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International

La Chine et la guerre en Ukraine : entre alliance avec la Russie et dépendance avec l’Occident

Depuis le début de l'agression de la Russie en Ukraine, la Chine marche sur une corde raide géopolitique, tiraillée entre ses besoins politiques de s'opposer à l'ordre mondial conçu par les États-Unis qu'elle partage avec la Russie et sa forte dépendance commerciale et technologique vis-à-vis de l'Occident, ce qui explique sa prudence sur la scène internationale.

Juan Chingo

28 mars 2022

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Crédits photo : EFE

Équilibrisme diplomatique

S’il y a un mot qui définit l’attitude de la Chine depuis le début de la guerre en Ukraine, c’est la prudence. Politiquement, elle doit trouver un équilibre entre son soutien à la Russie et son principe traditionnel de respect de la souveraineté nationale et de l’intégrité territoriale, que l’invasion russe viole clairement. Ainsi, Pékin n’a pas explicitement soutenu l’intervention de Moscou, mais il ne l’a jamais qualifiée d’« invasion ». Le président Xi Jinping a déclaré à son homologue russe Vladimir Poutine que la République populaire soutient la Russie « dans la recherche d’une solution négociée » et que les États-Unis ont sous-estimé les conséquences de l’expansion de l’OTAN vers l’est.

Toutefois, Xi a également déclaré que la souveraineté et l’intégrité territoriale de tous les pays devaient être respectées. Cet élément est une question sensible pour Pékin. D’une part, les invasions étrangères que la Chine a subies aux XIXe et XXe siècles, y compris l’invasion russe, sont une blessure toujours présente dans la conscience nationale. D’autre part, la République populaire de Chine est particulièrement hostile aux mouvements indépendantistes car elle craint qu’ils soient utilisés — peut-être avec le soutien d’une puissance rivale comme les États-Unis — pour morceler son territoire ou lui refuser la reconquête de Taïwan. La forte surveillance et la répression auxquelles le Xinjiang et Hong Kong ont été soumis récemment montrent l’importance de la question.

Plus inquiétant encore, la prolongation de la guerre pourrait indirectement porter atteinte aux intérêts internes et externes de la République populaire, notamment aux relations déjà précaires avec les États-Unis et l’Europe et à l’image globale des nouvelles Routes de la soie. Dans le même temps, le gouvernement chinois souhaite maintenir la coopération avec Moscou (sans l’élever au rang de véritable alliance) pour répondre aux besoins énergétiques intérieurs et renforcer l’arsenal militaire de l’Armée populaire de libération en achetant des armes et des technologies russes. Tout cela, dans le cadre du bloc géopolitique avec le Kremlin, qu’il considère comme crucial pour repousser les tactiques d’endiguement des États-Unis dans l’Indo-Pacifique.

Tous ces éléments conduisent à une position ambivalente, de neutralité intéressée, se résumant d’un côté à de vagues appels à une solution pacifique, tout en soutenant généralement la position russe et en accusant les États-Unis et leurs alliés d’alimenter le conflit, et, de l’autre à respecter largement les sanctions en pratique tout en les déplorant en principe. En d’autres termes, la Chine tente de s’exposer le moins possible, en équilibrant son partenariat stratégique avec la Russie avec la nécessité de ne pas rompre complètement avec les États-Unis et d’améliorer ses relations avec l’Union européenne (la Commission européenne a annoncé un sommet Bruxelles-Pékin pour le 1er avril).

La guerre en Ukraine fait plus de mal que de bien à la Chine

Bien que la guerre en Ukraine occupe le devant de la scène, cela n’a pas éliminé les grands défis qui occupaient Pékin avant le déclenchement du conflit. La République populaire est confrontée à d’importants problèmes économiques liés à l’éclatement de la bulle immobilière, aux difficultés à s’orienter vers un nouveau modèle de croissance plus équilibré et durable, et ces derniers jours à une résurgence de la pandémie COVID 19. Face au problème croissant de la dette, Xi tente d’imposer une certaine discipline fiscale à l’économie nationale plutôt que de la stimuler en continu au travers de l’endettement. Pour la première fois depuis des années, de nombreuses collectivités locales ont révisé leurs objectifs budgétaires en fonction des recettes tirées de la vente de terrains. Des mesures d’austérité sont même prévues pour les fonctionnaires de l’État, dont certains ont vu leur salaire mensuel réduit d’un tiers au cours des derniers mois : une source de tensions sociales potentielles. Dans ce contexte, plus la guerre russo-ukrainienne s’aggrave pour l’économie mondiale, plus la transition économique déjà difficile de la Chine sera compliquée.

La Chine bénéficie de la guerre russo-ukrainienne de deux manières principales. D’une part, Pékin gagne en influence à mesure que la Russie devient plus faible et plus isolée, donc plus dépendante de la bonne volonté chinoise. La Chine peut utiliser ce levier pour obtenir de meilleures conditions sur les accords relatifs aux ressources naturelles, acheter des armes plus avancées que celles que la Russie a été disposée à vendre jusqu’à présent, et faire progresser son programme d’internationalisation du Yuan (monnaie nationale) dans lequel la Russie a été un partenaire volontaire. Par exemple, en ce qui concerne les produits et les matières premières russes que la plupart du monde rejette — sachant que l’Europe s’est engagée à réduire sa dépendance à l’égard de l’énergie russe dès que possible — la Chine pourra importer de Moscou à des prix réduits. En outre, le déclin de l’influence américaine au Moyen-Orient, attesté par le refus de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis de parler à Joe Biden, permet à Pékin d’accroître son influence dans la région. Deuxièmement, plus les États-Unis se concentrent sur l’Europe, moins ils se consacrent à la mer de Chine méridionale et à l’Asie-Pacifique, où la République populaire reste agressive quant à une éventuelle annexion de Taïwan.

Pour la Chine, cependant, les inconvénients de la guerre commencent à l’emporter sur les avantages, d’autant que le conflit ne semble pas près de s’achever. Les chances d’une victoire rapide disparaissant, la Russie est en train de perdre la guerre de l’information, ce qui signifie que Pékin subit des dommages collatéraux à sa réputation en étant si étroitement associé à Moscou. D’autre part, l’importation de blé et de pétrole bon marché de Russie ne compense pas les énormes augmentations de prix sur les marchés des matières premières causées par la guerre. Une hausse des prix qui, notamment pour les denrées alimentaires, pourrait peser lourdement sur la Chine si les expéditions vers la mer Noire sont perturbées et si les agriculteurs ukrainiens ne parviennent pas à planter leurs cultures de printemps.

En outre, loin de distraire les Américains et leurs alliés, l’agression russe pourrait convaincre les États-Unis, ainsi que le Japon, qui a déjà renforcé ses capacités militaires et ses relations avec Taïwan, et la Corée du Sud, qui vient d’élire un président pro-américain, d’éviter un futur scénario ukrainien pour Taïwan.

Dépendance économique et prudence géopolitique

La Chine fait de son mieux pour éviter les dommages collatéraux des sanctions occidentales contre la Russie. Ses principales entreprises se sont conformées jusqu’à présent et continueront probablement à le faire par simple intérêt économique. La raison en est simple : les entreprises chinoises ont beaucoup plus à perdre qu’à gagner en violant les sanctions. Pour la plupart des entreprises chinoises, la Russie est un marché trop petit pour que l’activité vaille la peine de courir le risque d’être coupé des marchés développés ou d’être sanctionné.

Essayons de nous le représenter. Sur le plan commercial, ses liens commerciaux avec les États-Unis, l’Union européenne et ses alliés en Asie sont bien plus importants que ceux avec la Russie. La Chine a exporté pour quelque 68 milliards de dollars de marchandises vers la Russie en 2021 ; ses exportations vers les États-Unis et l’Union européenne réunis dépassent largement les 1 000 milliards de dollars.

Mais — comme je l’ai écrit dans « La place de la Chine dans la hiérarchie du capitalisme mondial » — la fragilité technologique de la superpuissance la rend toujours dépendante des grandes puissances impérialistes, désormais unies d’une manière inédite depuis plusieurs années contre la Russie. Comme le souligne à juste titre Dan Wang, analyste chez Gavekal Research, dans une note à ses clients, cette dépendance technologique conduit la Chine à pratiquer la « modération géopolitique » :

« Non seulement les États-Unis et l’Europe sont les principaux clients de ses produits, mais la Chine dépend également des autres pour trois technologies importantes : les puces, les semences et l’aviation... La Chine cherche activement à réduire sa dépendance vis-à-vis de l’Occident, d’autant plus que les États-Unis cherchent à restreindre son accès à ces technologies pour des raisons de sécurité nationale, comme ils l’ont fait avec les contrôles à l’exportation contre Huawei Technologies. Mais malgré des investissements agressifs, il faudra du temps avant que la Chine n’ait plus besoin de l’Occident. C’est pourquoi Wang considère que la Chine pratique la « modération géopolitique » [1].

Plus inquiétant encore, cette dépendance continue devrait encourager la confiance occidentale dans la retenue géopolitique de la Chine, car les sanctions contre la Russie ont donné à la Chine une idée de ce qu’elle pourrait affronter en cas de confrontation avec l’Occident. Comme l’affirme Wang : « si des sanctions similaires étaient un jour appliquées à la Chine, que ce soit pour avoir soutenu la Russie ou attaqué Taïwan, elles auraient un effet dévastateur sur la capacité de la Chine à rester une superpuissance manufacturière » [2].

De même, le gel totalement illégal des réserves de la banque centrale russe peut également avoir envoyé un message fort à la Chine, qui détient environ 2 à 3 000 milliards de dollars sous forme d’obligations du Trésor américain.

Cette dure réalité explique pourquoi, bien que la Chine ait condamné de manière rhétorique les sanctions imposées à la Russie, la nécessité de préserver l’accès à ces technologies et aux marchés mondiaux l’a conduit à contenir sa réaction. En d’autres termes, l’« amitié sans limites » de Moscou et de Pékin se heurte à la limite insurmontable du système impérialiste mondial, toujours dominé par les États-Unis. Dans ce contexte, malgré les réticences de Poutine, il est clair que Pékin ne mourra pas pour Moscou.

Notes :

[1] “Why China Is Unlikely to Aid Russia,” Reshma Kapadia, The Barron’s Daily, 23/3/2022.

[2] Ibidem.


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Juan Chingo

@JuanChingo
Journaliste

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