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A deux ans de la fermeture de Peugeot-Citroën Aulnay

Paroles d’anciens grévistes de PSA Aulnay. Une leçon, la lutte avant tout.

Deux ans après la fermeture de l’usine PSA d’Aulnay-sous-Bois, dont la production s’est arrêtée définitivement en octobre 2013, le site n’a pas connu la ré industrialisation promise en 2012 par le PDG de l’époque, Philippe Varin. Au lieu des 1500 nouveaux emplois que la zone était sensée accueillir pour compenser partiellement la fermeture de l’usine, le maire d’Aulnay travaille à la modification des règlements d’urbanisme afin de permettre la construction de nouveaux logements et favoriser la spéculation immobilière. Pendant ce temps, bon nombre des 2500 salariés de PSA ayant perdu leur emploi à Aulnay n’ont toujours pas trouvé de travail, et arrivent en fin de droits d’allocation chômage. Pour autant, le souvenir de la grève de 2013 est encore vivant dans les mémoires de ceux qui se sont courageusement battus pendant quatre mois. Révolution Permanente a interviewé deux d’entre eux. Propos recueillis par Flora Carpentier

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Deux ans après la fermeture, beaucoup d’anciens d’Aulnay sont encore au chômage ?

S. : Oui, plein. Moi par exemple je n’ai pas retrouvé de travail, et il ne me reste que deux mois d’indemnités chômage. Pourtant j’ai suivi une formation espaces verts. On m’a proposé un CDI comme employé municipal dans le jardinage, mais précaire : tu travailles deux semaines, puis tu restes deux semaines à la maison, et on ne te paye que quand tu travailles. Donc finalement tu ne gagnes même pas le SMIC, c’est pas vivable.

Qu’est-ce qui vous a décidé à vous mettre en grève, à l’époque ?

G. : J’ai eu un déclic. J’ai pensé à tous les jeunes qui sont dans le coin, je me suis dit « si Aulnay part, il n’y aura même plus d’usine pour les jeunes ». Ca faisait trente-cinq ans que je bossais à Aulnay. Quand je suis arrivé ils venaient de couler les dalles, fin 73. Je ne m’étais jamais syndiqué, c’était ma première grève, et elle a duré quatre mois ! Je voulais me battre pour l’emploi, que l’usine reste ouverte. Et puis à mon âge je n’allais pas retrouver de boulot.

Comment avez-vous fait pour tenir pendant quatre mois de grève ?

G. : On a cherché du soutien financier partout, on a fait des collectes à la sortie des usines, des actions… Ca permet de rencontrer des gens et de tenir. Dans une grève, chaque personne est un poids. Il n’y a pas forcément besoin d’être un bagarreur, il suffit de se serrer les coudes. C’est comme une petite armée. Il y a ceux qui s’occupent d’aller chercher l’argent et la nourriture, d’autres sont là pour communiquer… le principal c’est d’être là. C’est dur à démarrer, on s’engueule, mais il faut être patient et se faire confiance.

Tu as attendu la fin de la grève pour te syndiquer à la CGT… c’est la grève qui a changé ta vision des syndicats ?

G. : Avant, je savais que le syndicat était utile mais je savais aussi qu’on pouvait se faire descendre, et je ne voulais pas adhérer au syndicat maison. C’est cette peur qui explique qu’il y ait plus de gens qui votent CGT que de syndiqués CGT. Aujourd’hui, je suis syndiqué, car l’expérience m’a montré que syndiqué ou non, on n’a pas d’augmentations. On n’est que de la viande pour nos patrons, la moins chère possible. Ceux qui ont des augmentations, c’est qu’ils font partie du syndicat maison, le SIA. Il y en a qui se font avoir, ils adhèrent et après un an ils se rendent compte que le SIA est toujours avec les patrons, et qu’ils n’ont pas le droit d’avoir une conscience. Ils ne font que du bourrage de crâne pour que les ouvriers ne bougent pas, ils font passer les syndicalistes CGT pour des voyous.

Le syndicat, il faut s’appuyer dessus, mais sans les ouvriers, il n’est rien. Et nous, sans l’expérience des syndiqués, on n’est rien non plus. Le problème c’est que parfois les gens attendent que ça soit le syndicat qui fasse les choses, alors que c’est à eux de se mettre en route. C’est aux ouvriers de décider ce qui est bon pour eux.

Au bout de quinze jours de grève j’hésitais déjà à me syndiquer. Mais finalement j’ai préféré rester non syndiqué. Je me suis dit que ça pouvait peut-être motiver d’autres non syndiqués à se mettre en grève.

Certains pensent qu’avec les indemnités de licenciement, c’est possible de s’en sortir…

G. : Déjà, il faut savoir qu’il y a un mythe autour du montant des indemnités. Des fois on entend dire qu’à Aulnay on a tous eu des indemnités de 50.000 à 100.000 euros, mais c’est faux. Il n’y a eu qu’un seul gars, un ancien de la CGT, qui a touché 100.000 parce qu’il était proche de la retraite et qu’il a cumulé plusieurs indemnités. Mais les autres ont touché l’indemnité réglementaire, calculée en fonction de l’ancienneté, en plus des 15.000€ qu’on a pu arracher grâce à la grève. Mais 15.000 euros, quand tu ne trouves pas de boulot après, c’est rien, ça part très vite !

Beaucoup d’ouvriers ne croient plus en la grève. Certains prennent même PSA Aulnay en exemple pour dire que la grève n’a pas empêché la fermeture. Qu’aurais-tu envie de leur dire ?

G. : Il ne faut pas partir du principe qu’à Aulnay ça n’a pas marché. Des fois on se dit qu’accepter un licenciement, c’est reculer pour mieux sauter. Mais c’est faux. On est repoussé d’usine en usine et partout c’est pareil, ils font des plans pour vider les usines en douceur. Le problème d’Aulnay c’est que les gens n’ont pas eu confiance jusqu’au bout. Au début on était 400 ou 450 à se battre pour l’emploi, mais à la fin de la grève on n’était plus que 200 environ.

Mais quand on dit qu’Aulnay c’est fini, ce n’est pas vrai. Tout ce qui se passe aujourd’hui c’est dans la continuité : Saint-Ouen, Poissy, Rennes… Ceux qui sont partis à Poissy par exemple se retrouvent dans la même situation que ce qu’ils ont vécu à Aulnay : on leur met la pression pour qu’ils partent, on leur propose des plans seniors… C’est même pire parce que les plans seniors ont été signés à la baisse par les syndicats ! C’est pour tout ça que c’est important de prendre conscience qu’on a tous du poids dans la balance.

Qu’est-ce que la grève de PSA Aulnay vous a appris ?

G. : Plein de choses ! Un an avant, j’allais aux manifs pour la retraite, et je n’osais même pas dire les slogans ! Avec ces quatre mois, je me suis rendu compte que les politiciens et les journalistes étaient contre nous. Et puis je n’imaginais pas qu’un syndicat ne lutte pas. Et pourtant il y avait 4 ou 5 syndicats qui étaient pour la fermeture ! Alors on a fait ce qu’on a pu, mais on n’était pas assez à bouger.

S. : Moi ça m’a appris qu’on doit lutter. De toute façon, qu’on se batte ou non, on vit dans un monde où il n’y a pas de boulot. Même les CDI sont en danger ! Et ce n’est pas parce qu’une usine ferme qu’on s’en sort avec de l’argent. Les indemnités, ce n’est rien quand on se retrouve à Pôle Emploi. Et si on ne se bat pas, c’est la même chose qui va finir par arriver partout. A PSA Poissy, l’équipe de nuit doit fermer. A PSA Saint-Ouen, des machines sont déjà parties… Les gens doivent prendre conscience de ce qui est en train de se passer et lutter avant qu’il ne soit trop tard. Car après c’est très dur de retrouver du travail. Et puis le patron fait tout pour geler les salaires. Mais ce n’est pas parce qu’on est ouvrier qu’on doit baisser les bras, se laisse mépriser. On doit travailler avec dignité.


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