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Visite de la Chancelière allemande en Turquie

Merkel et le boucher Erdogan, liaisons dangereuses

Pierre Reip Dimanche, une semaine après l’attentat meurtrier d’Ankara , et trois jours après le sommet de Bruxelles sur les réfugiés syriens, la chancelière allemande s’est rendue en Turquie. Cette mission diplomatique avait pour but, selon Merkel, de vérifier si « les promesses faites par Ankara étaient fiables ». Dans les faits, c’est une immonde transaction contre les migrants et les opposants au régime de l’AKP qui est en jeu. À deux semaines des élections et dans le contexte de terreur politique orchestré par l’État turc, cette visite est un soutien de poids au bourreau Erdogan, en pleine campagne.

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La Turquie et ses alliés impérialistes

Merkel n’a pas osé pousser le vice jusqu’à rencontrer son homologue dans l’immense et très coûteux palais qu’il s’est récemment fait construire dans la capitale. Cela lui a aussi permis d’éviter de rendre hommage aux victimes de l’attentat d’Ankara. C’est à Istanbul qu’a eu lieu la rencontre, au palais de Dolmabahce, construit sous le règne du sultan Abdülmecid Ier, qui partage avec Erdogan, outre un goût prononcé pour la pompe ottomane, le don de réprimer les insurrections tout en s’alliant avec les puissances occidentales, comme lors de la guerre de Crimée (1853-1856).

Dans le contexte de surenchère xénophobe des dirigeants européens autour d’une « crise des migrants » qu’ils ont soigneusement montée en épingle, Erdogan se positionne en homme providentiel. Tout porte à croire que pour (re)gagner la confiance et le soutien des puissances impérialistes, la meilleure stratégie est celle de la tension maximale. Terroriser sa population à la veille d’élections est sans doute un gage de fiabilité politique.

Il convient de le rappeler, l’alliance de la Turquie avec les impérialistes ne date pas d’hier. C’est avec l’appui des puissances occidentales que le régime croupissant du sultanat s’est maintenu jusqu’au sortir de la première guerre mondiale et c’est sous l’égide militaire du Deuxième Reich allemand que le génocide arménien a été perpétré. Aux lendemains de la seconde guerre mondiale, la Turquie s’est blottie sous les ailes de l’OTAN, dans le cadre d’un partenariat stratégique avec les États-Unis, leurs dollars et leurs missiles, et pour qui les bases militaires turques sont toujours grandes ouvertes.

Il a fallu attendre l’arrivée au pouvoir des islamo-conservateurs de l’AKP en 2004 pour que l’Allemagne et la Turquie redeviennent, comme en 14, les meilleurs amis du monde. Ce rapprochement doit beaucoup au chancelier Schröder, connu pour ses réformes du droit du travail à la Thatcher, mais moins pour son affection pour Recep Tayip Erdogan. L’ex-chancelier social-démocrate vient de publier sa biographie dans laquelle il prend soin de présenter son ami d’Ankara comme quelqu’un qui a « beaucoup contribué à la modernisation et à la démocratisation de la Turquie ». Ce rapprochement, qui allait se solder par l’entrée de la Turquie dans le processus d’adhésion à l’Union Européenne, doit être replacé dans les tentatives initiées par Schröder et continuées par Merkel pour doter l’Allemagne d’une politique internationale plus indépendante afin de la repositionner comme une puissance diplomatique de premier plan.

Le mouvement de Gezi à l’été 2013 avait quelque peu tendu les relations entre la Turquie et les puissances européennes qui, dans la continuité des printemps arabes, avaient fait le pari de soutenir les mouvements populaires, pour mieux les détourner à leur profit.

Pourtant, dans la seconde phase de la vague révolutionnaire qui a traversé le Monde arabe, celle de la contre-révolution sanglante, de la guerre civile et des interventions militaires impérialistes, Erdogan s’est repositionné comme allié de choix. Avant même que les gouvernants européens ne s’emparent de « la crise des migrants », ils avaient apporté tout leur soutien à l’immixtion de la Turquie dans le conflit Syrien. Cet été déjà, Hollande avait appuyé le projet de zone tampon à la frontière syro-turque, voulue par Ankara, qui appuie Daech contre les Kurdes.

Le deal : win-win pour les bourreaux

Après avoir ingénieusement fait proliférer la xénophobie autour de la question des migrants, les dirigeants européens ont fait mine de se souvenir que l’immense majorité des réfugiés de Syrie et d’Irak, arrosés par les bombes impérialistes, se trouvaient non pas dans l’espace Schengen, mais dans les États frontaliers. 2 millions de Syriens et 400 000 Irakiens se sont réfugiés en Turquie où ils survivent dans les conditions les plus indigentes, sans espoir de trouver le moindre travail et devant subir un racisme anti-arabe, largement entretenu par le gouvernement AKP.

Depuis les élections de juin dernier après lesquelles l’AKP, privé de majorité, n’a pas pu constituer de gouvernement lui permettant de mener à bien sa réforme constitutionnelle bonapartiste, le président turc était en bien mauvaise posture. L’instabilité politique de la Turquie a entraîné une chute sévère du cours de la livre turque et fait peser des menaces sur le climat des affaires.

Mais Erdogan a su à la fois jouer la stratégie de la tension pour rallier sa population par la terreur et saisir la main tendue par les puissances de l’Union Européenne, bien contentes de sous-traiter, à un bourreau qui a fait ses preuves, la « gestion des réfugiés ».

Chacun a pu avancer ses pions et comme dans toute bonne transaction, Merkel, ambassadrice des puissances de l’Union européenne est venue sabrer le champagne. Afin d’éviter que son ami ne puisse être gêné par un rapport sur la progression de la démocratie en Turquie qui devait sortir courant octobre, Merkel s’était ingéniée avant la rencontre pour que celui-ci paraisse après les élections. Elle a ensuite apporté tout son soutien à la lutte d’Erdogan contre le terrorisme de Daech et du PKK en confirmant que le PKK serait maintenu dans la liste des organisations terroristes.

La chancelière a annoncé qu’elle s’engagerait pour faciliter l’entrée de la Turquie dans l’UE et qu’elle était favorable au souhait d’Ankara de supprimer des visas Schengen pour les ressortissants de Turquie à compter de juillet 2016 (pour rappel, les Européens n’ont pas besoin de visa pour se rendre en Turquie). Elle a cependant rappelé qu’elle ne pourrait prendre cette décision seule et que cette mesure devra avoir l’aval de ses partenaires, tout en s’engageant à supprimer dès aujourd’hui les visas pour les étudiants et les hommes d’affaires. Elle s’est engagée à augmenter l’aide financière fournie à Erdogan pour la gestion des réfugiés, initialement prévue à 1 milliards d’euros, mais sans avancer de chiffre. Cet argent, on le sait, permettra de doter la Turquie de tout l’attirail sécuritaire nécessaire à la répression la plus sauvage des migrants.

Merkel a fait part de son souhait d’une intégration de la Turquie dans la liste des safe-states, ce qui rendra quasiment irrecevable les demandes d’asile politique des réfugiés de Turquie et des régions Kurdes dans les États européens.

En plus de ces mesures qui, loin d’apporter une quelconque aide humanitaire aux réfugiés, maximiseront leur précarité et leur répression, Merkel après Hollande et Obama, se mettent d’accord autour du projet de zone tampon à la frontière syro-turque, voulu par Ankara, officiellement pour stopper Daech et y installer les réfugiés, non sans une brutale ironie. Dans les faits, cette zone tampon permettra à Erdogan d’écraser le mouvement kurde au Rojava et d’être en position de force sur tout le nord de la Syrie.

En période électorale, cette visite au plus haut niveau est un soutien de poids à l’AKP. Merkel n’a pas non plus rechigné à faire une déclaration commune après la rencontre devant la presse, pour sceller en photo cette nouvelle amitié. Par son alliance stratégique avec Erdogan, l’Allemagne entend se positionner dans le jeu diplomatique au Moyen-Orient et s’affirmer en tant que chef d’orchestre de la « crise des migrants » dans le concert européen.

C’est par les deals diplomatiques sordides, tout autant que par les bombes que les leaders impérialistes, contribuent à accroître le chaos au Moyen et au Proche-Orient. Aux côtés de la chancelière allemande, Hollande et Valls ne sont pas en reste.

« Crise des réfugiés », guerres impérialistes, répression des migrants, du mouvement kurde et du mouvement ouvrier de Turquie sont intimement liées. Notre solidarité internationaliste doit être à la hauteur de cette complexe imbrication. {{}}


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