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Où va le Liban ?

Liban. Contre les mobilisations historiques, le Hezbollah se pose en pilier du régime

Alors que les femmes, les jeunes et les classes populaires sont en première ligne des manifestations, dépassant les divisions confessionnelles, le Hezbollah est en première ligne des défenseurs du régime.

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Depuis le 17 octobre une mobilisation de masse secoue le Liban. Des manifestations massives se sont mises en place en réaction, entre autres, à l’augmentation des taxes sur les appels WhatsApp et du prix des cigarettes. Cette annonce a fait l’effet d’un énième crachat méprisant des classes dominantes et a fait sortir des centaines de milliers de libanais et de libanaises dans les rues. Face à l’ampleur de la mobilisation le gouvernement a reculé sur la mesure et a tenté de calmer la colère grandissante en annonçant, entre autres, vouloir mettre en place des aides pour les plus pauvres, baisser les salaires des ministres et des députés. Mais la tentative a échoué et les manifestants sont ressortis par milliers et pour unique réponse au gouvernement, ils scandent « Révolution » et exigent la chute du régime.

Cette radicalité et ce refus de se laisser berner par les mesures proposées par le premier ministre Saad Hariri montrent combien la crise est profonde. Aujourd’hui il n’est plus question de refuser une énième taxe, il est question de « changer le système ». Il y a un appel clair à la démission de tous les politiciens, représentants de toutes les confessions, coupables d’entretenir un régime basé sur la corruption et le mépris de classe.

Le Hezbollah au secours du régime, attaque les manifestants

La dénonciation des différents partis politiques du régime touche également le Hezbollah, organisation chiite très populaire parmi les travailleurs et la population pauvre des centres urbains au sud du pays mais aussi dans d’autres régions, y compris la capitale Beyrouth.

Alors que le leader du parti, Hassan Nasrallah, ne s’était pas exprimé à propos du mouvement, vendredi dernier il a parlé à tout le pays dans des termes très hostiles. Ainsi, tout en appelant les sympathisants du Hezbollah d’abandonner le mouvement et les places occupées il a cherché à incriminer et délégitimer l’ensemble des manifestants : « il y a des groupes au sein du mouvement populaire qui sont liés à des ambassades étrangères. Il y en a qui recherchent une revanche politique et un règlement des comptes. J’ai les noms de tous ces groupes ». Immédiatement après le discours de Nasrallah, un groupe de militants du Hezbollah ont attaqué les manifestants à Beyrouth.

De cette façon, le Hezbollah assume un rôle de première ligne de défense du gouvernement et du régime face aux manifestations historiques qui secouent le pays. Autrement dit, le Hezbollah dévoile son vrai visage réactionnaire et contre-révolutionnaire au moment où des millions de personnes dans le pays, dans une alliance entre les jeunes précaires, les secteurs paupérisés dans les centres urbains, des secteurs de classes moyennes inférieures, se mobilisent remettant en cause le régime tout entier, scandant « révolution, révolution ». C’est une position très dangereuse pour le parti de Nasrallah. Notamment parce qu’il a su construire sa popularité et influence parmi les travailleurs pauvres des villes et les classes populaires, qui ne le perçoivent pas tout à fait comme faisant partie de la caste corrompue.

Bien qu’une partie des manifestants pourraient être sensibles au discours divisionniste de Nasrallah, le Hezbollah risque de s’aliéner une partie importante des manifestants. Ainsi, un sympathisant du parti réagissait au discours du leader du Hezbollah : « Ses priorités sont différentes de nos priorités, nous voulons changer le système, nous assurer une vie meilleure ; en bref, nous voulons une nouvelle vie, alors que les priorités du Hezbollah sont de préserver le système et de s’assurer de rester en bons termes avec leurs alliés ».

En effet, la tentative de Nasrallah consiste à diviser les manifestants, créant des intrigues sur des supposés financements étrangers pour créer le chaos au Liban. Cependant, le fait de s’attaquer à l’ensemble du mouvement, y compris ses sympathisants, et surtout le fait que des partisans du Hezbollah aient attaqué physiquement les occupations de places, met l’organisation chiite dans une position très délicate et elle pourrait devenir la cible, au même titre que les autres partis, de la haine populaire. Même si les ennemis du Hezbollah comme Israël et l’Arabie Saoudite pourraient voir d’un bon œil sa perte d’influence, le déséquilibre des pouvoirs que cela produirait représente aussi un danger pour leurs intérêts. La situation reste très tendue et les mobilisations ne semblent pas faiblir.

En ce sens, de façon historique, le Hezbollah lui-même a été la cible des manifestants dans certains de ses bastions . Comme le précise Le Monde : L’autre inquiétude d’Hassan Nasrallah tient au début de grogne de la communauté chiite. Depuis mi-octobre, les milliers de personnes ont protesté à Tyr et Nabatiyé, deux bastions du tandem Amal-Hezbollah. Des habitants de la Dahiyé, banlieue pauvre de Beyrouth, autre terre à majorité chiite, ont fraternisé dans le centre de la capitale avec les classes moyennes chrétiennes et sunnites le gros des manifestants. Du jamais-vu depuis la fin de la guerre.

Les femmes en première ligne

Il faut pointer une autre caractéristique très intéressante de la mobilisation en cours : le rôle des femmes. En effet, parmi les préoccupations qui animent le mouvement la question des lois discriminantes contre les femmes occupe une place importante.

En effet les libanaises sont soumises à d’importantes lois sexistes qui les relèguent à n’être que des citoyennes de seconde zone. Au Liban le droit n’est pas unifié et chaque confession a son propre système, aussi les droits des femmes varient en fonction de celles-ci, mais toutes sont sous la tutelle d’un père, d’un mari ou encore d’un frère. De la même manière elles n’ont pas le droit de transmettre la nationalité libanaise à leurs enfants, et ce depuis 1925 où sous la colonisation française Le code de nationalité libanais a été instauré. Elles doivent également faire face à une importante discrimination à l’embauche et les postes dans le secteur publique leurs sont particulièrement inaccessibles.

Face à cela, l’exigence de plus de droits a commencé à se répandre dans les rangs des femmes mobilisées. En effet les femmes sont sorties en nombre, à tel point qu’elles sont même majoritaires dans les rues de certaines villes. Dans ce soulèvement pour exiger plus de liberté, une figure a émergé et a fait le tour du monde : celle d’une femme frappant un des gardes du corps du ministre de l’Education, qui tente de repousser les manifestants.

Cette femme et son coup de pied montre la radicalité et la détermination qui anime certaines de ces manifestantes. Elle a également inspiré et donné du courage à beaucoup d’autres, dont Hannah 24 ans, qui dit vouloir aujourd’hui se battre contre "une société patriarcale". Beaucoup ont rapproché cette femme de celle qui a émergé dans la mobilisation au Soudan en avril dernier et c’est intéressant de voir qu’en effet une fois de plus les femmes sont à l’avant -garde de la lutte contre un régime autoritaire et se placent dans la continuité de cette histoire de lutte et de combats qui est celle des femmes dans le monde.

Ces femmes mobilisées et à la tête des manifestations pourraient aussi devenir une force sociale capable de créer une solidarité de classe et avec leurs frères et sœurs qui se battent actuellement en Irak contre un pouvoir assassin, ainsi que face à l’invasion de la Syrie par Erdogan pour en finir avec l’autonomie kurde. Mais aussi, cela pourrait être un point d’appui pour mettre fin au « système du Kafala » qui pèse sur les femmes de ménage étrangères travaillant dans le pays, les rendant totalement dépendantes de leurs patrons (en cas de fin de contrat elles deviennent « illégales ») et exposées à tout type d’abus et de violence, sans pratiquement aucun droit de travail.

Auto-organisation

Par son caractère massif, mobilisant de larges couches de la population au-delà des divisions confessionnelles, ce mouvement dispose d’un caractère historique. Comme le précise le site Open Democracy : « Cette fois, la révolution a commencé avec les classes les plus pauvres de chômeurs ou de sous-employés - généralement l’épine dorsale et les circonscriptions des partis sectaires hégémoniques à travers des réseaux complexes de clientélisme - se retournant contre leurs " mécènes ". Les mobilisations de ces derniers jours ont montré le début de l’émergence d’une nouvelle alliance de classe entre les chômeurs, les sous-employés, les classes populaires et les classes moyennes contre l’oligarchie au pouvoir. C’est une percée. »

Cependant, dans un contexte d’attaques et de tentatives de division et de déviation du mouvement, il devient de plus en plus clair que les manifestants ont besoin de mettre en place des organes pour débattre démocratiquement sur les suites du mouvement, ses revendications, pour élire ses porte-paroles et articuler l’ensemble des revendications. Ces organes d’auto-organisation dans les lieux de travail, dans les quartiers populaires, dans les lieux d’étude seraient la meilleure façon de lutter contre les intrigues lancés par des politiciens comme Nasrallah mais aussi pour lutter contre les tentatives de cooptation réactionnaire.

Comme les « révolutions arabes » de 2011 l’ont démontré, les manifestations spontanées, bien qu’elles apportent une énergie explosive aux mouvements, ne suffisent pas à elles seules. Les travailleurs, les jeunes précaires, le mouvement des femmes, doivent s’organiser de façon à contrôler eux-mêmes l’orientation, les revendications et le programme de leur lutte.


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Philomène Rozan

Etudiante à l’Université Paris Cité , élue pour Le Poing Levé au Conseil d’Administration

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