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Les mains invisibles du chemin de fer

Nourdine, agent SNCF de Paris Nord : « C’est du jamais vu que tout le monde fasse grève dans la brigade ! »

Nourdine Touir est agent voie SNCF de la brigade banlieue de Paris Nord depuis 20 ans. En grève depuis le 18 janvier avec ses collègues, il dénonce les conditions de travail dans les tunnels du RER, mais décrit aussi ce que la grève a changé au sein de la brigade. Portrait de la grève par un ancien de la Gare du Nord.

Mahdi Adi

24 mars 2021

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« On prend les décisions tous ensemble, on fait des AG et on se parle »

« De cette façon là, depuis que la brigade existe c’est du jamais vu que tout le monde fasse grève ! » Nourdine Touir, 44 ans et bientôt 20 ans de service à la Gare du Nord, est catégorique. Il fait partie des 16 agents qui composent la brigade chargée de la maintenance des voies pour les trains de banlieue dans la plus grande gare d’Europe. En grève depuis le 18 janvier, il résume ainsi ce qui les a poussé à démarrer le mouvement : « quand un jour tu te rends comptes que tu fais gagner des millions à ta boîte, et alors que tu réclame une petite prime on te dit « non c’est pas possible », tu montes au créneau ».

« Au début on s’est dit que ça ne durerait pas longtemps, mais on a vu le vrai visage de la direction » continue Nourdine, indigné par « ces gens qui ont fait les grandes écoles et qui te méprisent ». Ce n’est pourtant pas sa première grève. Il avait déjà participé à la grève contre la réforme des retraites en décembre 2019, et à celle contre la réforme du rail en 2018. Mais cette fois, cela n’a pas le même goût. « On prend les décisions tous ensemble, on fait des AG et on se parle. S’il y en a un qui n’est pas d’accord, on en parle » raconte-t-il avec fierté. Une grève inédite pour lui qui explique que « ça fait 20 ans que je suis dans la même brigade, on n’a jamais rien demandé. Même quand on avait des problèmes de matériels, on le réparait nous mêmes ».

La grève des petites mains invisibles de la Gare du Nord

Le cheminot n’y va pas par quatre chemins pour décrire ses conditions de travail. « C’est un métier très physique, de nuit, et on travaille par toutes conditions. Dans les tunnels entre Châtelet et Gare du Nord, il fait noir, il fait chaud, il y a de la poussière, et je vous laisse imaginer ce qu’on peut y trouver : des rats, des puces, des seringues de toxicomanes... On peut innover pour que ce soit moins pénibles, mais je pense pas qu’on pourra un jour nous remplacer par des robots ». Alors que plus de 900.000 voyageurs transitent chaque jour par Gare du Nord, la maintenance sur ce tronçon du réseau pour les RER B et D n’est pas une partie de plaisir. Surtout qu’avec la réforme des retraites, il lui reste « au bas mot 15 à 20 ans à faire, alors qu’est ce qu’on va devenir ? »

Et si les conditions de travail laissent à désirer, le manque de reconnaissance n’est pas en reste. Après 20 ans de service, « mon salaire de base c’est 1.700€ » explique Nourdine. « Quand on compare avec d’autres secteurs géographiques, on voit que des collègues ont des primes et que nous on nous refuse la même chose. On ne peut pas trouver 20€ par nuit et par agent pour les petites mains invisibles de Paris Nord ? C’est impossible ! » A son arrivée, le nouveau directeur d’établissement leur avait pourtant promis une prime, mais celle-ci n’a jamais été accordée. « Arrivé à un certain âge, avec la situation et la crise sanitaire » il n’en fallait pas plus pour le pousser, lui et ses collègues, à partir en grève.

« Le syndicalisme c’est défendre l’ouvrier face à la direction »

« Depuis cet été on se disait qu’il fallait qu’on fasse quelque chose, mais on se disait "les syndicats ne viennent jamais nous voir" ». C’est alors qu’il propose à ses collègues d’appeler Anasse Kazib, figure du mouvement contre la réforme des retraites, délégué SudRail à Paris Nord et ex-Grande Gueule sur RMC. « Les gars pensait qu’il n’aurait pas de temps à nous accorder, mais je leur ai dit "Anasse c’est un ami". Donc je l’ai appelé, il est venu, il a parlé avec tout le monde et il a senti la détermination. On a discuté et on a trouvé la stratégie des grèves de 59 minutes par nuit. Depuis ça marche : aucun chantier n’est fait ! » Et pour cause, « depuis le 18 janvier la maintenance n’est pas faite à Gare du Nord, donc sans être catastrophiste, ça peut avoir des conséquences sur la régularité des trains, mais aussi sur la sécurité des usagers... »

Depuis, la direction a tenté diverses manœuvres pour briser la grève : menace de mettre fin à la période d’essai d’un agent, convocations à des entretiens disciplinaires, basculement des grévistes en horaire de jour pour réduire l’impact de la grève et faire travailler des entreprises extérieures à leur place... Aucune d’elle n’a pourtant fonctionné. « Cette grève nous a rapprochée. On est plus uni qu’avant. Il y en a un seul qui reçoit un coup de fil de la direction, on est 16 derrière lui. » Au contraire, ces procédés semblent davantage avoir radicalisé la détermination des grévistes contre la direction : « ils font venir des entreprises extérieures pour faire notre travail qu’ils paient 15.000 €, alors que nous on réclame juste une prime de 20€ par nuit et par agent ». Dernière victoire en date, la condamnation de la SNCF en référé pour entrave au droit de grève et le rebasculement des agents en horaires de nuit.

Ancien militant syndical pendant sept ans, Nourdine dit toutefois avoir été « déçu » des organisations syndicales : « quand j’ai eu des problèmes avec ma hiérarchie, je n’ai pas été défendu comme il se doit » résume-t-il. Mais depuis la grève, il veut à nouveau s’investir. « Pour moi le syndicalisme ca doit être défendre l’ouvrier. Être aux aguets face à la direction parce que eux ils n’ont pas de limite  ». C’est l’expérience qui parle.

« Si on gagne la direction va plus jamais nous considérer de la même manière »

Avec la grève des liens se sont tissés dans la brigade, mais aussi avec d’autres secteurs. Nourdine tient d’ailleurs à remercier « tous ceux qui nous ont soutenu » : raffineurs de Grandpuits, salariés de la RATP, cheminots et étudiants venus lors des rassemblements... « Même en Birmanie c’est incroyable, on a fait un buzz phénoménal avec 1750.000 vues » s’exclame-t-il en référence à une vidéo réalisée par les grévistes de la brigade banlieue de Paris Nord en solidarité avec les cheminots birmans réprimés par la junte militaire. Quant au soutien récolté dans la caisse de grève, il est confiant : « plus ça va durer, plus on va recevoir de solidarité ».

« Si on gagne, la direction ne va plus jamais nous considérer de la même manière. Ils nous prenaient pour des bourrins mais nous aussi on sait faire des réunions, faire des AG, envoyer des mails pour défendre nos droits... » Aux jeunes de sa brigade et d’ailleurs, il veut faire passer le message : « il ne faut jamais rien lâcher ». Exemple de combativité dans une situation marquée par les attaques contre notre camp social, Nourdine Touir fait partie de ces « anciens » qui préfigurent l’émergence d’une nouvelle génération ouvrière. Une nouvelle génération délestée du poids des défaites du passé, qui sort de l’ombre face à la crise.


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