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Les raisons du triomphe de Trump, et le monde qui vient

Contre tous les pronostics, Donald Trump est devenu le 45ème président des États-Unis. Retour sur les raisons d'un triomphe imprévu qui secoue le monde.

Claudia Cinatti

9 novembre 2016

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Donald Trump occupe désormais la position de pouvoir la plus importante du monde. Et ce n’est pas tout. Les Républicains ont réussi à obtenir, dans le même temps, une majorité dans les deux chambres ainsi que la capacité de former la Cour Suprême avec une majorité de juges conservateurs. Autrement dit, la totalité du pouvoir étatique de la principale puissance impérialiste est aujourd’hui sous le commandement de la fraction d’extrême-droite du bipartisme nord-américain. Cela dit, il reste à voir comment va réagir le parti républicain, qui s’est majoritairement opposé au leadership de Trump et qui ne partage pas les bases fondamentales de son programme économique.
Il est d’ors et déjà reconnu dans de nombreux médias que ce qui a permis la victoire de Trump est une profonde « révolte populiste », d’une multitude de mécontentements, qui a trouvé dans ce milliardaire xénophobe, raciste et misogyne, un moyen d’exprimer sa colère contre l’establishment politique des deux partis traditionnels. C’est une gifle adressée à l’élite par des millions de travailleurs et secteurs de classe moyenne, qui ont perdu leurs emplois ou redoutent de le perdre et qui n’ont vu aucune amélioration de leur sort pendant des décennies.

Les grands médias ont déclaré que Trump était « narcissique ». En réalité, plus qu’une pathologie psychique, ce qu’exprime Trump est une démagogie politique classique. C’est ce qui permet d’ailleurs d’expliquer la contradiction apparente entre le fait que le leader de cette protestation contre l’establishment ne soit rien de moins qu’un des patrons les plus riches du pays. Trump aura réussi sans aucune doute à utiliser la disposition de l’Amérique blanche délaissée à rechercher un « sauveur ». Il a ainsi réussi à se positionner comme l’ « homme fort », utilisant son énorme pouvoir économique et son succès personnel comme garantie de sa capacité à appliquer de grandes solutions : construire un mur à la frontière du Mexique, déporter 11 millions de migrants illégaux, imposer de 35 % les importations chinoises, rejeter les traités internationaux contre le changement climatique, faire revenir les vieux emplois perdus sur le sol des États-Unis.
Mais si les raisons qui ont conduit une majorité de nord-américain à voter pour Trump peuvent trouver une partie de leur racine dans la situation propre aux États-Unis, elles sont aussi liées à la décadence du pouvoir nord-américain dans le monde et l’échec de la politique extérieure « de centre » conduite par Obama pour recomposer, avec des méthodes défensives sur la forme – dégel avec Cuba, accord nucléaire avec l’Iran – mais offensives sur le fond – traité de libre-échange, tournant vers l’Asie – le leadership des États-Unis, qui a été sérieusement remis en cause par la bruyante défaite de la politique guerrière de Bush (en Afghanistan, Irak, et par la guerre « préventive »).

Ce n’est pas un hasard si le principal slogan de la campagne de Trump a été « Make America great again » (« Rendre à nouveau grands les États-Unis »), par la voir de l’isolationnisme sélectif dans l’usage du pouvoir militaire, le protectionnisme économique contre les compétiteurs comme la Chine et partenaires comme le Mexique, et la réaffirmation des « valeurs nord-américaines » - autrement dit, conservatrices – face à la menace de « l’autre » : immigrants, minorités diverses (afro-américains, LGBT... etc).

Déjà en campagne, alors qu’il était encore un candidat improbable, Trump prévoyait que son triomphe serait « un Brexit multiplié par trois ». Peut-être voyait-il encore trop petit. L’impact de ce tournant brusque dans la politique nord-américaine aura des conséquences géopolitiques de large ampleur, et il s’agit probablement de la démonstration la plus profonde que les bases de l’ordre néolibéral, qui était commandé par les États-Unis depuis son triomphe dans la guerre froide et par les partis « d’extrême-centre », ont été carbonisé par la crise capitaliste de 2008.
En ce sens, cela confirme et renforce le message du Brexit et la venue d’autres « Trump » dans le monde,comme les partis d’extrême-droite en Europe : le Front National, l’UKIP en Grande -Bretagne, les partis xénophobes des pays de l’Est ainsi que les fractions plus extrêmes des partis de droite plus classiques.
Ainsi, il s’est ouvert une étape de tensions inter-étatiques majeures, dans laquelle sont inscrits des conflits économiques et militaires d’envergure et des « solutions de force » face aux menaces de la lutte des classes, dans laquelle s’il y a une polarisation, c’est l’extrême-droite qui tient l’avantage pour l’instant, face à un centre-gauche timide qui continue de chercher des variantes des partis sociaux-libéraux.
Le bouleversement qui a lieu aux États-Unis suit une trajectoire similaire en Amérique Latine, où les gouvernements « populistes » de la dernière décennie ont maintenu intact le pouvoir des capitalistes et, alors que s’installait la crise, ont commencé à appliquer les plan d’austérité, comme par exemple Dilma Roussef au Brésil, ou comme promet de le faire Scioli en Argentine, ouvrant les portes à la droite.
Ceci nous conduit à l’une des principales conclusions à tirer du triomphe de Trump pour tout ceux et toutes celles qui luttent contre cette société capitaliste.
Obama aura gouverné dans des conditions exceptionnelles, en réussissant à enthousiasmer un large secteur de jeunes, travailleurs, femmes, afro-américains et immigrés par la promesse d’une sortie réformiste et progressiste à la crise capitaliste et les guerres impérialistes.
Mais il a déçu en sauvant Wall Street et les grandes entreprises avec l’argent public, tandis que des millions de nord-américains voyaient partir en fumée leur maison, leur emploi, et leur niveau de vie. Les directions syndicales avaient vendu leur âme aux patrons depuis bien longtemps et accepté les emplois « modèle Walmart », conduisant à ce que seulement 6 % des travailleurs du secteur privé soient syndiqués.
Si Obama avait incarné « l’illusion populiste » de gauche, Hillary Clinton était la restauration de l’establishment des patrons et de la politique guerrière, la confirmation qu’il n’y a pas d’autres alternatives que la même politique « as usual ». Ni la bureaucratie politique ni les grands médias, ni les sondages n’ont été capables de voir le profond rejet de ce statut quo qui existait au sein de la population et qui s’est exprimé à travers l’extrême-droite de Trump.

Ce tournant était-il inévitable ? Bien que la victoire de Trump paraisse improbable, elle ne l’est d’aucune manière. L’émergence de la candidature de Bernie Sanders à la primaire démocratique était une surprise pour la gauche. Sanders se définissait comme "socialiste démocrate" même si dans sa conception ce n’était rien de plus qu’une sorte de nouvelle édition des politiques de redistribution traditionnelles du parti démocrate. Il dénonçait Hillary Clinton comme faisant partie de l’élite au service des entreprises et des blancs. Dans sa campagne, il affichait des revendications telles que le salaire minimum à 15$ de l’heure. Et avec ce discours, il enthousiasmait une nouvelle génération. Il écrasait Clinton parmi les jeunes de moins de 30 ans et gagnait même dans les États de l’ancienne ceinture industrielle. De ce fait, dans les primaires, il a reçu quasiment les mêmes votes que Trump, environ 14 millions.
Cependant, toute cette force et cet enthousiasme se liquéfièrent. Sanders a montré ce qu’il était : il a soutenu Clinton sans sourciller et a oublié sa promesse de "révolution politique". Il s’est subordonné aux mêmes agents des entreprises qu’ils dénonçaient dans sa campagne. De cette manière, il a laissé à Trump les drapeaux du mécontentement contre la caste politique et l’inégalité obscène.

Il est vrai que la classe ouvrière, principalement industrielle, ne s’est pas remise de la défaite de la décennie de 1980, qui a ouvert la voie au néolibéralisme. Mais il n’y avait rien d’inéluctable à ce que les « cols bleus » votent de manière si large pour Trump, s’il avait existé une alternative d’extrême-gauche au bipartisme capitaliste.
Historiquement, les mouvements populistes surgissent comme réponses à des crise profondes et une polarisation sociale et politique. En un sens, Trump ne tombe pas du ciel, et a été largement annoncé par l’émergence du Tea Party (bien que sans être opposé à la mondialisation et ayant une base sociale dans les petites entreprises), la droitisation du parti républicain et la ré-émergence d’une droite rance, la dénommée "alt right", composée de suprématistes blancs et autres délices. 
Tout cela est sans aucun doute un symptôme de la décadence nord-américaine et un produit de décennies de réaction politique. Le fait que Trump ait pu canaliser la frustration des secteurs les plus arriérés des salariés, et les classes moyennes, vers la xénophobie et le protectionnisme, est un signal, une alerte pour les exploités et les opprimés. Nous sommes devant la dangereuse fragmentation entre la classe ouvrière et ses alliés, les minorités afro-américaines et latinos, les femmes. Plus que jamais, il est nécessaire de construire des partis ouvriers d’extrême-gauche solides, révolutionnaires, qui recomposent l’unité des exploités et des opprimés au niveau national et mondial. Des partis qui ne soient pas démagogiques et populistes comme Trump ou les réactionnaires occultes, ni des mascarades de progressisme comme Clinton, dont des imitateurs sont présents dans quasiment tous les pays du monde. 


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Claudia Cinatti

Dirigeante du Parti des Travailleurs Socialistes (PTS) d’Argentine, membre du comité de rédaction de la revue Estrategia internacional, écrit également pour les rubriques internationales de La Izquierda Diario et Ideas de Izquierda.

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