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Européennes

Le Frexit : le retour aux frontières nationales, une solution ?

Depuis plusieurs mois, fleurissent des pancartes Frexit dans les manifestations de Gilets jaunes. Si la sortie de l'Union Européenne semble être considérée comme la solution pour retrouver un contrôle démocratique sur les institutions et la vie économique, nous entendons la discuter dans cet article.

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Si plusieurs candidats ont pu explicitement revendiquer une sortie de l’Union Européenne, ou adopter des positions ambiguës à ce sujet, notamment Marine le Pen en 2017, qui a, par la suite, définitivement abandonné l’idée, c’est au candidat François Asselineau qu’est associée l’idée d’une sortie de la France de l’Union Européenne, ou « Frexit ».

Mythes et réalités de l’UE

Tout d’abord, il est nécessaire de déconstruire plusieurs mythes tenaces au sujet de l’Union Européenne, ses institutions et l’histoire de sa construction. Pour résumer sommairement, celle-ci a représenté une tentative pour les principales puissances européennes de trouver une solution aux conflits inter-étatiques ayant menés à une double guerre mondiale. A ce titre, l’UE actuelle est liée par sa fondation aux Communautés Européennes, notamment à la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (CECA, 1952) et à la Communauté Economique Européenne (CEE, 1958).

Une construction largement menée sous le parapluie et, dans une certaine mesure, la tutelle économique, militaire et politique de l’impérialisme américain qui était sorti grand vainqueur de la Seconde Guerre Mondiale. La CECA et par la suite la CEE n’étaient en fait que les produits indirects du Plan Marshall (1948), de l’Organisation Européenne de Coopération Economique (OECE, 1950) et de la volonté de voir, de la part des Etats-Unis, la « constitution d’un marché unique sans restrictions quantitatives extérieures aux mouvements de marchandise ».

Toutefois, très rapidement l’Union Européenne s’est émancipée de la tutelle états-unienne, formant un bloc impérialiste (comprenant toutefois des contradictions internes), et opposé, dans une certaine mesure, aux intérêts de Washington. Loin d’une « soumission », la construction européenne a offert aux principales puissances européennes comme la France ou l’Allemagne la possibilité de faire jeu égal avec des puissances comme les États-Unis, la Russie ou la Chine. Un point particulièrement revendiqué par les patrons des principales puissances européennes, notamment allemands, qui s’inquiètent de la montée de l’euroscepticisme : « Les principaux représentants du patronat allemand] ont également déclaré que seule une UE unie était capable de négocier sur un pied d’égalité avec les autres puissances mondiales et de « défendre les valeurs et les intérêts économiques qui nous lient ». Certains États membres, comme l’Allemagne, étant "trop petits pour cela". » [1]

C’est que derrière le complexe enchevêtrement d’institutions, toutes essentiellement anti-démocratiques, se joue une coordination des intérêts des principales bourgeoisies européennes, se servant de l’Union Européenne et ses institutions pour déployer leur puissance sur l’espace économique et géopolitique. Véritable machine de guerre pour faire ployer non seulement leur classe ouvrière nationale, mais aussi des Etats de second rang, réduits au rang de semi-colonie – ainsi du traitement particulièrement brutal infligé à la Grèce par la dénommée « Troïka », et appuyé sans réserve par la France, ou encore l’inflexion plus récente du gouvernement italien, rappelé à l’ordre sur son déficit budgétaire.

La Commission, source de tous les maux ?

Parmi toutes les institutions les plus anti-démocratiques de l’Union Européenne, il en est une qui cristallise les colères : la Commission Européenne. Selon François Asselineau, elle serait le siège de la « dictature » imposée aux Etat membres. « L’UE est une dictature qui ne dit pas son nom, une nouvelle prison des peuples. (…) Tous les choix (des Français) sont en fait déjà décidés par la Commission européenne avant qu’ils ne votent. » [2]

En réalité, si la Commission est régulièrement ciblée comme source de tous les maux, il faut rappeler que dans cet enchevêtrement d’institutions que constitue l’UE, le Conseil Européen a un poids prépondérant. Ce dernier, composé des chefs d’État ou chefs de gouvernement des États membres de l’Union européenne, a un rôle privilégié dans la définition de la ligne politique et économique de l’UE. En effet, bien que la Commission Européenne ait un pouvoir exécutif ainsi que de proposition de directives et de réglementations, elle dépend en fait étroitement du Conseil Européen et des différents Conseils des ministres.

De même, si François Asselineau relève à juste titre que la règle dite des 3% « varie au gré des intérêts qu’elle sert », sa conclusion quant aux « intérêts » réels derrière cette loi est bien plus contestable. Selon le candidat de l’UPR, « en réalité, cette règle est infondée économiquement mais elle constitue la justification théorique des politiques constamment récessives imposées par la Commission européenne, via le rapport annuel des Grandes orientations des politiques économiques (GOPÉ). » Sur son site, le candidat précise que ces mesures sont « imposées » aux Etats membres par la Commission.

Pourtant, comme exposé plus haut, la politique de l’Union Européenne, loin d’être imposée hors sol par une Commission toute-puissante, se noue en étroite collaboration avec les gouvernements nationaux, au milieu d’un empilement opaque d’institutions et dans le cadre des jeux de puissance intra-européens. A ce titre, quant aux mesures politiques dont parle Asselineau (les GOPE), si elles sont établies sur la base de propositions de la Commission, celles-ci sont en réalité fixées et appliquées par le Conseil de l’Europe, qui réunit des ministres des Etats membres, et dont la tâche est de coordonner à échelle européenne les politiques économiques. Un travail mené en étroite collaboration avec une autre institution clé évoquée plus haut : le Conseil Européen (composé des chefs de gouvernements, et à ne pas confondre avec le Conseil de l’Union Européenne, composée des ministres en lien avec l’ordre du jour : finance, santé etc.)

S’il n’est pas question de nier le caractère particulièrement anti-démocratique de la machine européenne, il ne s’agit en aucune manière d’une « dictature » qui imposerait sa vision aux Etats membres, en particulier l’Allemagne et la France. Les instances réellement souveraines du continent demeurent en effet en dernière instance les gouvernements eux-mêmes, qui, bien qu’ils se livrent une bataille acharnée pour infléchir en leur sens la politique de l’UE, constituent les principaux décisionnaires au niveau national pour passer leurs contre-réformes. Macron n’a pas attendu quelque directive européenne pour s’en prendre aux acquis sociaux. S’il est devenu courant d’accuser Bruxelles de tous les maux, c’est surtout parce qu’elle offre l’avantage pratique de dédouaner les principaux responsables politiques en jetant la pierre à Bruxelles – comme si c’était depuis le siège de la Commission que l’on imposait à Berlin, Paris ou Londres la politique à suivre.

L’impérialisme français... victime de l’UE ?

En cela, le tableau d’une France « victime » de la construction européenne, dont la « souveraineté » aurait été dérobée par d’obscures instances bureaucratiques est nettement contredit dans les faits.

Comme l’a analysé l’économiste français Thomas Piketty, qu’il s’agisse des flux de capitaux ou de la contribution nette au budget européen, la construction européenne a largement bénéficié aux classes dominantes françaises, qui disposent d’un marché privilégié à l’Est pour écouler leurs marchandises et leurs investissements directs à l’étranger (IDE), protégés des intérêts américains par les barrières douanières : « En Allemagne et en France, on continue de s’imaginer que l’on a aidé les Grecs, puisqu’on leur a prêté de l’argent à un taux d’intérêt inférieur à celui auquel ils auraient dû faire face sur les marchés financiers, mais supérieur à celui auquel nous empruntons sur ces mêmes marchés. En Grèce, la lecture est très différente : on y voit surtout une juteuse marge financière. En vérité, la purge imposée à l’Europe du Sud, avec des conséquences sécessionnistes dramatiques en Catalogne, est le résultat direct d’un égoïsme franco-allemand à courte-vue. (...) De fait, si l’on examine les chiffres, ils n’ont pas complètement tort. Après l’effondrement du communisme, les investisseurs occidentaux (allemands en particulier) sont graduellement devenus propriétaires d’une part considérable du capital des ex-pays de l’Est : environ un quart si l’on considère l’ensemble du stock de capital (immobilier inclus), et plus de la moitié si l’on se limite à la détention des entreprises (et plus encore pour les grandes entreprises). » [3]

Ce discours, qui dédouane les classes dominantes nationales, surtout françaises, est largement repris par le candidat François Asselineau. Ce dernier avance en effet l’idée que sortir de l’Union Européenne permettra, entre autres, de « défendre nos acquis sociaux » (pourtant rognés bien avant l’entrée dans l’UE, et dont les contre-réformes des gouvernements successifs n’ont pas attendu les directives de l’UE), ou encore de « réaliser des économies », le tout sans prendre la peine de mentionner le CICE, le candidat de l’UPR proposant uniquement de maintenir celui-ci, pourtant un cadeau fiscal aux grandes entreprises, en réduisant son enveloppe à 4 milliards d’euros – montant qui s’approche par exemple des coupes budgétaires effectuées cette année dans le budget de la Sécurité Sociale pour le remettre à l’équilibre, à hauteur de 5,7 milliards d’euros. Difficile d’oblitérer ces problèmes, dont aucun n’est lié à l’Union Européenne mais bien à la guerre de classe menée par les grands patrons nationaux.

Eriger la France en valet de la construction européenne soumise à la « dictature » de Bruxelles ou de Washington revient donc à minorer excessivement la réalité du poids économique, militaire et financier de la France et son caractère impérialiste, de nation qui en opprime d’autres. En cela, on voit mal en quoi la sortie de l’UE contribuerait à « la paix entre les peuples » comme le soutient François Asselineau. Ce dernier avance en effet que « la sortie de l’OTAN et celle de l’UE (en particulier sa politique étrangère de sécurité et de défense) nous libéreront de la soumission militaire à Washington. Le Frexit nous permettra de ne plus être impliqués dans des guerres illégales et criminelles de nature néocoloniale. Cela contribuera à la fois à notre sécurité intérieure (par la baisse des risques terroristes) et à la paix mondiale. » Pourtant, les interventions néocolonialistes de la France au Mali ou au Niger, ou la défense de ses intérêts impérialistes en Algérie n’ont aucun lien avec l’OTAN ou l’UE, mais bien à voir, là encore, avec les intérêts de la bourgeoisie française.

Rester ou sortir de l’UE : les deux faces d’une même pièce ?

Interrogé par Marianne sur son programme, François Asselineau écrit : « notre sortie de l’UE et de l’euro sont les conditions indispensables pour permettre enfin l’augmentation du pouvoir d’achat, le référendum d’initiative citoyenne (RIC) en toutes matières, le retour de l’emploi en France par la réindustrialisation, la protection de la nature et de la santé des Français, le maintien des services publics, etc. »
Un programme séduisant sur le papier mais qui oublie une réalité essentielle : le grand patronat des principaux Etats européens n’a aucune volonté de rompre avec une construction européenne qui sert ses intérêts. Ainsi, selon un sondage effectué auprès de 610 dirigeants d’entreprise par OpinionWay pour le site internet Atlantico, lors des élections présidentielles de 2017, 56% des patrons français estiment « ne pas pouvoir se passer de l’euro ». C’est ce qui explique d’ailleurs l’abandon de toutes les velléités « exitistes » des principaux candidats souverainistes quand ils se rapprochent du pouvoir, à l’image de la ligue du Nord en Italie ou même du Rassemblement National en France qui a abandonné le retour au franc pour devenir un parti de gouvernement crédible… ce qui suppose avant tout de convaincre les milieux d’affaires !

La rhétorique qui stipule une convergence d’intérêts des salariés et patrons français autour de la « souveraineté » de la France, non seulement ne prend pas en compte la dynamique de la compétition de l’économie mondiale, mais revient surtout à nier les intérêts antagoniques de classe. Si un pays central européen comme la France se trouvait face à la nécessité de sortir de l’Union Européenne, par exemple en cas d’accident électoral – un scénario très peu probable vu la capacité de pression des grands capitalistes sur les différents gouvernements – ce sont les travailleurs et les classes populaires qui paieraient le coût de ce scénario catastrophique pour les classes dominantes.

En vue de maintenir sa position sur l’échiquier politique et économique mondial, un pays sortant ne serait que plus brutal et infligerait les pires restrictions à la classe ouvrière nationale, de la dévaluation à la « désinflation compétitive » qui consiste à baisser les salaires pour contenir/améliorer les marges des entreprises. Un scénario qu’on a pu voir à l’œuvre lors de la crise des années 1930. La « guerre des monnaies » qui avait cours à ce moment avait eu des conséquences catastrophiques sur les travailleurs et les classes populaires en France.
Loin de « rétablir la démocratie » comme le revendique François Asselineau, un Frexit ne ferait que soumettre plus durement encore les classes populaires à la dictature de classe de la bourgeoisie. A titre d’exemple, loin d’avoir octroyé aux classes populaires un regain de contrôle démocratique sur l’économie et les institutions, le Brexit n’a en aucun cas offert d’amélioration de vie pour le monde du travail. Pire, il avait dans un premier temps ouvert la voie à de nombreux actes xénophobe.

Plus encore, il faut signaler que si, pour l’heure, le cadre de l’Union Européenne reste un choix stratégique des classes dominantes, on ne peut exclure qu’en cas d’épisode plus catastrophiste d’une crise économique ou politique, le « Frexit » puisse être un choix pour la bourgeoisie française. D’une certaine manière, le retour en arrière de Marine Le Pen sur la question de la sortie de l’Union Européenne exprime son incapacité à convaincre des fractions des classes dominantes à cette sortie de l’Union Européenne qui reste, malgré sa crise, le meilleur compromis pour bourgeoisies nationales, assurant les conditions les plus favorables pour maintenir les profits contre le monde du travail.

Pour une campagne internationaliste, au service des intérêts des travailleurs : l’appel à voter Lutte Ouvrière

Il y a un scénario qui effraye encore davantage la bourgeoisie européenne que la rupture d’un pays membre de l’Union Européenne, c’est la perspective d’une montée de la lutte des classes sur le continent européen. La perspective de la prise du pouvoir par les travailleurs signifierait pour eux de se priver des moyens de faire payer la crise. C’est à ce titre que le mouvement des Gilets Jaunes a piqué au vif les capitalistes, en France mais plus généralement dans toute l’Europe. Si le mouvement n’est jusqu’ici pas parvenu à défaire Macron, tombant dans une forme d’impasse stratégique, il a porté un coup d’arrêt au projet néolibéral qu’incarne l’Union Européenne. Outre les concessions déjà concédées par le gouvernement, la mise en œuvre du plan macronien pour le reste du quinquennat a du plomb dans l’aile. Cette résistance face à l’austérité et à la casse de droit du travail a suscité un élan de sympathie chez les classes populaires sur le vieux continent, et on a vu fleurir des Gilets Jaunes en Belgique, en Espagne, en Allemagne, en Bulgarie et même au Liban !

Cette contamination de la révolte jaune est loin d’être le fruit du hasard, car s’il y a quelque chose qui unit les travailleurs et les classes populaires en Europe, plus qu’une lointaine construction d’une Union Européenne qui leur est hostile, c’est la lutte pour leurs conditions de vie et les modèles néolibéraux. Ainsi, du spectre de la révolution qui fait son retour en France avec le mouvement des Gilets Jaunes, aux grèves des enseignants en Pologne, jusqu’aux manifestations anti-austérité contre le gouvernement populiste hongrois Viktor Orban, les résistances sont nombreuses, et elles concernent l’ensemble du spectre politique européen, des « européistes » aux « souverainistes ». La seule véritable rupture avec l’Union Européenne, ce serait par une lutte commune des travailleurs de tout le continent contre les capitalistes, et ceux qui les représentent. Cette union des travailleurs et des peuples serait le fondement pour une fédération socialiste européenne, seule véritable alternative à l’union européenne capitaliste d’aujourd’hui.

La seule liste présente aux élections européennes qui avance cette perspective, c’est celle de Lutte Ouvrière à travers son mot d’ordre des Etats Unis socialistes d’Europe. C’est pour cette raison que nous, militants de Révolution Permanente et membres du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) de Philippe Poutou et Olivier Besancenot qui n’a pas pu présenter une liste lors de ces élections, nous appelons à mettre un bulletin en faveur de Lutte Ouvrière le 26 mai prochain.




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