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Paris 8 n’augmentera pas ses frais d’inscription pour les étudiants étrangers : info ou intox ?

Le 15 février, trois jours avant que le gouvernement ne rende son rapport issu de la concertation avec les présidences d'universités sur l'application de l'augmentation des frais d'inscription pour les étudiants étrangers extra-communautaires, le Conseil d'Administration de l'université Paris 8 a annoncé sa volonté de ne pas appliquer cette mesure. Celui-ci rejoint ainsi la liste des dix-sept autres présidences d'université à s'être prononcées officiellement contre cette mesure discriminatoire et raciste. Mais alors qu'à Paris 8 22,5% des étudiant·e·s sont étranger·e·s et que la loi n'autorise les universités à exonérer les étudiant·e·s que dans la limite de 10% des inscrits, dans quelle réalité cette annonce pourra-t-elle s’appliquer ?

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Le 17 novembre 2018 le Premier Ministre Edouard Philippe décidait de multiplier par seize les frais d’inscription pour les étudiant·e·s étranger·e·s hors Union Européenne, les faisant passer de 170€ à 2770€ pour une année de licence à 3770€ en master et doctorat. Depuis, l’université Paris 8, où plus d’un·e étudiant·e sur cinq est étranger·e, a connu un état d’ébullition. Majoritairement originaires d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique latine, la misère et la précarité sont bien souvent leur lot quotidien. Rares sont donc celles et ceux qui peuvent envisager de payer une telle somme. De sorte que cela signifie pour beaucoup de devoir soit rentrer au pays, lorsque c’est possible, soit de faire une année blanche pour travailler, économiser, et payer la suivante, ou bien encore d’abandonner leurs études et perdre leur titre de séjour pour celle et ceux qui n’ont pas d’autre choix que de rester en France.

Cependant, les inquiétudes qui ont suivi l’annonce du gouvernement ne se sont pas véritablement transformées en une mobilisation massive dans l’université, malgré un début prometteur et quelques succès : des Assemblées Générales qui ont pu réunir autour de cinq cents personnes, des milliers d’étudiant·e·s manifestant devant le siège de Campus France à Paris et un cortège de jeunes très dynamique le 5 février dernier.

Une victoire ou un obstacle à la mobilisation ?

Outre la disparition des organisations traditionnelles du mouvement étudiant, à l’image de l’UNEF ou de Solidaires Etudiant·e·s qui ont été quasi inexistants (sans parler de l’UEC) ou encore l’arrivée des examens début décembre, la faiblesse de la mobilisation incombe également à la manière dont le gouvernement a entretenu la confusion autour de cette mesure. Alors que celle-ci devenait immédiatement effective sur le site de Campus France, on pouvait aussi y lire que les étudiant·e·s étranger·e·s déjà présent·e·s sur le sol français ne seraient pas concerné·e·s par la mesure. Tout en gardant bien de dire si oui ou non, cela vaudrait également pour les changements de cycles, à savoir les passages de la licence au master, ou du master au doctorat.

Cette politique a donc consisté dans un premier temps à diviser les étudiant·e·s entre les étranger·e·s et les nationaux/ales, les néo-arrivant·e·s et ceux qui étudiaient en France, ou encore entre les inscrit·e·s en licence et master et les doctorants. Cela a donc été un premier obstacle pour que les étudiant·e·s passent le cap de l’interrogation et s’engagent dans la mobilisation, seule issue pour faire reculer le gouvernement.

Mais les présidences d’université ont également joué un rôle pour contenir le potentiel de contestation. En effet, si elles prétendent dans quelques rares cas s’être opposées à la mesure, elles ont le plus souvent cherché à négocier des exonérations fac par fac pour ne pas perdre la face, tout en cherchant coûte que coûte à endiguer la mobilisation, voire à la réprimer franchement comme cela a été le cas à Nanterre, où en parallèle des prises de positions de l’administration contre #BienvenueEnFrance, le président de l’université veut exclure Victor et Micka du campus pour simple fait de militantisme.

A quoi jouent les présidences d’université ?

La mobilisation et les blocages en série du printemps dernier contre Parcoursup et en solidarité des exilé·e·s restent en travers de la gorge du gouvernement et des présidences d’université. Ces dernières n’avaient pas hésité à rompre la franchise universitaire en demandant à la police d’intervenir dans pas moins de vingt universités pour réprimer les étudiant·e·s. Face à une réforme aussi impopulaire que l’augmentation des frais d’inscription pour les étudiant·e·s étranger·e·s, et alors qu’elles défendaient l’an dernier la mise en place de Parcoursup au motif que c’est par la sélection que se pourrait garantir la gratuité de l’Enseignement Supérieur, elles n’ont aujourd’hui d’autres choix que d’avoir un positionnement de façade contre #BienvenueEnFrance.

Mais si ces annonces sont faites au nom de « l’attachement aux valeurs d’accueil et de promotion sociale pour les étudiant·e·s de tous horizons », ces présidences cachent un double jeu au service du gouvernement. Car c’est en entretenant le doute et les illusions sur les modalités d’application en participant à des concertations truquées d’avance par le gouvernement, ainsi qu’en entrant dans le jeu de la négociation au cas par cas qu’elles font croire aux étudiant·e·s qu’il n’y aurait plus besoin de se mobiliser.

Évidemment cette stratégie de négociation est vouée à l’échec, et n’a pu être en mesure de faire reculer un gouvernement bien décidé à réformer et casser les universités publiques françaises afin de les mettre aux services des grandes entreprises et de favoriser le marché de l’enseignement supérieur privé. Alors que le 20 décembre la Conférence des Présidences d’Université (CPU) demandait timidement « la suspension » de la mesure et la mise en place d’un « moratoire », son Conseil d’Administration actait le 10 janvier un refus explicite du gouvernement de suspendre son projet, et concluait en demandant « une concertation dont le cadre soit élargi ». Face à la fin de non-recevoir opposé par le gouvernement aux demandes de négociations, la CPU demandait d’autres négociations... Cette position absurde n’a pour résultat que de sauvegarder les faux espoirs dans les possibilités d’aménager cette mesure. Mais est-ce réellement possible ?

Négocier fac par fac, exonérer au cas par cas, ou lutter pour une université gratuite et ouverte à tou·te·s ?

Le 15 février, le Conseil d’Administration de Paris 8 a donc annoncé qu’il n’appliquerait pas l’augmentation des frais d’inscription pour les étudiant·e·s étranger·e·s en demandant que « les étudiant·e·s potentiellement concerné·e·s soient tous exonéré·e·s ». L’université Paris 8 a ainsi rejoint les dix-sept autres universités à s’être positionnées en ce sens. Mais cette posture pose plusieurs questions.

Tout d’abord, à Paris 8, plus d’un·e étudiant·e sur 5 est étranger·e, soit 22,5% des étudiant·e·s. Or un décret publié en 2013 n’autorise les universités à exonérer leurs étudiant·e·s des frais d’inscription que dans la limite de 10% du total des inscrit·e·s. Plus largement « une simulation Dgesip présentée dans le rapport montre que, d’ici à 2020, une part croissante d’établissements n’auront plus la capacité d’exonérer la totalité des frais d’inscriptions des étudiant·e·s étranger·e·s, dépassant cette limite des 10% des inscrit·e·s ». Et même si ce taux était augmenté à 15% comme l’a préconisé le rapport rendu par le gouvernement, cela ne suffirait pas à exonérer tout le monde dans bon nombre d’universités, comme Paris 8. Il faudra donc sélectionner...

Ensuite, Paris 8, à l’instar de la majorité des universités françaises, souffre d’un manque chronique de moyens : salles de cours délabrées, manque de matériel, professeur·e·s vacataires et personnel·les précaires – sans parler des plafonds qui s’effondrent, des murs fissurés, ou des toilettes qui dérogent à toute considération sur la dignité des étudiant·e·s qui les utilisent. Pourtant l’objectif du gouvernement, en augmentant les frais d’inscription, est de désengager l’Etat du financement des universités, et de les pousser à trouver des moyens non seulement auprès des entreprises privées comme cela a été porté l’an dernier avec la loi Vidal et Parcoursup, mais également en faisant payer les étudiant·e·s, renforçant ainsi les inégalités entre les facs. Dans ce sens, un rapport de la Cour des Comptes, dont la publication a coïncidé avec l’annonce de #BienvenueenFrance, préconisait l’augmentation des frais d’inscription pour tou·te·s les étudiant·e·s, étranger·e·s et nationaux/ales, comme pour préparer les esprits et augurer de la suite des réformes... Or si à Paris 8 les étudiant·e·s n’ont pas les moyens de payer les frais d’inscription, quand bien même les présidences se démèneraient pour les exonérer pendant quelques temps, il est évident qu’à long terme ce manque à gagner se répercutera sur le financement des cours et des locaux, contribuant à en faire une « fac poubelle ».

La présidence de l’université le sait bien puisque dans la motion votée elle demande « que soient accordés des moyens supplémentaires ». Il est donc légitime de se demander : comment compte-elle obtenir de tels moyens si ce n’est par une mobilisation massive dans les facs ? Peut-on vraiment croire les promesses de quelqu’un qui entretient la croyance que le gouvernement entendra ses demandes formulées et accordera des moyens aux universités, comme par magie et sans aucune mobilisation d’ampleur, alors que Macron ne cesse de rappeler de réforme en réforme sa volonté de ne plus financer les services publics et que les Gilets Jaunes ont dû retourner le pays pour obtenir le retrait d’une simple taxe ? Par ailleurs, peut-on faire confiance aux promesses de la présidente de Paris 8 Annick Allaigre, elle qui n’avait pas hésité à envoyer les CRS contre les exilé·e·s et les étudiant·e·s qui occupaient la fac, alors qu’elle avait promis aux un·e·s d’accompagner leur demande de régularisation collective tandis qu’elle prétendait commémorer avec les autres mai 68 et le cinquantenaire de l’université de Vincennes, issu des revendications des travailleur·ses et des étudiant·e·s pour une université ouverte à tou·te·s, sans sélection ?

Depuis l’annonce de la décision du premier Ministre, la présidence de Paris 8 a joué le jeu du gouvernement contre la mobilisation en participant aux pseudo concertations, plutôt qu’en appelant clairement à refuser nationalement la mesure. Le 14 février, une motion votée par le Conseil d’Administration avait déjà entretenu le mythe selon lequel ce sont les étudiant·e·s mobilisé·e·s qui nuisaient au bon fonctionnement de l’université, alors que ce sont précisément celles et ceux qui luttent pour une université gratuite et ouverte à tou·te·s. Mais ce n’est pas tout. Car on pourrait également parler de fins de non-recevoir, adressées aux étudiant·e·s qui lui ont demandé à plusieurs reprises de banaliser les cours et examens les jours de manifestation – c’est-à-dire de ne pas sanctionner leurs absences – pour permettre au plus grand nombre de se mobiliser, des intimidations à l’égard des étudiant·e·s occupant le Carré Rouge, espace dédié à la mobilisation dans la fac, ou du zèle entrepris à arracher la moindre affiche qui appelle à se rendre en Assemblée Générale ou en manifestation, au nom de « l’image de Paris 8 » pendant les journées portes ouvertes (alors que cette image aurait bien plus à craindre de l’état des locaux toujours aussi délabrés…)

En dernière instance, il suffit de regarder la composition du Conseil d’Administration pour comprendre que malgré les postures de façade, il est loin de représenter les intérêts des plus précaires pourtant majoritaires dans l’université. Sur 34 membres, seuls six sont étudiant·e·s, et quatre seulement font partie du personnel BIATSS. Malgré les annonces qui passent pour des concessions relatives, la présidence de Paris 8 et son Conseil d’Administration jouent donc un rôle objectif pour fluidifier la mise en place de l’augmentation des frais d’inscription. Cela arrange bien le gouvernement, qui ne peut que craindre que la jeunesse prenne massivement la rue, à l’heure où les Gilets Jaunes continuent de l’ébranler après trois mois de mobilisation, déjouant tous les paris.

Dans ce contexte il fallait bien quelqu’un pour négocier et faire croire à un semblant de dialogue social. Mais qu’on ne s’y trompe pas : si aujourd’hui des présidences d’université prennent ces positions, c’est sous la pression du potentiel réveil des étudiant·e·s, qui malgré ses limites a su donner des signes de vitalité en décembre dernier, ainsi que le 5 février durant les manifestations aux côtés des travailleur·ses et Gilets Jaunes. La question qui reste ouverte est donc la suivante : les étudiants se contenteront-ils de quelques effets d’annonce ou sauront-ils tirer profit de la situation explosive du pays pour revendiquer une université gratuite et ouverte à tous, financée par la taxation des grandes fortunes et des profits énormes générés par les grandes entreprises ?


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