internationaux.


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