×

Ciné

Le Fils de Saul : dans l’enfer des camps d’extermination

G. F. Ancien premier assistant réalisateur de son compatriote Bela Tarr, le jeune hongrois Laszlo Nemes nous arrive avec un premier film bouleversant. Grand Prix du Jury à juste titre à Cannes, Le Fils de Saul nous embarque dans les « Sonderkommando » unités de travail dans les camps d'extermination, souvent juives et obligées de participer à la "Solution Finale" avant d'être exécuté par les Nazis. On aurait pu s'attendre de toute évidence à un traitement similaire aux films sur la Seconde Guerre Mondiale comme Phoenix de Christian Petzold.

Facebook Twitter

Ici, Laszlo Nemes nous embarque directement dans les camps d’extermination, dans ces troupes. On y voit toutes les pires horreurs. On suit un homme singulier embarqué bien malgré lui dans ces événements. Saul est livré à lui-même comme tous les autres. On ne le place pas au-dessus des autres, il est comme ses camarades. Tout cela est bien appuyé par la mise en scène où on voit le personnage de Saul déambuler dans les couloirs de ces chambres de la mort. On est embarqué dès le début du film, Saul nous sert de guide. Le film s’ouvre sur l’arrivée d’un convoi où les femmes, les enfants sont gazés. Les Sonderkommando sont chargés de récupérer les affaires personnelles puis arrive la scène où ils ferment les portes. On devine évidemment ce qui se passe derrière. Rien n’est montré, il n’y a aucune obscénité. On entend ces cris, ces hurlements, ces déchirements, des gens qui frappent contre les portes. On imagine ce qui se passe à l’intérieur, et l’horreur est d’autant plus grande lorsqu’on connaît les conditions de ces meurtres massifs.

Le film nous prend à la gorge tout de suite, et provoque un sentiment de malaise. On tremble, on a peur. On a le cœur qui bat à mille à l’heure, on ne se sent pas bien. On a une réaction épidermique, on est effrayé. Le film est magnifique malgré son thème effroyable, tout est suggéré par le hors-champ, la non-profondeur de champ. On entend le bruit des fours, le bruit de ces affreuses "usines" à tuer. Le film ne dispose d’aucune musique. Tout est laissé au naturel, pour correspondre à la réalité qu’était Auschwitz-Birkenau. Le son est bruyant, nous transperce puis viennent des moments d’accalmie mais seulement pour un bref instant. La mise en scène est magistrale et nous présente un angle de vue tout à fait différent de ce qu’on a pu voir jusqu’à aujourd’hui. Ici, pas de scénarisation policée. Uniquement, un film qui s’inspire des manuscrits laissés et cachés par les Sonderkommando. Le film nous plonge dans l’enfer concentrationnaire.

Le film nous rappelle Shoah de Claude Lanzmann, mais aussi les livres de Primo Levi ou bien de Imre Kertesz, Être sans destin. Ce film aurait pu s’appeler Etre sans destin, Saul cherche désespérément à vivre, à retrouver la trace d’une vie enfuie, d’une jeunesse irrattrapable. Il découvre son fils mort qu’il va chercher à faire enterrer par un rabbin en lui faisant prononcer le « kaddish » (pour faire sanctifier son "fils") et l’enterrer dignement. Laszlo Nemes nous présente ici un premier film magnifique, glaçant, horrifique qui risque de marquer le cinéma mondial. Nous assistons sans doute à l’arrivée d’un futur ou déjà grand réalisateur hongrois aux côtés de Bela Tarr, Miklós Jancsó. Une expérience cinématographique qui ne laisse pas indemne. La qualification de ce film de chef d’oeuvre n’est pas en faire trop, un chef d’oeuvre est un film qui divise, qui fait débattre, qui est "parfait" que cela soit sur le fond ou la forme, c’est aussi un film qui laisse libre cours à l’imagination du spectateur pour en faire sa propre interprétation.

Ce film est une épreuve physique, psychique. Sans doute, un moment de cinéma qui marquera pendant de très longues années.


Facebook Twitter
Diplôme d'Etat imposé pour les « danses populaires » : les professionnels du secteur se mobilisent

Diplôme d’Etat imposé pour les « danses populaires » : les professionnels du secteur se mobilisent

Servir la révolution par les moyens de l'art. Il était une fois la FIARI

Servir la révolution par les moyens de l’art. Il était une fois la FIARI

Flic, schmitt ou condé ? Ne pas se tromper

Flic, schmitt ou condé ? Ne pas se tromper

Chasse aux sorcières : Fayard retire des ventes « Le nettoyage ethnique de la Palestine » d'Ilan Pappé

Chasse aux sorcières : Fayard retire des ventes « Le nettoyage ethnique de la Palestine » d’Ilan Pappé

« Pauvres créatures » : un conte philosophique ambigu sur l'émancipation féministe

« Pauvres créatures » : un conte philosophique ambigu sur l’émancipation féministe

La poupée et la bête : tragédie et amour dans le dernier film de Bertrand Bonello

La poupée et la bête : tragédie et amour dans le dernier film de Bertrand Bonello

« Le monde réel est Harkonnen » : Dune 2, blockbuster anticolonial ?

« Le monde réel est Harkonnen » : Dune 2, blockbuster anticolonial ?


CCCP : rock alternatif et « fin des idéologies » en Italie

CCCP : rock alternatif et « fin des idéologies » en Italie