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Crack boursier en Chine, prix du pétrole au plus bas, « émergents » sur la sellette

Pays « émergents » : nouvelle crise de la dette comme en 1980 ou crise asiatique étendue ?

Possibilité d’un atterrissage brutal de l’économie chinoise, chute sans précédent des prix du pétrole en dépit du sursaut provoqué par la crise Arabie Saoudite-Iran, détérioration économique et financière importante des pays dits « émergents », et en particulier du Brésil qui vit actuellement la plus forte récession enregistrée depuis 1901… Tous ces éléments confirment résolument le pronostic que nous avions établi en 2014 et qui avançait l’idée d’une troisième phase de la crise mondiale qui se décline depuis 2007-2008. Juan Chingo

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Avec les cours des matières premières et des devises des « pays émergents » au plus bas, il devient de plus en plus difficile pour ces derniers et particulièrement pour leurs entreprises et leurs institutions (financières) d’obtenir les ressources financières suffisantes pour payer l’énorme quantité de dettes accumulées en dollars. La grande inconnue réside cependant, dans l’hypothèse d’une poursuite du renchérissement du dollar, sur la nature que prendra cette crise : va-t-on aboutir à un phénomène similaire à la crise de la dette vécue dans les années 1980 en Amérique latine, ou à celle qui s’est propagée à l’Asie orientale et à la Russie à la fin des années 90 ?

En dépit du cycle ascendant dont les pays « émergents » ont pu profiter sur la décennie 2000 pour accumuler des réserves de liquidité, une énorme bulle de crédits de 9.1 milliards de dollars s’est installée et se maintient depuis 2008 du fait du retournement rapide de la conjoncture.

Cette bulle est en train d’éclater, sous l’effet conjugué des limites que posent les conditions internes (limites du modèle de développement en Chine, dépendances des matières premières d’autre pays) et de la conjoncture économique internationale : fin des politiques monétaires d’assouplissement quantitatif (Quantitative easing) pratiquées par la banque centrale étatsunienne, se traduisant par une remontée progressive – et pour l’instant limitée – des taux directeurs de la FED dans un contexte de ralentissement de l’économie mondiale.

Ce ralentissement est particulièrement notable en regardant de plus près l’indice Baltic Dry[1], indicateur du dynamisme du commerce international, qui est à son niveau le plus bas depuis 30 ans. Depuis 2008, son point le plus haut, l’indice n’a pas cessé de chuter, révélant deux éléments du contexte économique pour le moins préoccupants : tout d’abord, que le secteur de la construction navale est en surcapacité productive, pouvant faire craindre la faillite en chaîne d’une industrie qui depuis 8 ans a été soutenue par une absorption d’excès de capacités. Ensuite, et c’est surement le plus grave, que le commerce international a une croissance particulièrement faible depuis plusieurs années – 2008 avait même marqué un recul des échanges mondiaux – ce que pointe du doigt l’Organisation Mondiale du Commerce.

Il est vrai que 2015, marquée par la récession au Brésil et le ralentissement abrupt de la croissance chinoise a été une année particulièrement compliquée. Mais si l’on regarde les prévisions économiques pour 2016, cela devrait aller en s’empirant. En effet, les dernières prévisions sur la Chine, les Etats-Unis et l’Inde font douter d’une possibilité de reprise économique soutenue à l’échelle mondiale pour 2016. La Banque Mondiale, plus pessimiste que prévu, anticipe une croissance de 2,9% cette année soit un recul de 0.4 point par rapport aux prévisions réalisées en juin dernier.

2016 : l’année des défauts de dettes souveraines ?

Juste avant la fin de l’année, l’économiste américaine Carmen Reinhart avait écrit un article dans lequel elle appelait 2016 « l’année des défauts des dettes souveraines ». Dans cet article, elle mentionnait ces premiers signaux de la crise des « émergents » que nous avons évoqués dès leurs premiers éléments de ralentissement économique : la montagne de dettes accumulées, dont une grande partie arrivant à échéance en 2016 et 2017.

A la différence des autres épisodes d’endettement extérieur, les gouvernements possèdent nettement moins de dettes exprimées en dollars, mais ces dettes des entreprises ont été remplacées par des émissions de bons sur le marché obligataire. La libéralisation du marché des capitaux a permis un accès facilité aux marchés mondiaux des capitaux pour les entreprises et les banques des pays émergents, qui en ont profité pour emprunter d’énormes sommes d’argent à des taux d’intérêt historiquement bas (moins de 1%). L’un des instruments financiers qui s’est particulièrement développé a été l’émission de titres de créance, en monnaie étrangère, notamment grâce aux gestionnaires occidentaux d’actifs financiers à risques, gestionnaires qui sont avides de profits juteux. Ces titres internationaux de la dette ont atteint une valeur de 2,6 millions de dollars, dont les trois quarts ont été émis en dollars, selon les notes de la Banque des Règlements Internationaux.

Dans ce contexte de bulle de crédit, la chute brutale du prix du brut et d’autres matières premières, a eu un important impact sur les économies des pays que l’on a appelé « émergents », ayant déjà souffert d’un profond ralentissement voire d’une récession comme cela a été le cas pour le Brésil, la Russie ou l’Afrique du Sud. Ceci va sans aucun doute entraîner une nouvelle dépréciation de leurs monnaies, générant une fuite des capitaux, ainsi qu’une restriction de l’offre de crédit appelée « credit crunch », un frein à l’investissement, une augmentation de l’inflation, et l’impossibilité pour les entreprises et les gouvernements de financer les anciennes dettes.

La Chine et l’échec des plans de relance : le spectre d’une nouvelle dévaluation du yuan.

Assurément, le brutal ralentissement de l’économie chinoise est bien plus grave que ce que veut bien laisser entendre Pékin. Le fond du problème chinois est celui d’une dette qui, au cours des deux dernières années, n’a fait qu’augmenter et à un rythme supérieur à l’évolution du PIB nominale. De plus, les surcapacités productives chinoises génèrent également une instabilité économique.

A la suite de la crise de Lehman Brothers, les Etats-Unis et la Chine ont connu un scénario économique similaire, combinant explosion du crédit et cercle vicieux de l’endettement. Avec une dette fédérale étatsunienne qui a augmenté de 150% en six ans et une Réserve Fédérale qui se voit artificiellement gonflée à hauteur de 400%, les dollars en excès ont été exportés. Une partie, d’ailleurs, a inondé la Banque Populaire de Chine (BPCh) sous forme d’achat de titre de créance chinois. Simultanément, la BPCh a donné son blanc-seing pour un accroissement historique du crédit interne chinois. Ce crédit a alimenté un « boom » immobilier et une forte augmentation des capacités manufacturières chinoises. Cette « bulle spéculative » a entraîné derrière elle la bulle de crédits sur les marchés émergents : ces derniers ont également profité de l’arrivée de ces nouvelles liquidités sur le marché des capitaux internationaux pour se financer à bon marché.

Cette circulation a été facilitée par l’ancrage du cours du yuan chinois sur le dollar américain. Ce maintien de la parité yuan-dollar (« dollar peg ») a permis de limiter les risques de change et de faciliter la circulation des capitaux sur le marché chinois et américain. C’est ce maintien d’une parité qui a permis la circulation massive de ces flux spéculatifs.

Mais l’existence d’intérêts puissants, tout comme la crainte de voir exploser des mobilisations sociales, empêchent la bureaucratie de mettre en place les restructurations nécessaires dans les entreprises improductives et celles-ci sont maintenues artificiellement en l’état. Les distorsions qui en découlent sont énormes : la surcapacité productive atteint plus de 40% et dans certaines industries les 50%. Tout d’abord, cela fragilise les entreprises car la trésorerie se retrouve détériorée par les coûts engendrés par le maintien de l’activité. Ensuite, les montagnes de dettes qui ont été contractées dans le but de réaliser les éléphants blancs que sont les grands projets inutiles promus par le gouvernement local et national ont eu des effets collatéraux sur les autres secteurs de l’économie : lorsque le secteur financier s’est retrouvé fragilisé, leur accès au crédit a été subitement restreint.

Dans ce contexte d’énormes surcapacités productives, de forte réduction des marges et des profits et d’un accroissement de l’instabilité financière, les usines chinoises sont chaque jour davantage exposées aux conséquences de la récession mondiale et aux pressions de la compétitivité au niveau des prix.

Le secteur financier chinois est de loin le plus exposé. Les actifs des banques chinoises ont atteint des niveaux colossaux ; ils ont atteint jusqu’à trois ou quatre fois les niveaux de 2008, selon certaines sources indépendantes. Et cela sans prendre en compte le « secteur bancaire de l’ombre » dans lequel se sont multipliés les échanges des prêts à très haut risque.

Dans ce contexte de crise de croissance et avec les difficultés persistantes à retourner à l’équilibre, le mécanisme du « dollar-peg », le maintien de la parité yuan-dollar est très difficile à conserver. C’est un disfonctionnement croissant de l’économie chinoise. Si sa monnaie reste attachée à l’évolution du cours du dollar, l’économie chinoise va souffrir d’une appréciation de sa monnaie ayant pour conséquence une perte importante de sa compétitivité internationale. Voilà pourquoi, en considérant l’importance du secteur d’exportation et la stabilité sociale, il est très probable que la Chine devra dévaluer sa monnaie, renforçant ainsi la « guerre des monnaies » actuellement en cours (et aggravant la crise des pays « émergents » par la même occasion).

Voilà les perspectives qui font chuter les marchés boursiers mondiaux au plus bas. Personne n’est préparé aux effets que pourraient engendrer une dévaluation de 25 à 30% de la valeur du yuan. Moins de 10% de dévaluation et une hausse des taux de la FED dérisoires aux États-Unis ont coïncidé avec une baisse de près de 25% de la valeur des actifs risqués alors au plus haut niveau. Imaginons une dévaluation qui puisse tenter de résoudre l’augmentation brutale de la dette chinoise ces dix dernières années. Cela affecterait le cours des matières premières, les secteurs de productions de biens non-durables, la capacité à rembourser les dettes et la solvabilité bancaire.

Cependant, le coût politique de cette décision à l’échelle internationale pourrait s’avérer très élevé pour la bureaucratie de Pékin. Au contraire, une réévaluation de sa monnaie -bien que cette solution soit la plus appropriée pour assurer son rééquilibrage interne- aura quant à elle pour conséquence un fort coup dans les immédiats pour ses secteurs exportateurs qui génèrent un climat de fortes tensions internes difficilement gérable pour le système politique chinois.

Traduction : NK

[1] Le Baltic Dry Index suit l’évolution des tarifs du transport maritime pour les produits de base en vrac et constitue un indicateur du dynamisme du commerce mondial


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Journaliste

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