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Black Lives Matter

La plus grande mobilisation de toute l’histoire des Etats-Unis

Deux semaines après la mort de George Floyd, la mobilisation antiraciste et contre les violences policières continue de s’étendre aux Etats-Unis. Un mouvement d'ampleur historique, qui marque le début d'une séquence explosive à échelle internationale.

Hélène Angelou

8 juin 2020

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Après deux semaines, la mobilisation plus massive que jamais

Nouveau week-end de mobilisation aux Etats-Unis. Après deux semaines, la mobilisation antiraciste et contre les violences policières ne s’essouffle pas, bien au contraire. Une dynamique historique selon Lara Putnam, Erica Chenoweth and Jeremy Pressman : « Les États-Unis ont rarement des manifestations de cette ampleur, de cette intensité et de cette fréquence ; ils ont généralement de grandes manifestations ou des manifestations soutenues, mais pas les deux ».

Dans les grandes villes du pays, des dizaines de milliers de manifestants étaient à nouveau au rendez-vous. De Los Angeles à New York, en passant par Seattle, les mobilisations qui se sont enchainées tout le weekend ont encore été massives. À Washington, samedi a eu lieu la manifestation la plus massive depuis la mort de George Floyd selon le Washington Post.

A San Francisco, c’est le célèbre pont du Golden Gate qui a été bloqué par les manifestants.

Mais au-delà des grandes villes, c’est aussi tout le pays qui est traversé par cette vague de mobilisation. Petites et moyennes villes en effet participent au mouvement qui continue de s’étendre, comme le souligne Anne Helen Petersen dans son article « Why The Small Protests In Small Towns Across America Matter », c’est-à-dire « Pourquoi les petites manifestations des petites villes à travers les Etats-Unis importent ». « Ces manifestations dépassent les espaces démographiques et géographiques. Elles ont lieu dans des endroits avec très peu de tradition de lutte, dans des endroits à majorité blanche, à majorité noire, et à une échelle sans précédent », détaille-t-elle.

Des villes qui pour certaines sont empreintes de l’idéologie conservatrice du Parti républicain, mais qui se joignent une à une à la mobilisation, lui donnant un caractère à la fois de masse et historique. Dans ces petites villes de quelques milliers d’habitants, ce sont les jeunes qui prennent les rennes et commencent à organiser les manifestations, parfois les premières de leur vie. Dans le comté de Montgomery, ce sont les étudiants qui ont initié une pétition pour la démission du commissaire du comté, après la violente répression subie et l’arrestation d’une douzaine de manifestants pour cause d’émeutes.

The Washington Post rend compte en ce sens de l’expansion de la mobilisation en Pennsylvanie. Cet Etat américain qui oscille entre gouvernance démocrate et républicaine - un "swing" state" - a vu fleurir des mobilisations d’ampleur, caractéristique du mouvement multi-ethnique né de la mort de George Floyd. « Presque toutes les villes de Pennsylvanie ayant ce profil ont vu de grandes manifestations multiraciales menées par de jeunes militants noirs locaux - souvent des personnes qui s’organisent depuis des années autour de l’étiquette et de la question de la vie des Noirs - rejoints dans les rues par des jeunes blancs et latinos en nombre et d’une manière qu’ils n’avaient jamais vus auparavant. Reading, Wilkes-Barre, Bethléem, Allentown, Easton, Lancaster, Harrisburg : dans chacune de ces villes, plus d’un millier de personnes ont manifesté en l’espace de quelques jours ».

Une dynamique qui vient battre le record de la mobilisation historique des femmes après l’élection de Trump en 2017, où avaient été recensés 650 lieux de mobilisation ce jour là. Rien à voir donc avec ce qu’il se passe actuellement, où des milliers de manifestations ont lieu dans les 50 Etats du pays.

Un mouvement historique qui engendre une crise politique sans précédent

Après plusieurs semaines d’émeutes qui ont été l’expression d’une colère profonde de la population face aux institutions répressives, les manifestations tendent à se pacifier au fur et à mesure qu’elles se massifient. Les grands médias se réjouissent unanimement ce lundi de ce prétendu nouveau visage des mobilisations du week-end. Le New York Times dépeint ainsi « des marches jubilatoires », « une foule acclamant et chantant », et un week-end sans « affrontement majeurs ou arrestations massives ». Même écho du côté de Washington, où le correspondant du Figaro décrit « une ambiance joyeuse et sans débordement, [dans laquelle] des cortèges ont défilé dans plusieurs quartiers de la capitale américaine ».

Un visage que souhaitent mettre en avant la bourgeoisie et l’Establishment américain, secoués par la radicalité et la spontanéité du mouvement jusque-là – allant jusqu’à incendier un commissariat de Minneapolis ou à manifester au pied de la Maison Blanche obligeant Trump à se réfugier dans un bunker – et qui n’ont eu de cesse de manier répression et séduction (notamment de la part des Démocrates) pour canaliser le mouvement.

Si dans sa première phase, la mobilisation a subi une surenchère répressive, dont le déploiement de la Garde nationale et l’instauration de couvre-feux dans de nombreuses villes et Etats ont été les mesures les plus marquantes, on observe aujourd’hui se développer une nouvelle stratégie d’apaisement. A New York, le couvre-feu a ainsi été levé et le dispositif policier largement assoupli.

De même, à l’échelle de l’Etat fédéral, Trump a annoncé le retrait de la Garde nationale de la capitale. Le président qui a adopté une position très dure, à destination de base sociale la plus réactionnaire, se trouve aujourd’hui en difficulté dans sa gestion de la crise. À quelques mois des présidentielles, cette dernière entraine une défiance sans précédent, jusque dans ses propres rangs et alors même que Trump cherchait à consolider sa base sociale par la stratégie de l’ordre. 60% de la population dit ne pas avoir confiance dans la politique du président, et désapprouve sa manière de répondre à la colère qu’une très large frange des Américains jugent légitime. Il s’est vu remettre en cause par des figures des Républicains, à l’image de la prise de position de l’ancien secrétaire à la défense, James Mattis. Dimanche, c’est même le sénateur Républicain de l’Utah, Mitt Romney qui a « bravé Donald Trump en prenant place dans un cortège », explique le Monde.

Espérant capitaliser sur le mouvement historique et remonter dans les intentions de vote, les Démocrates, qui se présentent comme les alliés politiques du mouvement, présentent au Congrès un projet de loi de réforme de la police. Celui-ci porte entre autres la proposition d’un registre national pour les « bavures policières », une transformation de la formation et du recrutement des policiers et l’interdiction de certaines pratiques policières, telle que celle du placage ventral avec étranglement ayant entraîné la mort de George Floyd. Ce faisant, le parti démocrate cherche à se présenter comme le parti progressiste et en défense des Noir-américains, à même d’offrir une solution réformiste. Pourtant, ce sont des politiciens démocrates qui participent à la répression des manifestations, à l’image du maire de New York Bill de Blasio, ou son gouverneur Mario Cuomo. Des figures de la gauche du Parti démocrate telles Ilhan Omar ont ainsi dû s’opposer à la dynamique du mouvement en fustigeant les émeutes, une des expressions traditionnelles de la colère aux Etats-Unis.

Une hypocrisie largement dénoncée dans de nombreux slogans, mais qui n’est pas sans séduire une frange des manifestants.

Toujours est-il que les différentes annonces de la classe politique cherchent à dialoguer avec une radicalité nouvelle que la répression n’a pas permis de canaliser. En ce sens, la décision du collège municipal de Minneapolis portant démantèlement de la police de la ville est l’expression d’une situation de crise profonde qui pousse à la prise de décisions d’une radicalité sans commune mesure. En effet, à l’heure des premières auditions de Derek Chauvin par la Justice et des derniers hommages à George Floyd avant ses funérailles ce mardi, la classe politique cherche à donner des gages de sérieux et d’écoute. La caution portée à plus d’un million de dollar pour le principal inculpé dans l’affaire en est un autre exemple sur le terrain juridique.

Un mouvement antiraciste profond en période de crise économique et sanitaire

Cette vague de protestation massive qui a irradié à travers le monde est un mouvement profond qui bouleverse les Etats-Unis, par l’ampleur du mouvement antiraciste et la dénonciation de la police, une institution clef pour la bourgeoisie puisqu’elle en est le bras armé. Dans une période de crise économique et sanitaire, la colère sociale qu’a déclenché la mort de George Floyd se nourrit de l’aggravation de la précarité et des oppressions qu’entraînent les situations de crise.

Drew Steele, travailleur automobile dans la petite ville de Tyler au Texas, une ville de « racistes silencieux » selon ses mots, témoigne : « les manifestations portent sur tellement de choses : le racisme institutionnel, mais aussi les salaires non vivables, la frustration grandissante et un désir de changement ».

Comme l’écrivent nos camarades de Left Voice aux Etats-Unis : « Ces soulèvements confirment une réalité essentielle sur les Etats-Unis : la lutte pour la libération des Noirs est la roue qui fait tourner l’ensemble de la lutte des classes. Des révoltes d’esclaves aux Africains Américains luttant pour leur libération durant la Guerre Civile, puis aux mouvements des Droits civiques et du Black Power, les Noirs américains ont initié chaque période d’avancée pour la classe ouvrière dans l’histoire états-unienne. Comme le groupe le plus opprimé et exploité dans les Etats-Unis, les personnes noires ont pris en charge une lutte au caractère le plus militant. La surexploitation du travail noir et le rôle fondamental du racisme anti-noir dans la division d’une classe ouvrière multiraciale et en conséquence dans le maintien du capitalisme, font de la lutte pour la libération des personnes noires une question centrale pour l’avancée de la classe ouvrière tout entière ».

La page qu’ouvre le mouvement aux Etats-Unis semble être véritablement historique. Sans percevoir la fin de cette dynamique, l’écho qu’elle génère à travers le monde laisse présager d’une vague de mobilisation massive. Mêlant revendications anti-racistes, remise en question profonde du rôle coercitif de la police, et rejet des conséquences brutales de la crise économique, le mouvement qui se développe aux Etats-Unis est l’illustration centrale des affrontements qui s’annoncent dans la prochaine période.


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