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Un retour en arrière nécessaire

« Plan étudiants » : c’est quoi l’université de Mai 68 que Macron veut remettre en cause ?

Avec la mise en place de la sélection à l’université, Macron touche aujourd’hui un des piliers fondateurs de l’université française. Mais quelle est donc cette université issue de Mai 68 ? Faut-il la défendre ?

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Si le gouvernement s’en défausse, c’est bel et bien une sélection officielle à l’université que celui-ci tente d’introduire à travers le « plan étudiants » et l’instauration de Parcoursup. La nouvelle plateforme d’admission dans l’enseignement supérieur va créer un certain nombre « d’attendus » locaux et nationaux qui conditionneront l’entrée dans la filière de son choix. La réforme, si elle s’inscrit dans la continuité d’une sélection officieuse depuis plusieurs années, à travers le tirage au sort notamment, constitue une attaque d’ampleur de l’enseignement supérieur. Elle n’est de plus que la première étape d’un projet d’une université à deux vitesses, entre des filières et des universités « d’élites » d’un côté et « poubelles » de l’autre, qui sera facilité par la mise en place d’attendus locaux. Cet ensemble de réformes constitue une remise en cause du modèle d’université instauré après Mai 68. Mais en quoi consiste-t-il exactement ?

Après-guerre, la massification de l’université

Au sortir de la seconde guerre mondiale, la bourgeoisie va lancer une transformation radicale de l’université avec sa massification. Avant, et en particulier lors du XIXème siècle, l’université est réservée à une élite destinée à former des cadres pour gérer l’Etat et ses administrations. L’ouverture de l’entrée à l’université remplit une double fonction : fournir une main d’œuvre dans le contexte de développement des forces productives, ce qu’on appelle souvent les « Trentes Glorieuses » et assurer la transmission idéologique des valeurs du capitalisme. L’université va jouer un rôle central pour stabiliser les régimes capitalistes après-guerre, en formant une classe moyenne, d’autant plus disposée à soutenir le régime en place et à voter pour les partis dominants qu’elle a l’impression de s’élever.

A partir des années 1960, l’augmentation des effectifs au sein de l’enseignement supérieur est très importante. Selon les chiffres du ministère de l’Enseignement Supérieur, on passe de 309.000 étudiants en 1960 à plus de 850.000 en 1970. En particulier dans l’université où les effectifs sont quasiment multipliés par trois, de 214.000 à 637.000.

Cette augmentation brutale des effectifs va créer des contradictions que les classes dominantes n’avaient pas envisagées. D’une part, les moyens matériels pour accueillir ce monde sont largement insuffisants et les conditions d’étude se dégradent rapidement. D’un autre côté, la discipline universitaire traditionnelle sous le commandement de l’Etat est peu adaptée pour recevoir ce nouveau public, plus nombreux mais aussi plus populaire, même si les classes populaires restent dans une large mesure exclues. Enfin, à la fin des années 1960, les premiers signes de ralentissement économique montrent le bout de leur nez, et l’idée d’un avenir pas si radieux que promis pour les jeunes générations commence lentement à s’installer.

Ce sont ces contradictions de la massification, de l’écart entre les promesses d’une ascension sociale et du modèle de l’intellectuel libre de choisir son emploi, et la réalité de ces usines de production de petits cadres au service du capitalisme que sont les universités, qui va alimenter la contestation dans les universités. Une contestation qui va se cristalliser progressivement, partant d’une remise en cause du fonctionnement de l’université pour déboucher sur une contestation d’ensemble de la société capitaliste et des valeurs qu’elle charrie : l’exploitation de la majorité par une minorité, l’ordre patriarcal, les guerres (en Algérie ou au Vietnam). Cette contradiction, les classes dominantes les voient très tôt apparaître et essayent de résoudre le problème. Le 24 avril 1968, le Conseil des ministres traite des mesures envisagées pour « contrôler et normaliser la croissance des effectifs des étudiants », ou autrement dit instaurer la sélection à l’université. Ce projet devait alors être présenté à l’Assemblée Nationale les 14, 15 et 16 Mai 1968. On connait la suite…

La conquête d’une université libre et gratuite

Le 20 Mai 1968 démarre ce qui fut la grève générale la plus massive qui ait existé en Franceavec un pic de grévistes estimé entre 6 et 9 millions selon les sources. Un mouvement dont les étudiants auront été l’étincelle. Cette poussée de la lutte de classes, allant jusqu’à mettre en péril le régime gaulliste, va dissuader pour longtemps la bourgeoisie française d’attaquer trop frontalement l’université.

La réforme de l’université qui intervient par la suite, à travers l’adoption de la loi Faure, le 12 novembre 1968, consacre ainsi une université à libre accès pour tous les bacheliers et la gratuité des études universitaires. Des acquis qui restent aujourd’hui intouchés, tout du moins d’un point de vue formel, car la dégradation des conditions d’étude, les frais d’inscription ou encore le tirage au sort dans les filières dites « tendues » instaurent déjà une sélection de fait.

Cet épisode de Mai 68 et du rôle que peut jouer le mouvement étudiant reste un traumatisme pour les classes dominantes françaises qui marchent des œufs quand il s’agit de les attaquer. Un traumatisme alimenté par les épisodes suivants, quand Devaquet avait dû reculer face à la contestation de son projet d’instauration de la sélection. C’est bien pour cela que Macron n’ose pas aujourd’hui avancer le terme de « sélection ». Le rapport d’un de ses conseillers de campagne, Robert Gary-Bobo, qui a fuité il y a quelques moisen est une preuve évidente. Celui-ci prévenait alors « On sait que les groupes syndicaux étudiants peuvent aller assez loin dans la protestation. Cela a laissé des traces dans l’histoire. La prudence peut être exagérée du personnel politique de la droite traditionnelle (le Chirac d’après Noël 86) s’expliquesans doute en partie par l’idée queles étudiantspeuvent catalyser le mécontentement. » Et d’expliquerqu’il fallait « Instaurer la sélection mine de rien ».

Reste que le projet est bien là et qu’il y urgence à le combattre. 50 ans après Mai 68, c’est bien la liquidation d’un des principaux acquis qui est en jeu. Mais pour le combattre, cela suppose de rompre avec les sirènes de « l’autonomie universitaire », héritée elle aussi de l’épisode de 68.

Une autonomie universitaire à double tranchant

Il s’agit même d’un des principales transformations instaurées par la loi Faure : la fin de l’université « facultaire », qui était alors sous l’autorité étroite de l’Etat et la création d’établissements universitaires disposant d’une certaine forme d’autonomie, avec à leur tête des présidents d’université, et des conseils universitaires avec des représentants des usagers. Cette réforme constitue une avancée : elle met fin à la mainmise quasi unilatérale de l’Etat sur les universités, et le formatage étroit des programmes et des parcours. Elle s’inscrit dans la continuité de la remise en cause de l’université, de son matraque idéologique et de sa discipline administrative, par les étudiants de 1968.

Mais force est de constater qu’elle ne s’effectue qu’à moitié, voire moins. Les conseils universitaires instaurés sont tout sauf « démocratiques » et il suffit de voir le peu d’étudiants qui y participent (jamais plus de 10%) pour voir qu’elle ne représente au mieux qu’une façade. Surtout, on ne peut pas dire que l’université d’aujourd’hui soit particulièrement libre : elle reste très sélective socialement et alignée, quoi qu’on en dise, sur les besoins de l’Etat et du patronat, tant sur le plan idéologique que matériel, une tendance qui s’accentue d’année en année. De plus, l’autonomie des universités constitue la faille par laquelle la bourgeoisie tente actuellement d’instaurer une université à deux vitesses.

Enfin, l’autonomie universitaire, si elle est le fruit des mobilisations antérieures, est aussi un moyen de coopter à l’intérieur des universités les secteurs les plus radicaux. Cette volonté est exprimée très clairement par De Gaulle qui décrit, dans ses « Mémoires d’Espoir » (1970), la réforme qu’il a impulsée en ses termes :

« En 1968, l’ouragan soufflera ; dès qu’il aura passé […] l’université sous l’impulsion du grand ministre que j’y aurai appelé, sera, de par la loi, réformée de fond en comble sur la base jusqu’alors réprouvée de la participation […]. Il s’agit de bâtir un édifice tel que tous ceux qui auront à l’habiter ou à l’utiliser (professeurs, administrateurs, étudiants) prendront part directement à la marche, à la gestion, à l’ordre, aux sanctions et aux résultats d’établissements devenus autonomes et qui devront, ou bien fonctionner comme il faut, ou bien fermer leurs portes et cesser de gaspiller le temps des maîtres et des disciples ainsi que l’argent de l’Etat ».

Or, 50 ans après, force est de constater que ce projet a plutôt réussi. Cette défense intransigeante de « l’autonomie universitaire » constitue aujourd’hui un obstacle important à la construction d’un rapport de forces qui puisse remettre en cause les projets du gouvernement. C’est au nom de celle-ci que des enseignants chercheurs s’étaient opposés, en 2009, lors de la loi LRU, au blocage de « leur » université. Surtout, la lutte actuelle, pour être victorieuse, suppose de briser les murs de la fac : de s’adresser largement à tous ceux qui en sont exclus aujourd’hui ou pour qui elle n’est qu’une voie de garage. Pour défendre une autre université libre et gratuite, ouverte aux classes populaires, fermée aux intérêts privés et qui soit au service de la majorité de la population, et pas des privilégiés, dont le président représente les intérêts. C’est à notre condition que nous pourrons non seulement faire tomber les réformes du gouvernement mais, plus que ça, faire de la lutte pour la défense de l’université un point d’appui de la lutte contre l’ensemble de cette société basée sur l’exploitation et l’oppression.

Nous défendons l’université de Mai 68 et ses acquis obtenus de haute lutte. Mais plus que ça, nous défendons la tradition que les étudiants sur les barricades avaient instauré et dont nous héritons aujourd’hui : « de la contestation de l’université capitaliste à la contestation de la société capitaliste ».


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