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"Il faut aimer la police", le gouvernement parle aux jeunes

La secrétaire d’Etat à la jeunesse chante la Marseillaise, fait un flop, puis ouvre une enquête

Lors d’une rencontre avec 130 jeunes issus de quartiers populaires, la Secrétaire d’État à la jeunesse a entonné la Marseillaise après avoir affirmé qu’il fallait “aimer la police”. Mise en difficulté par son auditoire, apparemment d’un autre avis, elle a décidé de lancer une enquête sur la fédération qui avait organisé la rencontre.

Irène Karalis

14 novembre 2020

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Fondée en 1922, la Fédération des centres sociaux et socioculturels de France (FCSF) réunit chaque année 130 jeunes, souvent issus des quartiers populaires, lors du Réseau jeune, une rencontre ayant pour objectif de “réfléchir, débattre et construire des propositions sur un thème de société”. Cette année, dans un contexte particulier qui était celui de l’assassinat de Samuel Paty, la rencontre s’est tenue ce jeudi à Poitiers, avec au coeur des débats la question des religions dans la société.
 
C’est alors que Sarah El Haïry, Secrétaire d’État à la jeunesse et à l’Éducation, entre en scène. Ancienne députée Modem de Nantes déjà épinglée par Médiacités pour le financement de sa campagne législative, elle avait été invitée à venir participer à la rencontre pour une matinée. Mais selon un communiqué de la FSCF, « le dialogue a été très difficile ». Si difficile que la Secrétaire d’État a décidé de lancer une enquête contre la Fédération, après avoir tenté en vain de susciter un sentiment patriotique en entamant la Marseillaise.
 
Un long article de l’hebdomadaire catholique La Vie relatant la rencontre nous rapporte certains témoignages des jeunes, dont la volonté était de débattre : « Nous avons constaté que, dans la société, nous manquions d’espaces pour pouvoir parler des religions, en débattre, pour pouvoir mieux les connaître ». Une discussion qui leur semblait nécessaire, en particulier dans le contexte de l’assassinat de Samuel Paty, où amalgames entre musulmans et terroristes pleuvent de tous côtés, et en particulier du côté du gouvernement et de l’extrême-droite. Jawan, 15 ans et musulmane, explique ainsi : « J’ai plus le sentiment d’être brimée que d’être protégée. Plusieurs de mes copines se sont fait cracher dessus ou ont été traitées de terroristes parce qu’elles avaient le malheur de porter un foulard ».
 
Pourtant, à ces paroles exprimant la dure réalité que subissent les musulmans ou présumés comme tels, la Secrétaire d’État a répondu de façon claire et nette : « les religions n’ont pas leur place à l’école, un point c’est tout. Vous êtes des mineurs, la laïcité est là pour vous protéger ! » Traduction : la liberté d’expression quand il s’agit d’attaquer les musulmans ou présumés musulmans à l’aide d’arguments racistes et d’amalgames nauséabonds, oui, mais quand il s’agit de remettre en cause le racisme systémique dans la société, hors de question !
 
Encore moins quand cette remise en cause s’attaque à l’État et à un de ses piliers, la police. L’hebdomadaire La Vie relate ainsi : « au moment où l’un des adolescents évoque “les violences policières » et les contrôles au faciès dont certains s‘estiment victimes, la ministre se lève d’un bond, n’hésitant par à l’interrompre pour lui expliquer qu’ « il faut aimer la police, car elle est là pour nous protéger au quotidien. Elle ne peut pas être raciste, car elle est républicaine ! » Malaise dans la salle. » Des déclarations mal reçues de la part des jeunes qui, provenant pour la plupart de quartiers populaires, connaissent et subissent les violences policières au quotidien.
 
À cette remise en cause de la police et de son racisme structurel s’ajoute le juste sentiment d’absence de représentation des jeunes de quartiers populaires, des personnes racisées, et, dans ce contexte en particulier, des musulmans et notamment des femmes voilées, qui sont pourtant aujourd’hui la première cible des attaques racistes et réactionnaires de la bourgeoisie. En parlant des médias, Diego, 16 ans, affirme : « qu’ils arrêtent de parler à la place des uns et des autres et qu’ils donnent la parole aux personnes concernées, comme les femmes voilées. On ne les entend jamais. Nous voudrions aussi que les signes religieux soient acceptés au lycée ». Et la Secrétaire d’État de répondre, d’une tirade inspirée : « Le voile, vous pourrez le porter à l’université quand vous serez majeures, mais pas maintenant ! Le lycée est un espace sacré. Ce sanctuaire républicain est un lieu vibrant hors du temps et de l’espace dont le but est de vous aider à vous construire et à devenir des citoyens libres et éclairés. Vous devez avoir le sentiment d’appartenir à la communauté républicaine ».

« Nulle part on ne parle aussi volontiers de la " religion du patriotisme " que dans cette république laïque. Tous les attributs dont l’imagination humaine gratifie le Père, le Fils et le Saint-Esprit, le bourgeois français les transfère à sa propre nation » écrivait Trotsky en 1933, dans une critique littéraire. Depuis les années 1930, la bourgeoisie française n’a pas perdu ses traditions et toujours « Il est des mots et des tournures qui, au Parlement, provoquent automatiquement des applaudissements, tout comme certaines paroles liturgiques, chez le croyant, appellent la génuflexion et les larmes. ».

Sauf que les jeunes n’ont pas bronché, peu émus par le sermon de la secrétaire d’Etat. D’autant que le « sanctuaire républicain » qu’est le lycée n’est pas assez « hors du temps » pour ne pas subir l’austérité gouvernementale, le manque de personnel, le manque de matériel, de locaux, ce qui a poussé les profs et les lycées à manifester et faire grève ces derniers jours. Vite réprimés par les gardiens du temple, revêtus de leurs atours républicains : le casque, la matraque et la gazeuse.

L’envolée lyrique de Sarah El Haïry dévoile que, sous la défense de cette République, fondée sur le colonialisme et l’impérialisme de l’État français, se cache en réalité la volonté du gouvernement d’opprimer et de museler toute voix contestataire, en marginalisant encore et encore les populations discriminées, telles que les personnes racisées, les femmes, etc. Ainsi, en coupant court au débat sur le voile, la Secrétaire d’État dévoile, en même temps que son caractère islamophobe, le caractère profondément sexiste de l’offensive réactionnaire du gouvernement : les femmes musulmanes seraient des sujets sans liberté de conscience et de réflexion assujettis aux hommes de leur entourage, que la République aurait pour tâche de transformer en “citoyens libres et éclairés”.
 
Mais la Secrétaire d’État, loin d’avoir fini son discours nauséabond, a jugé bon de finir sa messe républicaine sur quelques notes de musique en entonnant la Marseillaise. À son grand désarroi, le chant n’a pas été repris, et les élèves, interloqués, l’ont regardée en silence. Carla, 15 ans, s’insurge auprès de La Vie : « C’est quoi cette histoire de Marseillaise ? Quel rapport avec nos échanges ? La ministre a totalement minimisé les discriminations que nous subissons et au lieu de répondre à nos propositions s’est contentée de nous faire reprendre un chant chargé de violence. J’y vois une marque de mépris. »
 
Face à cet échec cuisant, la soliste aurait quitté les lieux, énervée, et expliqué aux journalistes, que cette jeunesse n’était pas franchement « représentative » de la jeunesse française. Et si la Secrétaire d’État a eu beau affirmer auprès du Point que jamais elle ne mettrait de « filtre sur leur parole », ses réponses lors de la rencontre à propos de la police ou encore du voile ainsi que sa décision de mandater l’Inspection Générale de l’Éducation, du Sport et de la Recherche pour mener une mission d’inspection à l’encontre de la Fédération montrent, une fois encore, que face aux voix contradictoires, les offensives réactionnaires et la répression sont toujours une option.
 
La décision de Sarah El Haïry de lancer une enquête contre la Fédération fait ainsi écho aux atteintes contre le droit d’association de ces dernières semaines, à l’image de l’attaque contre le CCIF et la dissolution de BarakaCity. En instrumentalisant le meurtre de Samuel Paty et en exploitant l’émotion qu’il a suscitée, le gouvernement a ainsi entamé, à l’aide d’amalgames racistes et xénophobes, un tournant autoritaire, en reprenant la thématique sécuritaire de la droite et de l’extrême-droite, afin de masquer la gestion catastrophique de la crise sanitaire mais aussi de s’attaquer à nos droits démocratiques. Le projet de loi islamophobe contre les “séparatismes”, les amendements à la LPR (Loi de Programmation de la Recherche) sur les “valeurs de la République” et maintenant en criminalisant la jeunesse qui se mobilise (3 ans de prison et 45.000€ d’amende en cas de blocage de fac) ou encore la Loi Sécurité Globale s’inscrivent directement dans cette veine.

L’État ne cesse de renforcer ses aspects les plus anti-démocratiques, mais s’attelle aussi à rééduquer cette jeunesse mal-pensante par le matraquage idéologique autour des “valeurs de la République” (Blanquer travaille d’arrache-pied à remettre le roman national, l’amour du drapeau et de la dévotion à la discipline et à l’ordre social dans les salles de classe) et, quand cela ne suffit plus, par le matraquage tout court. En témoignent les cas innombrables de violences policières dans les quartiers populaires et la répression du mouvement dans l’Éducation nationale de ces dernières semaines. Ainsi, alors que plusieurs centaines de lycéens, accompagnés de leurs profs et des AED des différents établissements, se sont révoltés la semaine dernière et en début de cette semaine pour un protocole sanitaire à la hauteur de leur santé, la seule réponse du gouvernement a été de leur envoyer la police, à l’image du lycée Paul Éluard à Saint-Denis (93) où cinq lycéens ont été violemment interpellés et mis en garde à vue, ou encore du lycée Brassens où la police a chargé et cherché à intimider les manifestants.
 
Alors que la jeunesse est déjà touchée de plein fouet par la crise économique, avec un jeune sur deux qui a déjà perdu son emploi, qu’elle continue à aller à l’école malgré la peur de ramener le virus chez soi et que le gouvernement mène une offensive réactionnaire de concert avec l’extrême-droite, il semble urgent de s’organiser. La jeunesse, en descendant dans la rue contre la catastrophe écologique, contre les violences faites aux femmes, ou encore contre les violences policières à l’appel du comité Adama, a montré qu’elle méritait mieux que le monde que nous proposent aujourd’hui Macron et sa clique.


    
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