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Tribune

Ma fille de 15 ans a été victime de violences policières. J’ai décidé de porter plainte

Le 1er avril,ma fille de 15ans a été victime de violences policières, alors qu’elle manifestait contre la loi El Khomri avec ses camarades du lycée. Révoltée par ce qu’elle a vécu, j’ai décidé de porter plainte. Et j’espère que les parents d’élèves qui se trouvent dans la même situation que moi feront de même.

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Un parent ne peut pas tout contrôler

Depuis le début de la mobilisation contre la loi Travail, m’a fille s’est beaucoup investie. À chaque fois qu’il y avait "blocus" devant son établissement, elle se levait à 5h pour y participer avec ses camarades. Elle est également alléesoutenir les élèves du lycée Bergson, qui avaientsubi des violences policières.

Au début, les manifestations lui faisaient un peu peur, mais la semaine dernière, elle a décidé d’y participer. Quand elle m’en a parlé, j’étais sceptique : les nombreuses images de violences policières diffusées dans les médias ne me rassuraient pas.

Je lui ai donc déconseillé de s’y rendre, sans pour autant le lui interdire. Cela aurait été inutile : un parent ne peut pas tout contrôler, surtout quand il s’agit de défendre une cause aussi importante.

Les CRS ont chargé, ma fille est tombée

Finalement, ma fille a décidé de rejoindre la manifestation avec ses camarades du lycée. Tout se passait bien jusqu’au moment où deux casseurs ont lancé des bouteilles sur les CRS.

Immédiatement, les forces de l’ordre ont chargé un groupe de manifestants, dans lequel se trouvait ma fille. Elle est alors brutalement tombée par terre.

Après avoir subi ce choc violent, elle n’a pas réussi à se relever et de nombreux manifestants sont passés au-dessus d’elle. Toujours consciente mais sonnée, et en proie à une douleur extrême au niveau de la cheville, elle ne pouvait plus bouger.

Deux garçons se sont rendu compte qu’elle était au sol et ont tenté de l’aider. Au même moment, ces deux manifestants ont reçu des coups de la part des forces de l’ordre. Puis ils ont remarqué la présence de ma fille, et un autre CRS l’a portée en dehors du cortège, avant d’appeler les pompiers.

Malgré le traumatisme, elle a eu de la chance

Elle a alors été transportée à l’hôpital, où elle a été prise en charge. Les médecins lui ont donné un calmant, car elle avait de terribles douleurs et était très angoissée. À cause de sa chute, son pied était à 45 degrés. Le diagnostic est rapidement tombé : il s’agissait d’une grosse entorse.

L’équipe médicale a été très surprise que ma fille ne souffre pas d’autres lésions, au vu de ce qu’elle avait subi. Malgré le traumatisme, elle a eu beaucoup de chance.

Je n’ai été informée que plus tard de ce qu’il venait de se passer : sachant que je traverse une période difficile, ma fille n’avait pas voulu m’inquiéter et avait appelé ses grands-parents pour qu’ils viennent la chercher.

Elle est ensuite rentrée à la maison, où je l’ai retrouvée. Malgré la douleur, elle a tenté de m’expliquer ce qu’il s’était passé.

J’ai tout de suite songé au pire : que ce serait-il passé si on lui avait piétiné la tête ? Cette pensée m’a fait tellement froid dans le dos que pendant 24 heures, je n’ai rien pu avaler.

Encourager les jeunes, plutôt que de les violenter

Aujourd’hui encore, je suis dans l’incompréhension totale. Et quand on me dit : "C’est normal, les manifestations, c’est dangereux", je sens la colère monter.

Quand j’avais l’âge de ma fille, je manifestais aussi pour les causes qui me tenaient à cœur. Je n’ai pas le souvenir d’avoir vécu de telles violences, l’ambiance était même plutôt bon enfant. Les temps semblent avoir changé et je ne me l’explique pas.

Cette jeunesse, trop souvent critiquée, a décidé de se mobiliser et de se battre pour un avenir meilleur. Ne devrions-nous pas l’encourager, plutôt que de lui taper dessus ?

Arrêtons de faire passer nos enfants pour des casseurs ou des idiots. Leur implication est encourageante, car il s’agit d’une vraie mobilisation politique, pas d’un "truc de gamin", comme je l’entends souvent.

Aller au bout de ses convictions

Le traumatisme que ma fille a subi est considérable, mais elle va un peu mieux, même si la douleur est toujours présente.

Je sais que ce qu’elle a vécu ne lui fera pas baisser les bras : elle reprendra la mobilisation dès qu’elle pourra se déplacer à nouveau.

Malgré mon inquiétude, je ne l’en dissuaderai pas. Je préfère que ma fille aille au bout de ses convictions, plutôt qu’elle reste passive.

C’est peut-être inconscient de ma part, mais je crois que je ne réalise toujours pas ce qu’il s’est passé. Comment de jeunes pacifistes peuvent-ils finir à l’hôpital ? Quelle est cette société qui méprise la jeunesse et qui le lui fait savoir ? Qui a autorisé des CRS à charger des lycéens ?

C’est pour avoir des réponses à ces questions que nous avons décidé de porter plainte.

Manifester est un droit

Pour cela, nous avons pris contact avec le commissariat le plus proche, qui nous a renvoyées vers l’Inspection générale de la Police nationale (IGPN). Nous nous y rendrons dans les jours à venir.

Je suis persuadée que notre plainte n’aura pas de suite, mais cette démarche est essentielle pour laisser une trace et pour que ma fille comprenne qu’elle est une victime, car pour l’heure, elle n’a pas tout à fait intégré cette réalité. Elle a notamment prononcé une phrase qui m’a marquée :

"Je suis petite et plutôt maladroite, c’est pour ça que je suis tombée. La prochaine fois, je partirai en courant."

Je veux qu’elle comprenne que ce n’est ni sa morphologie ni ses soi-disant mauvais réflexes qui sont en cause, mais bien le comportement inacceptable des CRS qui ont chargé le groupe dans lequel elle se trouvait.

Si tous les parents dont les enfants ont subi des violences policières – et je sais qu’il y en a beaucoup d’autres – portent plainte, notre voix comptera.

Ce n’est que de cette façon que l’on pourra faire avancer les choses. Nous n’avons pas à accepter ces violences, car manifester est un droit.

Ce témoignage a paru le 9 avril 2016 sur le site du Nouvel Obs.


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