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Le bal des carpettes

Pas de danger pour Bolloré : la commission d’enquête du Sénat baladée par le milliardaire

Ce qui était présenté comme une audition visant à démontrer le rôle néfaste de la concentration des médias aux mains de quelques milliardaires en France, a belle et bien été une mascarade tranquillement menée par Bolloré et les siens.

Julien Anchaing

20 janvier 2022

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Crédit photo : Capture d’écran séance commission d’enquête

Le 24 novembre dernier le Sénat mettait en place sous la demande du groupe Socialiste, Ecologiste et Républicain une commission d’enquête chargée de mettre en lumière les processus ayant permis la concentration des médias en France ainsi que leur impact politique. Après de nombreuses auditions passées inaperçues (notamment de dirigeants de grandes chaînes d’information) la commission a attiré l’attention du fait de l’audition de grands milliardaires comme Bernard Arnault et Vincent Bolloré.

Celui-ci s’est adonné à un véritable spectacle. A l’aise avec ses « slides » fraîchement préparées par son armada de communicants de chez Havas (agence publicitaire appartenant au groupe Vivendi) le milliardaire réactionnaire a baladé pendant près de deux heures les sénateurs qui oscillaient entre des questions floues (PS et PCF) et les éloges dont le milliardaire s’est lui-même surpris (LR).

Il l’affirme « je n’ai jamais fait de politique »

La stratégie de défense de Bolloré était bien rôdée, voire trop pour ce à quoi il faisait face. Le milliardaire a su balader les sénateurs en argumentant d’une façon simple : éviter toute question politique et ramener le débat (dans l’ensemble) à la défense d’une « petite entreprise » française face à la menace prétendue des géants américains. Alors même que Bolloré est en train de concrétiser son offensive sur le groupe Lagardère (notamment propriétaire de la radio Europe 1) le milliardaire réactionnaire lance depuis plusieurs années une offensive qui avait commencé avec le rachat du groupe Canal (2015). Ce rachat avait déjà abouti à une véritable chasse aux sorcières au sein de Canal + ainsi qu’au licenciement (voire au départ sous pression) de nombreux journalistes considérés par le milliardaire réactionnaires comme des problèmes pour son agenda politique.

Bien qu’il ait cherché à démontrer que ce commerce est avant tout une affaire purement économique et que le secteur est la source d’importants bénéfices, ces offensives de rachats massifs de médias revêtent une importance stratégique sur l’influence politique. En effet, en rachetant et en concentrant d’importants médias comme Cnews, mais aussi le JDD, Paris Match, et bientôt Europe 1 le milliardaire s’offre une place de choix dans la production idéologique et politique et la mise en place de l’agenda des présidentielles de 2022.

Ce sont surtout ces chaînes qui se sont fait remarquer par leur discours particulièrement réactionnaire, raciste et misogyne laissant la parole à des pseudos journalistes comme (il fut un temps !) Zemmour mais aussi Elisabeth Lévy et une floppée de réactionnaires de première ligne.

Comme l’explique Eric Fourreau dans la revue Nectart « Nous avons sous les yeux un processus à l’œuvre qui ne manque malheureusement pas de similitudes : la « foxnewsisation  » de CNews est manifeste depuis que Vincent Bolloré, principal actionnaire de Vivendi, l’a prise en main en 2016 (sur les cendres d’I-Télé). L’information y est traitée prioritairement sous l’angle sécuritaire et les « débats » sont animés et alimentés par des polémistes proches de l’extrême droite et de la droite ultraconservatrice – Zemmour en tête de gondole –, avec une propension à placer la figure de l’immigré au cœur des discussions (de comptoir, la plupart du temps).

« Dans notre pays la réussite déplaît » les sénateurs entre balbutiements et éloges au milliardaire

Les sénateurs membres de la commission ont quant à eux excellé dans la médiocrité. On remarquera la performance de David Assouline (PS) aux questions hésitantes et cachant sa frustration par de petites montées de ton et les questions ridicules de Laurent Lafon (centriste) demandant poliment à Bolloré si Cnews ne serait pas en train de devenir un « média d’opinion ». De leur côté les sénateurs LR ont plusieurs fois lancé des fleurs à leur champion « Dans notre pays la réussite déplaît » rappelle Jean-Raymond Hugonet, sénateur LR.

Cependant, comme l’indique Médiapart l’audition a au moins montré sans filtre l’attachement de Bolloré à ses valeurs conservatrices.

L’essentiel étant que la commission n’aura presque rien dit, si ce n’est l’allusion timide de Assouline, sur l’empire de Francafrique de Bolloré qui n’est pas qu’un patron de média, mais bel et bien l’un des milliardaires francais dont la richesse s’est basée sur l’exploitation agricoles et d’infrastructure dans toute l’Afrique de l’Ouest depuis les années 90. Héritier de la Francafrique et des réseaux de Foccart et Pasqua Bolloré qui disposait d’une véritable place dans la région. Il en aura profité jusqu’au scandale de corruption révélé en 2018, autour des faveurs des dictatures locales à travers l’acquisition des ports de Lomé et de Conakry en l’échange de son soutien à Alpha Condé et Faure Gnassingbé.

Bolloré s’inscrit donc totalement dans les sales affaires de la Francafrique et de tout une partie des grandes richesses françaises dont l’ensemble de l’Empire s’est construit sur la base du colonialisme. De Bernard Arnault à Castel comme le rappelait récemment un rapport de Survie.org, une partie importante du grand patronat français est héritière de la rente coloniale historique de la France en Afrique. C’est aussi dans le contexte décrit par Fanny Pigeaud de montée d’un sentiment anti-domination française et d’une remise en question de la domination par les grandes entreprises françaises dans la région qu’une partie de ce même patronat se radicalise en faisant la promotion d’une idéologie réactionnaire visant à s’attaquer à toute remise en question de l’impérialisme, du racisme ou de la domination française.

Une commission d’enquête donc qui aura rappelé l’inutilité de toute réponse institutionnelle, surtout de la part d’une institution aussi arriérée que le sénat, aux attaques actuelles de la bourgeoisie la plus décomplexé. Dans le cas de Bolloré, c’est pour rappel un ancien ami de Sarkozy et d’Hollande, à l’amitié avec Macron vexée qui se tourne désormais vers des options d’autant plus réactionnaires comme Zemmour, qui prend la tête de plusieurs médias et relais d’influences importants du pays, pour toujours plus défendre ses intérêts et ceux de sa classe


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