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Lutte contre la Loi El Khomri

Lycéens contre la Loi Travail. Éléments d’un bilan pour préparer les suites

Dans la lutte contre la Loi El Khomri, les lycéens se sont, dès le début, révélés être un secteur très dynamique : sur les lycées, dans les manifestations, ceux-ci se sont empressés de s'organiser pour mener la riposte contre cette violente offensive du gouvernement. Cibles privilégiées des matraques lors des manifestations, subissant la répression administrative sous toutes ses formes, les lycéens ont été une cible privilégiée d'un gouvernement qui a déployé tout son arsenal répressif pour tenter de démotiver la jeunesse et l'isoler du reste du mouvement social. Mais après presque trois mois de lutte acharnée et face à l'approche des examens, quel bilan tirer de la mobilisation sur les lycées ? Révolution Permanente Lycées Île-de-France

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Face à cette nouvelle offensive qu’est la Loi El Khomri, un climat d’ébullition s’est très vite fait sentir dans la jeunesse et sur les lycées : des assemblées générales étaient organisées dès le 7 Mars, soit deux jours avant la première date de mobilisation, afin d’informer du contenu de la loi et d’organiser au mieux les premières journées d’actions. L’auto-organisation a d’ailleurs été l’un des réflexes qui s’est développé très rapidement : assemblées générales pour discuter du mouvement à l’échelle locale dans les lycées, mais aussi des coordinations inter-lycées pour débattre sur la stratégie du mouvement ainsi que sa construction collective, de façon à ne pas laisser des directions syndicales – très peu représentatives – le faire à la place des lycéens. Peu à peu, nous avons repris la parole et nous nous sommes organisés, et cela dans des lieux qui sont d’habitude ceux où l’on nous dit de poser nos culs sur une chaise, d’écouter sagement et d’obéir.

Assemblées et coordination

Très vite a émergé également la nécessité de s’organiser à l’échelle nationale : 10 ans après le mouvement contre le CPE, les coordinations nationales lycéennes (CNL) ressurgissent. Des CNL où l’on pense le mouvement à l’échelle nationale, mais qui sont aussi de formidables outils pour le cartographier : on prend la température sur chaque ville, on parle de la répression et on établit des stratégies communes. S’organiser à l’échelle nationale est ainsi apparu comme un impératif pour le mouvement, mais aussi comme une nécessité. Face à des syndicats lycéens qui cherchaient à s’auto-proclamer porte-paroles du mouvement, s’octroyant ainsi le droit d’aller négocier au nom des lycéens à Matignon des accords de virgules, alors même qu’est revendiqué à tue-tête le retrait sans amendement ni négociation de la loi, il semblait urgent de faire émerger une autre voix.

Il faut voir aussi que la grande majorité du mouvement lycéen a tout de suite rejeté et dénoncé ces directions syndicales, ce qui est plus que compréhensible lorsque l’on voit qu’elles n’ont en rien cherché à construire le mouvement ni à le massifier, et que, pire encore, elles en ont été un obstacle. En effet, au-delà d’une trahison ouverte au secteur lycéen, le jeu des négociations a également été le moment où l’UNL, la FIDL et le SGL ont clairement joué le jeu d’un gouvernement qui n’attendait que l’opportunité de pouvoir « négocier », et de lâcher quelques miettes à la jeunesse pour que celle-ci abandonne et quitte la rue, l’isolant ainsi de tout le reste du mouvement social. Plutôt que de pousser le mouvement jusqu’à son paroxysme, ces directions préféraient plutôt aller boire le thé à l’Élysée et en ressortir le sourire aux lèvres, se disant « satisfaites des négociations avec le gouvernement », et se réjouissant des ridicules concessions faites sur une augmentation de 10% des bourses lycéennes, comme ce fut le cas de l’UNL à la suite des négociations du 10 Avril.

La carotte mais surtout le bâton

Pour faire taire la contestation lycéenne, le gouvernement a donc offert des miettes aux directions des syndicats, mais a surtout choisi la voie de la répression. Face à des milliers de lycéens qui sont descendus dans la rue, le gouvernement n’a eu qu’une seule réponse : celle de la matraque. Les manifestations lycéennes ont été des événements dans lesquels les CRS semblaient se sentir libres de gazer, matraquer et interpeller à flot... On se souvient encore de la manifestation lycéenne du 5 Avril à Paris, dans laquelle les CRS ont coupé le cortège en deux pour tabasser et interpeller les lycéens à l’avant du cortège, soit plus d’une centaine d’arrestations ; ou encore celle du 14 Avril, durant laquelle les forces de l’ordre ont allègrement nassé près de mille lycéens à la fin de la manifestation à Stalingrad. Et l’on pourrait citer bien d’autres manifestations, sur bien d’autres villes, qui ont été réprimées dans le sang.

Répression bien plus forte encore en banlieue et dans les quartiers populaires : à Bergson, où l’on a vu des violences policières au cours des blocus ; dans le 92, où 47 lycéens ont été envoyé à la sûreté territoriale après avoir bloqué leur lycée ; ou encore au lycée Cachin, à St-Ouen, où les lycéens ont droit aux militaires devant l’établissement à chaque blocus, le but étant clairement d’intimider. Malheureusement, tout ceci n’a par ailleurs rien d’étonnant, mais la situation est simplement révélatrice de la violence quotidienne que subissent les jeunes de banlieue chaque jour (contrôle au faciès, harcèlement policier...).

La répression s’est aussi faite de façon administrative : des fermetures de lycée le 31 mars pour empêcher les mobilisations, au simple fait de refuser la tenue d’assemblées générales, faisant ainsi obstacle à l’auto-organisation. Dans les faits, la répression a pris de nombreux visages. Et réprimer la jeunesse signifie pour le gouvernement réprimer un secteur potentiellement explosif, radical, pouvant entraîner d’autres secteurs, comme celui des travailleurs, et c’est cette convergence qui a voulu être évitée au maximum.

Face à cette répression, de nombreux réflexes ont vite été mis en place pour se protéger. Nombre de lycéens dans les « medic teams » viennent tous aux manifestations munis de masques et de lunettes de protection pour éviter l’agression des gaz lacrymogènes. Mais la répression a été à double tranchant. D’un côté, elle n’a fait que réaffirmer la détermination de lycéens qui ressortaient d’une garde-à-vue avec la volonté profonde et accrue d’abattre tout le système, et d’un autre, on imagine bien qu’elle a été un obstacle à la massification du mouvement lycéen et que beaucoup de jeunes ont perdu leur détermination, à sortir dans la rue à la vue des nombreuses photos de crânes ouverts et autres belles blessures qui circulent sur Internet.

D’un autre côté, les violences policières exercées contre les manifestants ont aussi été un élément de délégitimation du gouvernement et de l’appareil répressif, car autant le gouvernement peut essayer de réprimer dans l’ombre, et justifier la répression en nous rabâchant le discours sur les « violents, méchants » manifestants, autant dès lors que cette répression est visible, elle révolte et indigne largement. Après les violences à Bergson par exemple, où le gouvernement a cru pouvoir réprimer dans le silence, de nombreux lycéens ont été scandalisés par les images qui ont circulé dans les médias et sur les réseaux sociaux, et les manifestations lycéennes se sont vues d’autant plus massives durant cette période. La répression aura au moins eu pour mérite de montrer le vrai visage de l’État, celui qui chaque jour acte la misère sociale et tabasse ceux qui se révoltent contre ces oppressions, à l’opposé du mythe de l’État protecteur, qui serait garant de la démocratie.

Difficultés à massifier

Au-delà de ça, il semble nécessaire de tirer un bilan de la mobilisation lycéenne et de voir quelles en ont été les limites. L’un des constats qui peut être fait aujourd’hui est que la massification ne s’est pas accomplie jusqu’au bout. Et pour cause, des franges du mouvement lycéen ne se sont pas donné jusqu’au bout la tâche de convaincre largement autour d’elles et n’ont pas cherché à se tourner vers les autres secteurs en lutte, mais ont eu plutôt une tendance au repli sur soi. Cela est regrettable puisque, bien évidemment, s’il est plus facile et plus confortable de s’adresser aux jeunes déjà politisés et déjà convaincus, nous ne pouvons lutter seuls éternellement. C’est en cela qu’une partie de l’avant-garde lycéenne a menée une stratégie critiquable car minorisante : des actions, des slogans, des discours qui ne dialoguaient pas avec la plupart des lycéens.

Néanmoins, beaucoup des limites qui se sont posées aux lycéens étaient tout simplement liées aux limites du mouvement de façon plus large. La jeunesse est partie en force dès le début de la mobilisation mais s’est retrouvée très isolée après la journée de mobilisation très massive du 9 mars, car la prochaine date de grève appelée par les directions syndicales était celle du 31 mars, ce qui a laissé un gigantesque laps de temps durant lequel la jeunesse, isolée dans la lutte, faisait face, seule, devant la matraque. Et ces décisions, celles de vouloir à tout prix retarder l’appel aux travailleurs à la grève reconductible, à multiplier les appels à des dates de mobilisation très éloignées, ont été un grand obstacle à l’expansion du mouvement dans sa globalité.

Car nous étions un certain nombre parmi les lycéens à comprendre qu’on ne pourrait pas gagner seuls, qu’on ne peut faire réellement pression sur l’État et le patronat qu’en s’attaquant à ce qui l’anime, à savoir les profits, et ce notamment par la grève. Et c’est en cela que la convergence des luttes, l’alliance entre la jeunesse et les travailleurs, est primordiale. Malheureusement, celle-ci n’a pas été menée à son terme. Il n’empêche qu’une partie de la jeunesse a pris conscience de la nécessité de cette convergence dans la lutte, ce qui est bénéfique pour les mouvements à venir.

Quelles perspectives ?

Aujourd’hui, on constate une baisse de la mobilisation sur les lycées, une baisse liée notamment à l’approche des examens. On imagine bien que si le mouvement ne s’est pas massifié jusqu’au bout dans les premières périodes de la mobilisation, il ne se massifiera pas plus avec l’approche du bac et des vacances scolaires. Mais des perspectives émergent pour la mobilisation et ce du côté des travailleurs : cheminots, raffineurs, dockers et marins, des secteurs dynamiques sur lesquels il faudra compter en cette période de mobilisation pour peut-être entraîner autour d’eux plus de secteurs encore lors des journées de mobilisation et de grèves. L’entrée dans la bataille de la classe ouvrière pourrait bien chambouler l’état du mouvement et offre de larges perspectives. En cela, la baisse de la mobilisation sur les facs et les lycées n’est donc pas à voir comme une fatalité, si ceux-ci acceptent de se joindre à la lutte des travailleurs pour la construire avec eux et assurer véritablement la convergence.

Mais bien au-delà de ça, il faut voir que ce mouvement en prépare d’autres. En effet, la Loi El Khomri n’est ni la première ni la dernière attaque menée par le patronat pour tenter de grappiller toujours plus sur le dos de la misère des travailleurs et de la jeunesse. Cette mobilisation surgit après 10 ans d’absence de mouvement social en France, après que le mouvement ouvrier ait été fortement affaibli par la défaite contre la réforme des retraites. C’est une première étincelle, mais d’autres sont à venir avec probablement encore plus de monde dans les rues. L’insurrection n’est jamais venue de rien un beau matin, elle est le fruit d’une lente maturation des consciences, de gens qui peu à peu prennent connaissance de la réalité de ce système, mais aussi des brèches qui existent pour le renverser. C’est aussi une lente prise de confiance qui s’amorce, puisque si 70% de la population rejette aujourd’hui cette loi, on voit bien que 70% de ces gens ne sont pas dans la rue ni mobilisés. Il existe encore un écart entre le rejet de la loi et la confiance qu’on les gens dans la capacité à gagner par la lutte et la confiance en leur propre force.

Et cette génération qui s’est forgée dans la lutte, en l’occurrence dans ce mouvement, est une génération qui sera sans aucun doute un des piliers des combats à venir. C’est en cela que nous devons tirer aussi les bilans des différentes luttes, de nos méthodes d’actions, de notre façon de nous tourner vers l’extérieur et de convaincre largement autour de nous, afin de ne pas repartir de zéro les prochaines fois. Nous sommes une génération qui a appris dans la lutte, qui s’est familiarisée avec l’auto-organisation, qui sait ce que répression veut dire et qui, malgré ses limites, tend à se tourner vers les travailleurs et à bâtir la convergence. Autant de points positifs qui ne pourront que préparer les ripostes à venir, et rappellent qu’il est plus que jamais nécessaire de s’organiser.


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