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Capitalisme et sport

La crise du Covid-19 met à nu les dérives du foot-business

L'épidémie de Covid-19 a mis la planète foot à l'arrêt. Et cet arrêt de business d'à peine un mois laisse déjà poindre des risques de faillites de clubs. À tel point que tous les scénarios sont envisagés pour terminer la saison, contre toute logique sanitaire.

Julian Vadis

16 avril 2020

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Crédits photo : Les cahiers du football

Après avoir tenté, contre toute logique sanitaire, de poursuivre les compétitions via des matchs à huis-clos, la planète football est aujourd’hui à l’arrêt. Dans des propos relayés par Ouest France fin mars, Bernard Caïazzo, président du syndicat des clubs de Ligue 1, explique ainsi que « si nous restons deux mois sans jouer, nous pouvons redresser la situation […] Si c’est quatre mois, mais que nous terminons nos compétitions domestiques et européennes, les clubs peuvent s’en sortir à condition que la saison prochaine se termine dans les délais ».

Ce même article de Ouest France met en avant les conséquences financières de l’arrêt des compétitions, surtout si elles ne se terminent pas d’ici la fin de l’été. Ainsi, « en Italie et en Allemagne, les experts ont évalué les pertes totales (droits TV plus billetterie) à plus de 700 millions d’euros, et jusqu’à 400 millions en France, toujours en cas d’arrêt total de la saison. En Espagne, La Liga a estimé à environ 700 millions d’€ les pertes possibles en cas de non reprise de la saison, dont 500 millions d’€ les pour les seuls droits TV » d’après Ouest France.

On comprend mieux, avec ces données en tête, pourquoi les instances du football international cherchent par tous les moyens à boucler la saison. Au détriment de toute logique sanitaire donc, et quitte à faire jouer l’ensemble de ces rencontres de football à huis clos.

La guerre des droits TV

Aujourd’hui, la question des droits télévisés est au cœur de l’ensemble des tensions du monde du ballon rond. On comprend pourquoi, au vue des sommes engagées. En France, Beinsport et Canal+ refusent de verser les montants correspondant à la période de confinement et d’arrêt des compétitions. Interrogé par France TV Info, Étienne Moatti, journaliste à L’Équipe explique que « les droits TV représentent 50 % du budget des clubs de football. Le dernier versement d’argent a été effectué le 5 février. Aujourd’hui, on est au mois d’avril et ça fait long, très long, pour les clubs. Certains ont les reins solides, d’autres, beaucoup moins. Le football français et ses clubs ont perdu 160 millions d’euros la saison dernière ».

Une situation d’autant plus sensible que la période 2020-2024 est synonyme de nouveaux droits TV en France, dépassant pour la première fois le milliard d’euros par an. À ce titre, la question de la fin de la saison n’est pas la seule qui importe. C’est aussi, et surtout, le début de la prochaine saison qui entre en ligne de compte. Ainsi, l’ensemble du football hexagonal, mais aussi à échelle européenne, cherche non seulement à finir les compétitions actuelles, mais à ne pas prendre de retard sur le lancement de la prochaine.

C’est pourquoi, aussi irrationnelle soit-elle, la solution qui aujourd’hui semble tenir la corde est celle d’une reprise des matchs en juin, pour une fin des championnats d’ici à fin juillet, et des compétitions européennes d’ici à fin août, pour ensuite repartir sur une nouvelle saison aux dates initialement prévues, c’est à dire fin août. Que ce soit pour l’intégrité des joueurs ou plus largement de l’ensemble des salariés des clubs, il s’agit donc de sacrifier la santé des acteurs du ballon rond sur l’autel des juteux profits du foot-business.

Le mercato estival, habituelle pompe à fric, sera en baisse cette saison

Mais l’imbroglio autour des droits TV n’est pas la seule épine dans le pied du foot-business. En effet, la question du mercato estival se pose, d’autant plus si les compétitions se poursuivent en juillet en en août. Or, l’édition 2019 du mercato estival a généré 6,6 milliards d’euros pour les seuls championnats anglais, espagnol, italien, allemand et français ! Un record absolu, qui s’inscrit dans une courbe ascendante depuis de nombreuses années.

C’est là que l’on voit toutes les dérives du foot-business. Les clubs de football vivent « à crédit », misant sur l’obtention des juteux droits télévisés, du championnat national mais plus encore, pour les « gros club », des compétitions internationales, quitte à surpayer, en salaires comme en transfert, les joueurs. Les mercatos estivaux et hivernaux permettant de combler les trous et engendrer des profits. C’est tout le sens du « trading », c’est à dire l’achat/vente de très jeunes joueurs que nombre de clubs ont choisi comme modèle économique.

C’est pourquoi cette coupure, même très provisoire, fait tanguer de nombreux clubs. En France, l’exemple le plus frappant est sans doute celui de l’Olympique de Marseille. Avant même la crise du Coronavirus, le club phocéen était dans l’obligation de vendre sur le marché des transferts pour 90 millions d’euros pour équilibrer les comptes. Un déficit cumulé sur plusieurs années qui avait pour seul et unique objectif la qualification pour la très lucrative Ligue des Champions. Or, au vue de la situation actuelle, et même si le mercato a lieu, il est évident que les montants des transferts seront bien moindres qu’attendu. En d’autre terme, le Covid-19 renvoie tel un boomerang dans la tête des dirigeants de clubs l’inflation absurde et déraisonnée des salaires de joueurs et des prix des transferts de ces dernières années.

En bout de chaîne, ce sont les salariés des clubs qui trinquent

D’un point de vue purement rationnel, tant sur le plan sanitaire que sportif, la seule solution est bel et bien l’arrêt immédiat des compétitions, par le biais d’une saison blanche ou d’un « figeage » des positions des différents classements. C’est la position que 45 groupes de supporters ultras français ont pris, par le biais d’un communiqué commun ce 13 avril, arguant notamment qu’« il n’est pas envisageable que le football reprenne prématurément. Il n’est pas envisageable qu’il reprenne à huis clos. Il reprendra en temps voulu, quand les conditions sanitaires et sociales seront réunies ».

En bon chien de garde médiatique du foot-business, le journaliste Daniel Riolo a publié une tribune sur le site de RMC ce 14 avril, en réponse au communiqué des Ultras. Riolo estime ainsi avoir « un peu de mal à croire que la reprise se fera sans l’assurance de bonnes conditions sanitaires » avant de poursuivre : « Alors il reste quoi ? Le stade vide pour contenter la télé ! On y revient car tout est là. Derrière la soupe sociale, il y a la dénonciation du foot business ! Evidemment. On tortille du derrière mais tout est là ! Un propos économique sorte de bouillie extrémiste de gauche ou de droite. Le foot d’en bas contre celui d’en haut ». Pour appuyer sa démonstration, Riolo va même jusqu’à dire, en bon porte-parole de patrons, que la situation risque de déboucher sur des licenciements de salariés.

Nous y sommes donc : mobilisation de tous les arguments possibles et imaginables pour défendre bec et ongles le modèle de foot-business, dont Riolo est finalement tributaire. Sauf que l’annonce de faillites potentielles ne tient pas, tant les profits accumulés par les clubs de football et plus largement de l’ensemble des institutions sont énormissimes. La réalité derrière cette menace, c’est que les dirigeants de clubs, en bon chefs d’entreprises, n’entendent pas payer la crise sanitaire et économique. Au prix, si besoin, de licenciements de salariés.

En bout de chaîne, ce sont donc les travailleurs de base des entreprises que sont les clubs de football qui feront les frais de la crise, sur le plan sanitaire et social, pour pérenniser un système qui a créer cette situation absurde. Là encore, il est indispensable de réclamer la publication des comptes des clubs et de l’ensemble des organismes et entreprises du foot-business. Et exiger que les profits accumulés durant des années, voire décennies, soient mobilisés pour que les travailleurs ne payent pas la crise. Quant à la fin de la saison, nous nous en passerons aisément, au vue de la situation sanitaire actuelle.


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