Tribune

Les femmes trans migrantes face aux violences racistes et sexistes

Mimi Acceptess-T

Les femmes trans migrantes face aux violences racistes et sexistes

Mimi Acceptess-T

Mimi est co-présidente de l’association parisienne Acceptess-T qui cherche à aider les personnes trans, notamment migrantes et/ou travailleuses du sexe. Précarisées, harcelées par la police, à l’intersection de multiples oppressions et de l’exploitation, aujourd’hui les personnes trans vivent pour beaucoup dans des conditions de vie proches de la misère. Mimi revient pour RP Dimanche sur l’origine de ces inégalités et de cette oppression.

Quand on parle des questions trans ou des personnes trans, on pense souvent à la question de l’identité de la personne, ou à la transidentité. Dans le monde de la recherche médicale sur les personnes trans, elles sont également toujours “traitées” comme un objet de recherche passionnant, et traitées à partir de l’angle d’analyse du soi-disant “transexuallisme”. Le corps médical, qui domine le débat sur la transidentité, considère le plus souvent les personnes trans comme des personnes victimes d’une pathologie, en utilisant le terme très oppressant de ”transsexualisme”. Dans ces schémas de pensée dominants, imposés par une société patriarcale et transphobe, l’aspect de la vie personnelle des personnes trans, leurs voix ou leurs existences n’ont aucune place pour s’exprimer.
Ainsi, c’est encore très rare qu’on entende parler des personnes trans et de la façon dont elles subissent les multiples vulnérabilités, en particulier lorsqu’on est une femme trans migrante. 

Ici, je vous parlerai de ces braves femmes qui traversent les continents pour pouvoir vivre leurs vies librement.
En Occident, comme ici en France où le patriarcat et le racisme sont toujours forts, il est très difficile d’atteindre ce but, notamment quand les violences patriarcales et racistes deviennent un outil qui sert à précariser et assassiner ces femmes socialement, politiquement et économiquement. 

La transphobie n’est pas une opinion, mais de la violence !

Lorsqu’on est née femme, on sait déjà ce que c’est que le patriarcat. Les femmes cisgenres se battent depuis très longtemps pour que le monde les écoute et respecte leur parole. Grâce aux combats des féminismes, soit du courant matérialiste, soit du courant marxiste, la question de la matérialité des violences patriarcales à l’encontre des femmes cis est prise en compte, notamment les questions sur l’inégalité des salaires, le revenu, la difficulté en tant que mère célibataire, etc. Néanmoins, les femmes trans sont aussi les femmes. Subissent-elles aussi autant de violences, autant de précarité et autant d’injustices que les femmes cis ?

C’est la question centrale de mes recherches. J’essaie de faire connaître la vie de ces femmes car en tant que femmes elles subissent de la misogynie (le mépris et la haine des femmes), en tant que trans la transphobie (le rejet, l’exclusion et la haine à l’encontre de leur identité), et en tant que migrantes le racisme (les violences subies en France en tant que femmes racisées et migrantes). Ces trois constats sont sans doute connectés et nous verrons comment ils sont effectivement responsables du malheur de ces femmes.

Dans le cadre de mon travail, j’ai effectué de l’observation et de la recherche ethnographique avec beaucoup de femmes trans de plusieurs pays, essentiellement de pays d’Amérique latine. Elles vivent souvent dans de grandes villes en France. 

Beaucoup de femmes trans que je connais vivent depuis toujours dans la précarité à cause de l’exclusion sociale produite par la transphobie. Dans le cadre familial, les violences commencent dès que les jeunes trans osent montrer qui elles et ils sont. La menace peut venir des gens proches, parfois de leurs propres parents. Beaucoup de jeunes ont été violentées, maltraitées et expulsées du foyer très tôt. Le rejet par la famille entraîne une situation d’errance à la rue, sans moyens et sans diplôme. Pour celles qui survivent et accèdent à de bonnes écoles, les problèmes ne sont pas résolus pour autant. Les jeunes filles trans sont toujours maltraitées, insultées, ridiculisées et poussées au suicide comme le cas de cette jeune femme de 17 ans à Lille, en France en 2020. La transphobie peut prendre une ampleur encore plus grande dans beaucoup d’autres pays, notamment dans les pays colonisés ou semi-colonisés dans lesquels les occidentaux ont imposé la transphobie, en éradiquant la culture du respect de la transidentité préexistant avant l’époque coloniale. 

Le système scolaire est d’une extrême violence pour ces jeunes écolières, souvent forcées à se comporter et à porter les vêtements ou uniformes qui ne correspondent pas à leur genre. Cette violence quotidienne les pousse à quitter le système scolaire le plus rapidement possible, afin de s’affranchir d’une oppression insupportable. De plus, dans une société qui n’accepte que les « jolies » femmes – correspondant aux normes de genre – les femmes trans doivent tout faire pour avoir le physique parfait pour espérer être acceptées. Et la beauté coûte ! La transphobie dans la famille et à l’école, c’est trop et ça ne paie rien ! Ainsi, beaucoup de ces jeunes femmes ont donc été sans domicile fixe et ont connu la vie de jeunes travailleuses du sexe.

De ce fait, elles deviennent des travailleuses dans ce secteur qui est loin d’être accepté par tout le monde. La précarité et la haine qui les frappent les poussent à partir loin pour trouver une vie meilleure. Toutefois, une fois arrivées en France, elles sont encore maltraitées car elles sont migrantes et certaines n’ont pas de papiers. Beaucoup ont payé cher les passeurs afin d’arriver en Europe, ce n’est que le travail du sexe qui leur permet de rembourser leurs dettes et de vivre un peu plus facilement qu’avant. Être migrantes, trans et souvent travailleuses du sexe rend plus difficile l’accès au logement et au travail conventionnel par rapport aux personnes cis et blanches, alors même que ce n’est pas forcément facile non plus pour ces dernières.

Certaines de ces femmes-là ne sont pas déconnectées de leurs familles. Certaines arrivent à les faire respecter leur transidentité, parfois à condition qu’elles leur envoient un peu d’argent, ce qui pousse les familles à fermer les yeux sur leur identité.
Ainsi, alors que les femmes trans migrantes vivent comme des sous-prolétaires sans droits, ni voix, elles doivent quand même verser de l’argent pour soutenir leurs familles. C’est comme une forme d’achat de l’affection dont elles sont systématiquement privées. Il n’est pas étrange que certaines soient fières de leur travail du sexe car il est le seul moyen de gagner de l’autonomie et de résister la haine qui les domine toujours.

Les violences que ces femmes subissent, telles que la transphobie, la misogynie, le racisme et le mépris de classe (car elles travaillent comme des travailleuses du sexe, un concept refusé par de nombreux courants politiques de gauche comme de droite) sont les grands enjeux qui mettent en danger les femmes trans, notamment celles venant des pays pauvres et dominés par les pays impérialistes. Ces violences sont réelles et affectent les conditions de vie de ces femmes, elles qui ne cherchent qu’à gagner leur vie. Elles ont droit à mieux que ça.
Pourtant, la vie des femmes trans migrantes ne semble pas compter comme les autres vies humaines aux yeux des médias et des gens en général. Par exemple, en 2018, Vanesa Campos, femme trans péruvienne a été assassinée au bois de Boulogne, et a été mégenrée par certains médias. Paris Match, condamné pour ça, a mis la photo de son corps dans leur article, comme si tout était permis, quand il s’agit des femmes trans. Ou encore Jessyca Sarmiento, assassinée au même bois en 2020, dont on ne parle pas assez.

Il y a encore beaucoup d’autres victimes qui ont constaté l’augmentation des violences à l’encontre des travailleuses du sexe, notamment celles qui travaillent dans la rue, après l’application de la loi pénalisation des clients. Loi défendue par toute la gauche institutionnelle et qui se fout complètement des conséquences négatives pour les travailleuses. Quand on est de gauche, on défend la vie des femmes trans. Elles sont aussi nos sœurs, nos camarades et aussi des sous-prolétaires en lutte qui se battent pour avoir des droits et des vies dignes comme le méritent tous les travailleurs. Il est temps de les respecter ! 

Crédit photo : Têtu

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