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En quête d'une nouvelle coalition contre Daesh

La France et la Russie se coordonnent pour bombarder la Syrie

Ivan Matewan et Pierre Reip François Hollande a promis lundi 16 novembre une riposte impitoyable contre le terrorisme djihadiste incarné par Daech : il a depuis tenu parole. Il a en même temps exprimé son souhait de voir prendre forme une coalition, à la Bush, des principales puissances impérialistes régionales ainsi que de la Russie afin d' « unir [leurs] forces » en Syrie. Devant l’inflexion de la politique militaire prônée par le gouvernement français, et éventuellement acceptée par Barack Obama, Vladimir Poutine jubile. Tandis qu’Hollande s’attelle à la tâche d’entraîner à sa suite ses « partenaires européens ».

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Poursuite des bombardements français à Raqqa

Dans la nuit du lundi 16 au mardi 17 novembre, la France a poursuivi la nouvelle série de frappes aériennes qui ont touché la ville de Raqqa dans le nord de la Syrie et viseraient les positions de l’État islamique dans la région depuis dimanche 15 novembre. Dix chasseurs sur les 12 engagés par la France ont largué vingt bombes sur cette ville où près de 200 000 habitants vivent dans l’attente du pire. Selon des sources militaires et gouvernementales, un centre de commandement et un centre d’entraînement ont été détruits. Plusieurs dizaines de bombardements ont également détruit des cliniques, un musée, un stade.

Les villes de Raqqa, d’Alep et d’Idlib ont également été bombardées par les forces russes qui mènent des frappes aériennes en Syrie depuis plus d’un mois. Ces raids aériens ont touché de plus en plus les positions de l’État islamique (notamment après l’attaque terroriste contre l’avion de ligne russe qui s’est écrasé au Sinaï), bien que la plupart de ceux-ci visaient les insurgés syriens hostiles au régime de Damas dans l’ouest de la Syrie, particulièrement la version locale d’Al Qaeda. Après les attentats de Paris, la Russie a augmenté ses attaques contre Daesh en Syrie en en voyant un moyen d’élargir son influence sur l’Europe, notamment vis-à-vis de la France sous le choc après les attaques de vendredi 13.

Hollande voyagera la semaine prochaine à Washington et à Moscou afin d’y trouver le soutien international dont il aura besoin pour mener à bien ses projets militaires en Syrie. A cet effet, il rencontrera Obama le 24 novembre et Poutine le 26 novembre. Ces discussions doivent mener à une coordination plus étroite avec la coalition militaire dirigée par les États-Unis dans la région. Coalition, à l’égard de laquelle la France était restée jusque-là plus ou moins indépendante.

La ligne politique de Poutine confortée

L’inflexion dans la gestion française du dossier syrien conforte en dernière instance la ligne politique de Poutine. Lors de son discours devant les parlementaires français réunis en Congrès, Hollande a répété que Bachar el-Assad ne pouvait constituer « l’issue du conflit » ; cependant, il a très clairement affirmé que l’ennemi, « c’est Daech ». « Les derniers événements tragiques témoignent que nous sommes tout simplement obligés d’unir nos efforts dans la lutte contre ce mal, le terrorisme » a-t-il ajouté.

Poutine s’est félicité de la nouvelle position de la France. « La France faisait partie des pays qui avaient adopté une position très dure envers le sort du président Assad personnellement. Nous avons entendu tout le temps de nos amis français que le règlement de la question du départ du président Assad devait être une condition préalable à des changements politiques » a-t-il déclaré lors d’une allocution télévisée.

Alors qu’un mois de frappes aériennes russes avait déjà partiellement renforcé la position de la Russie sur l’échiquier diplomatique mondial, Poutine compte bien tirer profit au maximum de ce changement de politique annoncé par Hollande. La France se montrait jusque-là intransigeante vis-à-vis du régime de Damas, refusant toute sortie « politique » à la crise syrienne, tant qu’elle n’aurait pas été intégrée aux négociations restreintes entre les États-Unis, la Russie, la Turquie et l’Arabie saoudite. En travaillant ensemble contre Daesh, la France et la Russie cherchent à légitimer, chacune à sa manière et avec des objectifs en fin de compte divergents, la politique qu’elles mènent en Syrie.

Prudence des Etats-Unis et de l’Allemagne

Le ministre états-unien des Affaires étrangères, John Kerry, a déclaré mardi que les États-Unis, la France et la Russie devaient accroître leur coordination dans la lutte contre l’État islamique en Syrie. Mais il a tenu à insister sur le fait que l’avenir de cette coopération dépendait de sa capacité à imposer un cessez-le-feu et à trouver une transition politique. Il entendait en cela réaffirmer les positions exprimées par Obama à Poutine dimanche lors du G20 et qui prévoient, outre une médiation de l’ONU pour un cessez-le-feu, la formation d’un gouvernement de transition à Damas dans les six mois et la tenue d’élections libres d’ici dix-huit mois.

Même si dans sa déclaration de lundi, Obama s’est prononcé pour une intensification de la stratégie actuelle en Syrie – tout en rejetant une intervention terrestre – Washington continue à tenir un discours visant à minorer son intervention. Dans le contexte des primaires, cette posture pourrait évoluer face à la concurrence des Républicains et des secteurs les plus va-t-en-guerre des démocrates.

En Allemagne, une partie des responsables militaires et la frange la plus à droite de la coalition gouvernementale souhaitent un engagement de l’Allemagne en Syrie. Harald Kujat, l’ex inspecteur général de la Bundeswehr, a ainsi estimé que les « mots forts » de la chancelière après les attentats étaient pour lui « une déclaration de guerre à Daech » et une justification suffisante pour combattre côte à côte avec le voisin français. Le général de l’OTAN Egon Ramms s’est quant à lui montré favorable à une intervention militaire de l’Allemagne. Roderich Kiesewetter, député de la CDU et ex-haut-gradé, s’est déclaré en faveur de l’utilisation des chasseurs Tornados pour des missions de reconnaissance en Syrie.

Rainer Arnold, le responsable de la défense du SPD, le parti social-démocrate allemand, partenaire de la CDU de Merkel dans la grande coalition gouvernementale, a rejeté toute immixtion des militaires dans le débat parlementaire ainsi que l’envoi des Tornados en Syrie.

La chancelière a réuni samedi son cabinet de sécurité – qui comprend les ministres de la défense, des affaires étrangères, de l’intérieur et de la justice – et s’est montrée très réservée quant à une intervention militaire de l’Allemagne en Syrie. La ministre de la défense, Ursula von der Leyen (CDU) a tenu à rappeler que la situation exigeait de se placer aux côtés de la France avec pondération et qu’il ne fallait pas tirer de conclusions trop hâtives.

Hollande, nouveau gendarme européen ?

Face à la prudence de Berlin et de Washington, Hollande a sorti de son chapeau l’article 42-7 du Traité de Lisbonne, avec la volonté d’entraîner à ses côtés ses partenaires européens dans la coalition qu’il entend construire avec Poutine et Obama. Voici comment est libellée la clause en question :

« Au cas où un Etat membre serait l’objet d’une agression armée sur son territoire, les autres Etats membres lui doivent aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir, conformément à l’article 51 de la charte des Nations unies. Cela n’affecte pas le caractère spécifique de la politique de sécurité et de défense de certains Etats membres.

Les engagements et la coopération dans ce domaine demeurent conformes aux engagements souscrits au sein de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord, qui reste, pour les Etats qui en sont membres, le fondement de leur défense collective et l’instance de sa mise en œuvre. »

Jusqu’à présent, dans pareils cas, c’est l’article 5 du Traité de l’OTAN qui était invoqué pour demander le soutien d’Etats partenaires. Ce recours inédit au Traité sur l’Union Européenne témoigne de la volonté de Hollande de légitimer par le droit européen sa politique guerrière. Cependant les contours de « l’assistance mutuelle » définie par l’article 42-7 restent flou et ne sont en aucun cas contraignants pour les autres Etats membres, même si la cheffe de la diplomatie européenne, Federica Mogherini, a validé la démarche du président français.

Hollande entend clairement se positionner comme fer de lance des puissances de l’Union européenne dans sa sale « guerre contre le terrorisme », dont on peut déjà entrevoir les conséquences funestes. Le pari n’est cependant pas sans risques pour le chef de guerre français, qui dispose de ressources militaires limitées comparativement à celles des Etats-Unis, et n’est en aucun cas en mesure de concurrencer les Etats-Unis dans leur position de gendarme du monde.


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