Droit à l’IVG et jeunesse

Pologne. Rébellion des femmes et de la jeunesse

Olive Ruton

Pologne. Rébellion des femmes et de la jeunesse

Olive Ruton

Le mouvement absolument historique qui s’est élevé le 23 octobre contre la loi de restriction du droit à l’IVG, continue aujourd’hui de faire trembler le gouvernement. Dans les rangs des manifestations, énormément de jeunes en rupture avec le régime et déterminés à venir à bout de la politique réactionnaire du PiS. Révolution Permanente s’est entretenu avec deux d’entre elles, Zofia et Elżbieta.

Le 23 octobre, la Pologne est doublement foudroyée. La population d’abord, par une nouvelle attaque au droit à l’avortement. Mais la Pologne conservatrice et réactionnaire, celle du PiS (Parti Droit et Justice, au pouvoir depuis 2015), celle de l’Église, se trouve foudroyée avec peut-être plus de violence encore : par des éclairs rouges partout dans les rues, sur les murs des bâtiments, ceux des églises, sur les pancartes, par des dizaines de milliers de manifestants dans la rue. Foudroyée par ces « Fuck off » qui lui sont hurlés et étalés sur d’immenses banderoles, celles de milliers de personnes et surtout de jeunes femmes qui ne sont rentrées chez elles ni se sont tues encore aujourd’hui, plus d’un mois plus tard.

Cette énième attaque contre les droits des femmes a été la goutte d’eau qui a fait exploser le vase qui a maintes fois débordé ces dernières années. « En fait, la grève des femmes a commencé en 2016. Le très populaire Lundi Noir était un élément très symbolique (tout le monde portait vêtements noirs, parapluies noirs, etc en signe de contestation). À cette époque, la réforme de la loi sur l’avortement a été abandonnée par le gouvernement » rappelle Elżbieta, étudiante dans une université d’art à Szczecin, qui se « considère comme une femme très consciente qui milite activement », racontant avec intérêt comment les récentes luttes des femmes en Pologne ont aboutit à ce mouvement historique, à ces manifestations qui ne sont comparables qu’à celles de la fin du « communisme » en 1989. Zofia a 20 ans, elle étudie le droit. « Ce sont mes premières véritables mobilisations. J’ai pris part à quelques manifestations au fil des ans - après que la rue a fait échouer la loi sur l’avortement en 2016, et aussi pour la Grève des Jeunes pour le climat. Mais elles n’ont jamais été aussi importantes qu’aujourd’hui ». Et pourtant, les manifestations de 2016 ont été pour le moins marquantes parmi la longue liste des mobilisations pour les droit des femmes dans le pays, à la hauteur des attaques incessantes. Aux cotés, et suivant de près les grèves des femmes du mouvement Ni Una Menos en Argentine en 2015, elles sont même pour beaucoup parmi les fondatrices de la nouvelle vague féministe que l’on observe à travers le monde.

Originaire de Varsovie, où elle fait ses études et où elle a vécu depuis sa naissance, Zofia adore cette ville. « Je m’identifie à cette ville, et j’y vois mon avenir (…) mais, vraiment, je déteste ce qu’il se passe dans ce pays », dit-elle avec colère. « Tout a commencé après que le PiS a introduit une loi qui interdisait l’avortement même si le fœtus est irrémédiablement déformé. La Pologne était déjà l’un des pays ayant la politique d’avortement la plus sévère. Le PIS (le parti au pouvoir) a profité de la situation de pandémie en pensant qu’à cause de cela, les gens ne protesteraient pas ». Et, le moins qu’on puise dire, c’est que le gouvernement du PIS a eu tort. La cruauté de la loi, envers toutes celles qui se trouveront forcées de porter à terme des grossesses dont la viabilité de l’enfant n’est même pas assurée ou qui souffriront de lourds handicaps, a très largement révolté. « En Pologne, je dirais que mon corps ne m’appartient pas à cent pour cent, ce qui est insensé » ajoute Elżbieta. Le choc face à une mesure aussi réactionnaire a ainsi jeté des dizaines de milliers de personnes dans la rue, sans que les mesures sanitaires ne les arrêtent une seule seconde. La semaine suivante, ce sont plus de 100 000 manifestants qui envahissent les rues de Varsovie.

Contre la restriction du droit à l’IVG, le mouvement réuni tous les secteurs de la société qui contestent le gouvernement

Depuis le début, la plus grande organisation de lutte pour les droits des femmes du pays, créée en 2016, dirige cet immense mouvement populaire. « L’organisation principale est la Grève des Femmes de toute la Pologne (Ogólnopolski Strajk Kobiet). Les informations sur le lieu et la date du début des manifestations sont toujours publiées sur les sites officiels ou sur Facebook en tant qu’événements » explique Elżbieta. « Habituellement, la grève des femmes organise des blocages de villes, des marches, etc. Marta Lempart [principale figure de l’organisation et leader du mouvement] elle-même dit que beaucoup de gens s’organisent localement. C’est un processus très ouvert, mais tout peut être trouvé sur Facebook ».

Ainsi, bien que massif et dû à une immense explosion populaire, le mouvement semble donc ne pas reposer sur une grande dynamique d’auto-organisation qui feraient émaner son orientation et ses revendications, par exemple, depuis la base des personnes mobilisées. Dirigé par le haut par l’organisation qui joue ce rôle depuis les grèves de 2016, les initiatives à la base se reflètent essentiellement au niveau des actions locales, dans les comités ouverts de La Grève des Femmes. Régulièrement, des conférences de presse sont ainsi données en direct sur les réseaux sociaux. Celles-ci permettent à l’organisation de donner les grands rendez-vous de la semaine dans la rue, les dates de manifestation, mais aussi les revendications du mouvement, dont Elżbieta nous rappelle les principales : « Pleins droits en matière de reproduction ; L’Église doit être séparée du gouvernement ; Mise en œuvre de la convention contre la violence ; Amélioration du statut économique de la femme. »

Droits des femmes, concernant leurs corps, leur situation économique, opposition à la politique du gouvernement, révolte contre l’omniprésence de l’Église dans la société et la politique... nombreux sont les sujets de colère et de revendications pour un mouvement lancé sur la question du droit à l’avortement. Elżbieta continue : « nous sommes la jeune génération qui construit l’avenir en Pologne. Je pense que nous l’avons tous compris et que nous sommes arrivés au point critique où toutes les frustrations sont criées dans les rues ». Et en effet, derrière cette vague de femmes aux éclairs rouges, tous crient leur colère dès la fin octobre, jusqu’aux agriculteurs des plus petits hameaux polonais dont les tracteurs klaxonnaient en marge des marches qui ont couvert le territoire. « J’ai l’impression que cette année, avec toute la folie qui l’a accompagnée, nous a fait nous sentir plus connectés, malgré la quarantaine. Les gens recherchent le sentiment de ne pas être seuls dans ce chaos et je sens que cela se transforme naturellement en un soutien mutuel accru », exprime Zofia. Et les soutiens actifs du 23 octobre, sous le coup de l’explosion de colère, sont ainsi devenus de nouveaux pôles de révolte eux-mêmes, ajoutant leurs colères à celle contre cette loi, pour former un mouvement de contestation contre le parti Droit et Justice et l’immense vague rouge qui a déferlé sur Varsovie le 30 octobre avec le projet de se rendre au domicile de Kaczyński, l’homme fort du pouvoir polonais.

Aux cotés de ces jeunes femmes, et venant gonfler leurs rangs, s’est agrégée la colère de toute une partie de la population contre le gouvernement d’extrême-droite, lui faisant notamment payer sa gestion de la crise de la Covid-19, désastreuse. Elżbieta raconte : « Pendant la période de pandémie, notre gouvernement a connu de nombreux scandales comme la corruption, le vol d’argent, les fausses commandes de respirateurs, etc. Toutes ces voix se sont ajoutées à la notre, celles de femmes, d’étudiants, de personnes qui ont perdu leur emploi, d’employeurs, d’employés, de personnes âgées, d’agriculteurs, et bien d’autres encore. Nous nous soutenons tous les uns les autres ». La popularité du mouvement est telle que s’y retrouvent ainsi de nombreux secteurs de la société, et que peuvent s’y côtoyer « employeurs et employés », signal à la fois de la largesse du spectre de la colère contre ce gouvernement, mais aussi du caractère polyclassiste, rassemblant des membres des différentes classes sociales, une caractéristique qui semble se reproduire dans les différents mouvements pour les droits des femmes à travers le monde.

La jeunesse en rupture profonde avec la Pologne conservatrice du PiS, pétrie par l’obscurantisme de l’Eglise catholique

Cette atmosphère conservatrice qu’installe le PiS, amplifiée par la crise, qui opprime et exploite la population qui subit ses politiques réactionnaires, les jeunes polonaises n’entendent pas les supporter plus longtemps. Aux aspirations à la liberté et au progressisme des polonaises qui crient dans la rue pour le retrait du projet de loi, le gouvernement n’a pour l’instant finalement rien trouvé de mieux qu’un programme gouvernemental encourageant les jeunes polonais à fonder leur famille plus tôt... De quoi illustrer le niveau de rupture entre un parti aussi conservateur que le PiS et la jeunesse qu’il tente de gouverner.

Parmi les plus haïs des hommes du régime, le monsieur « Éducation Nationale » de l’État polonais : l’exécré Przemysław Czarnek. Entre ses sorties ouvertement misogynes ou homophobes et ses politiques répressives contre les jeunes, il s’est fait détester de quiconque n’est pas ultra-conservateur en Pologne, et particulièrement haïr dans la jeunesse de laquelle il est chargé. Au fil de son mandat il a fait des déclarations considérant les personnes LGBT comme « putrides, dépravé[e]s et totalement amora[les] ». Des déclarations qui découlent de son « analyse » de « l’idéologie LGBT [qui] fait suite au néo-marxisme et découle des mêmes racines que le nazisme ». Tout cela a contribué à braquer beaucoup de ceux qui se retrouvent aujourd’hui à battre le pavé. Dans le mouvement, la tension avec lui ne cesse d’ailleurs de grandir, et devient explosive. Plus offensif qu’une partie du gouvernement qui a décidé de suspendre le projet de loi, il ne cesse pour sa part de menacer, attaquer, promettre de retirer les subventions des universités mobilisées, par exemple. « À cause du ministre de l’éducation, conservateur, homophobe et sexiste - Przemysław Czarnek - les étudiants ont peur de manifester dans les écoles » confie Zofia.

Réunies dans un personnage réactionnaire assumé, ce sont en réalité les valeurs conservatrices de l’ensemble des politiques au pouvoir qui s’expriment à travers le ministre de l’Éducation. Des valeurs dont les manifestantes ont pointé dès le premier jour l’une des principales influences. « Comme la plupart des manifestants, j’en ai assez de la façon dont l’Église est traitée dans ce pays. Elle est omniprésente, mais surtout omnipotente » dénonce Zofia, exprimant l’un des principaux points de rupture de cette jeunesse révoltée avec cette Pologne qu’elle juge retardataire. « L’Église est le plus grand adversaire de l’éducation sexuelle. Elle diffuse des informations erronées et s’attaque au manque de connaissances de la population. C’est pourquoi les manifestants sont entrés dans les églises ». Devant les églises depuis un mois, c’est la colère contre l’obscurantisme qui prive les femmes de leurs liberté et étouffe la jeunesse et tout progressisme, que l’on voit ainsi défiler. « Nous respectons la religion catholique - nous nous battons pour l’égalité - nous voulons que l’institution de l’Église soit traitée exactement comme toutes les autres institutions - nous voulons qu’elle soit taxée et maintenue dans le cadre de la loi, et non au-dessus. Et nous ne voulons tout simplement pas que les convictions de quelqu’un d’autre nous privent de notre liberté » poursuit Zofia. Et Elżbieta de renchérir : « selon les principales revendications, nous devons séparer l’Église de l’État. Ces temps sont révolus », sans oublier de souligner l’hypocrisie de ce clergé dont « de nombreux cas de pédophilie sont maintenant sous les feux de la rampe » sans qu’il ne soit jamais inquiété par le gouvernement ou la justice, aujourd’hui au cœur des dénonciations et de la colère contre les deux institutions.

Face à la vague rouge inarrêtable, le gouvernement lâche sur le mouvement la violence de la police et des identitaires

Dès le premier jour, ce sont les groupuscules d’extrême-droite qui ont rejoint au pied-levé les parvis des églises. Ne s’arrêtant pas à l’appel de Kaczyński à défendre les édifices religieux, ils sillonnent depuis les manifestations, tapant dans la foule, intimidant les manifestants, les tabassant parfois... Au cœur de ce mois de manifestations, la date du 11 novembre, jour de l’indépendance en Pologne étant un habitué des manifestations nationalistes, a vu exploser toute cette violence de l’extrême-droite dirigée contre le mouvement et attisée par le PiS. « La fête de l’indépendance en Pologne a été agressive pendant des années. Les nationalistes démolissent les rues et transforment la fête nationale en une effrayante explosion de violence contre quiconque est différent d’une manière ou d’une autre. Leurs slogans sont racistes, homophobes et tout simplement dégoûtants. Cela se produit chaque année et le gouvernement ne l’a jamais interdit. Cette année, Jarosław Kaczyński les a en fait encouragés à être encore plus agressifs. Ils se sentent excusés lorsqu’ils frappent les manifestants à coups de matraque, brûlent les maisons ou les magasins » dit Zofia, dénonçant non seulement la violence extrême de ces identitaires, mais aussi le rôle de tout le régime dans cette violence, en termes d’encouragements, mais aussi de couverture : « Ils le font sous les yeux de la police et personne ne les arrête. En plus, ce ne sont pas eux qui sont pointés comme les "méchants". Ça c’est réservé aux personnes qui protestent pacifiquement contre le fait qu’on leur retire leur liberté de choix. »

L’une des images les plus frappantes de cette année a été celle d’un groupe mettant le feu à un appartement dont le balcon arborait un drapeau aux couleurs LGBT et une pancarte de soutien au mouvement. Elżbieta développe : « L’élément crucial à mentionner est toute la propagande produite par la télévision nationale. Les personnes LGBTQ+ y sont qualifiées de "délinquants sexuels ». C’est vraiment terrifiant. Le fait est que Kaczynski ait fait une déclaration dans laquelle il encourage tous les hooligans de football pour défendre la Pologne contre les "féministes non religieuses" qui "dévastent les églises" et toute l’histoire de notre nation. Avec toutes ces accusations, les gens qui ont brûlé l’appartement gardent une haine sauvage en eux et se croient vraiment des sauveurs ».

Au-delà de la répression sur les droits des femmes qui a fait partie des piliers pour la solidification de la société sur des bases réactionnaires, intrinsèquement liée à la place croissante donnée à l’Église, depuis la restauration capitaliste des années 1990, la haine de l’homosexualité comme dépravation et danger fait partie en Pologne et chez ses voisins, du ciment des bases réactionnaires du pouvoir. Des pratiques « putrides, dépravé[e]s et totalement amora[les] » dont les hommes de pouvoir de ces États, entre deux déclarations haineuses et attisant la violence contre les personnes LGBT, ne se privent pas, dans le secret de salons feutrés, comme l’a encore révélé dernièrement l’affaire de l’orgie à laquelle un eurodéputé hongrois, mais aussi « plusieurs représentants politiques du PiS » ont participé à Bruxelles.

Au-delà du choc et d’une certaine peur née dans la confrontation avec les forces les plus réactionnaires et violentes de la société, pour beaucoup, le mouvement est aussi l’une des premières confrontations de cette ampleur avec la force armée qui défend ces idées. Ainsi, la police et sa violence sont au fil du mouvement devenues l’un des sujets de révolte. Gazages collectifs, violences, blocage des manifestations, agents en civil qui tabassent eux aussi les manifestants, évacuent violemment des rassemblements... « Honnêtement, c’est très effrayant. J’ai beaucoup d’amis qui vivent à Varsovie, où pendant toutes ces manifestations, il est très dangereux de se promener dans la ville » témoigne Elżbieta.

Entre la police qui réprime leur lutte, dans une énième tentative du pouvoir de tuer la mobilisation, et la presse qui ne relaie que la version officielle des manifestants « casseurs » et « violents » imposant l’intervention des « forces de l’ordre », en invisibilisant totalement la mobilisation quotidienne partout dans le pays, beaucoup des illusions démocratiques se fissurent pour celles et ceux qui vivent le mouvement aujourd’hui. A cela s’ajoutent les rouages de l’État, ouvertement anti-démocratiques, en particulier depuis que le PiS a fait passer sous sa coupe le Tribunal Constitutionnel (celui qui a voté la restriction de l’IVG), en nommant lui-même cinq juges conservateurs. En 2015, et deux mois seulement après l’arrivée du PiS au pouvoir, ce saut bonapartiste qui a fait passer le judiciaire sous le pouvoir de l’Exécutif, avait déjà déclenché colère et manifestations.

Le mouvement face au défi des traditions et méthodes militantes démantelées par la réaction capitaliste

Aujourd’hui dans la rue, ce sont énormément de visages de jeunes, beaucoup de jeunes femmes autour de 16, 18, 20, 25, ans ; la génération qui n’a pas connu l’avant 89, née au début du tournant néolibéral, de toutes les promesses de libertés, de modernité. Depuis la chute du communisme bureaucratisé, le pays a connu un processus de restauration capitaliste dans sa version néolibérale et tout ce qu’il a amené, malgré toutes ses promesses de liberté et de progressisme, en termes de précarité et d’attaques aux conditions de vie des travailleurs. Puis la « reprise en main » du PiS qui, promettant de résorber les plaies des démunis, a soumis le pays à ses idées réactionnaires en opérant un tournant conservateur. Depuis 1989, une constante cependant : les attaques incessantes aux droits des femmes, proportionnelles au rétablissement croissant de l’Église dans la vie politique. Aujourd’hui, ce sont aussi toutes ces désillusions sur les promesses déçues de la transition vers le capitalisme qui défilent dans la rue.

« Mes parents avaient participé activement à des grèves avec Solidarité dans les années 80. Ils avaient alors environ 16 ans. Lorsque la police a commencé à utiliser le spray au poivre dans les rues, ma mère s’est immédiatement souvenue d’une situation où elle avait elle-même été victime de ce genre de violence » raconte Elżbieta, évoquant le mouvement historique des années 1980 et la bataille du syndicat Solidarité, sous la bureaucratie stalinienne, pour la création d’un syndicat indépendant, et pour des libertés fondamentales telles que la liberté d’expression et d’organisation, de structures de luttes mais aussi d’enseignement et d’informations indépendantes du pouvoir.

A l’époque, le mouvement avait pris les formes du mouvement ouvrier, avec des lieux de travail occupés, et une fédération des différentes échelles de représentation des travailleurs en lutte, locales et régionales. Autant de traditions de lutte et d’auto-organisation perdues après l’écrasement stalinien du mouvement, une tendance que la réaction de la transition vers le capitalisme n’a fait qu’accentuer. L’Eglise, qui soutenait le mouvement de Solidarité dans les années 1980 - évidemment bien plus par anticommunisme que par volonté de libération des masses et des travailleurs-, a eu un rôle de conscient de répression idéologique lors du processus de restauration capitaliste.

A l’image de cette perte de traditions, bien que le mouvement d’aujourd’hui s’affronte au pouvoir et soit indépendant des institutions, la logique de l’auto-organisation reste absente. La méthode même de la grève n’est que très ponctuelle et les jeunes qui luttent aujourd’hui ne connaissent que peu les luttes du passé et leurs modes d’action. Zofia par exemple, n’a « jamais pensé à la référence » du mouvement Solidarité, et peut-être cette organisation par le haut contribue-t-elle au fait qu’elle se considère pas comme militante. « Les parents de certains de mes amis comparent les manifestations à ce qui se passait dans la LRP, mais ils disent que c’est très différent. Je pense simplement que nous voyons une fois de plus que nous ne pouvons pas faire confiance aux gens qui dirigent ce pays. Que tout est politique et qu’ils ne veulent pas aider le peuple. Ils veulent avoir le plus de pouvoir possible et cela fait mal. Alors nous nous battons. Est-ce la "culture militante" ? Peut-être, je ne sais pas. Je ne me considère pas comme une militante. Je veux juste me battre pour moi, pour mes sœurs et pour tous ceux qui se sentent opprimés par les PIS ou les personnes mal informées par leurs mensonges. »
Afin de transformer cette colère et frustration de la jeunesse, pour récupérer la mémoire des luttes du passé, pour mieux comprendre comment le stalinisme (cette imposture qui se faisait passer pour le « socialisme ») et le capitalisme ont conduit à la situation actuelle pour des millions de jeunes et des travailleurs en Pologne, mais aussi pour préparer les luttes du futur, il est clair que les exploités et opprimés en Pologne ont besoin de mettre sur pied leur propre organisation politique, qui défende leurs intérêts de classe et qui se propose de renverser ce système pervers.

La jeunesse polonaise prête à se battre contre le patriarcat et pour imposer l’avenir qu’elle mérite

Pour permette à cette détermination d’arracher une victoire face au gouvernement du PiS – qui pour l’instant a suspendu la loi – mais aussi de dépasser cette lutte défensive contre la restriction du droit à l’avortement, de l’étendre à toutes les attaques contre les droits des femmes, et de lui donner une dimension politique plus profonde, l’auto-organisation et l’alliance avec tous les secteurs en lutte à leurs cotés aujourd’hui pourraient être des appuis cruciaux pour les jeunes Polonaises. Une élévation vers la lutte contre le système capitaliste qui est d’autant plus importante qu’il est celui, intimement imbriqué avec le patriarcat, qui exploite et opprime les femmes dans le monde entier, et en particulier dans ses nombreuses périodes de crises, ou tant la répression idéologique que la misère s’abattent en premier lieu sur les femmes. De cette dimension internationale, les jeunes femmes qui s’affrontent aujourd’hui à Kaczyński et son gouvernement en sont d’ailleurs conscientes, comme le formule Elżbieta : « je crois que notre combat est un combat pour les femmes du monde entier. Nous montrons que vous devez vous battre pour vos droits ».

Une chose est sure, la jeunesse polonaise ne semble pas prête à se ranger, mais au contraire entend profiter pleinement de cette expérience du rapport de force contre le gouvernement. Combative et consciente de faire l’Histoire, elle apparaît déterminée à imposer l’avenir qu’elle souhaite, un futur d’émancipation des femmes et de libération du joug des conservateurs, contre celui qu’on lui a réservé : « nous voulons le changement et nous avons finalement trouvé un moyen de l’exiger d’une manière qui est finalement prise au sérieux. Après des années d’ignorance et de silence, nous constatons que le gouvernement non seulement nous entend, mais se sent menacé. Nous ne pouvons plus reculer maintenant. Et je pense que c’est exactement ce que signifie être jeune aujourd’hui en Pologne - se battre jusqu’au bout et ne pas se laisser mépriser. »

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