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L’après M, de la lutte contre une multinationale à la solidarité dans les quartiers populaires

Dans les quartiers nord marseillais, l’ancien restaurant McDonald’s Saint-Barthélemy, rebaptisé « L’après M » continue de distribuer des colis alimentaires par centaines révélant la précarité dans laquelle sont plongées de milliers personnes. Après une lutte historique, les occupants du site souhaitent désormais bâtir un restaurant solidaire.

Matteo Falcone


et Mona Modotti

6 janvier 2021

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Lundi 26 décembre il est 6 heures du matin, des dizaines de personnes, un petit papier à la main où est inscrit un numéro, se pressent dans le serpentin délimité par les barrières. Ce n’est qu’à partir de 9h que la distribution va débuter mais déjà les bénévoles encadrent la file et s’assurent que les distances sanitaires soient respectées. Peu à peu la file s’agrandit jusqu’à faire le tour du restaurant. La foule réunie vient chercher des colis alimentaires, un sac cabas composé de brique de lait, de pâtes, de riz, de semoule et beaucoup de légumes et de fruits. Au premier poste du drive on distribue les colis, au second les légumes, à la fin du parcours Louisa propose plusieurs pains congelés. « Ceux qui sont mous, c’est pour les personnes âgées celle qui n’ont plus trop de dents pour pouvoir croquer le pain » nous explique-t-elle.

Cette scène se déroule dans les quartiers Nord marseillais, au rond-point de Sainte-Marthe, au milieu de plusieurs cités comme celle de Font-Vert. Comme chaque lundi ce sont des centaines de personnes qui se rendent au McDonald’s de Saint-Barthélemy, pour récupérer leur colis alimentaire hebdomadaire. Dans cette longue file, beaucoup de femmes. Elles sont la majorité. Une grande partie d’entre elle ont de trop petites retraites, d’autres continuent de travailler mais ont une famille nombreuse et leurs revenus ne suffit plus pour payer le loyer et acheter de la nourriture.

Lorsque nous tentons de les interroger sur leurs conditions de vies, nos caméras rebutent. Mais lorsqu’on leurs propose de témoigner par audio, elles ont des choses à dire. Doria* nous explique : « Il y a deux choix, vous payez les factures et vous ne mangez pas, vous mangez et vous ne payez pas les factures, mais elles seront majorées. J’ai travaillé pendant plusieurs années, aujourd’hui ma retraite ne suffit plus. » Deux autres femmes s’approchent spontanément du micro : « Monsieur j’ai 4 enfants en bas âges, un mari malade, on n’a pas de revenus, je dois m’occuper des enfants et qui veut embaucher une femme comme moi si c’est pour faire autre chose que le nettoyage ? Ce coli ça nous aide un peu, malheureusement on continuera à dépendre de lui tant que la situation ne s’améliorera pas ». Nous échangeons encore quelques mots puis elles retournent prendre leurs places dans la file.

La solidarité dans les quartiers populaires face à une situation dramatique

Ce jour-là, plus de 650 colis seront distribués. Lors du confinement, le chiffre impressionnant de 3500 colis alimentaires par semaine avait été atteint. Des chiffres aussi frappants que révélateurs de la précarité dans laquelle sont plongés les quartiers Nord marseillais. Les arrondissements du Nord de Marseille (3ème, 13ème, 14ème, 15ème, 16ème) avaient un taux de chômage de 25,5% (contre 8.5% de moyenne nationale) avant le confinement, et 39% de la population y vivaient sous le seuil de pauvreté. Les vagues de licenciements dans certains secteurs, l’arrêt du paiement des salaires pour les personnes travaillant dans le secteur informel durant le confinement ont, à Marseille comme partout ailleurs, grandement accentuer cette précarité. Les différentes associations estiment ainsi que durant l’année 2020, le nombre de pauvre en France a augmenté d’un million de personnes.

Cette situation dramatique engendré par l’absence total de réaction des pouvoirs publics, ont poussé en mars 2020 d’anciens travailleurs du restaurant de Saint-Barthélemy, soutenus par des associations et des collectifs comme le Syndicat des quartiers populaires de Marseille, à réquisitionner le site contre l’avis de McDonald’s France afin qu’il puisse servir de plateforme de distribution de colis alimentaire. Face à une véritable crise humanitaire où des milliers de foyers n’avaient même plus de quoi se nourrir, nombre d’entre eux dépendaient de plateformes telles que celle de Saint-Barthélemy.

Lors d’un live de Révolution Permanente en mai 2020, Kamel Guemari figure de la lutte et fondateur de L’après M, déclarait : « Ce restaurant est notre lieu de travail, il existe depuis 1992. J’ai enrichi McDonald’s en travaillant dans ce restaurant, les habitants du quartier ont enrichi McDonald’s en consommant, aujourd’hui ce restaurant il va plus tourner pour le compte de McDonald’s mais pour la population. » Une démonstration de solidarité qui restera gravé dans l’histoire de Marseille. La démonstration que l’outil de production peut servir pour l’intérêt collectif de la population, plutôt que pour le profit d’une minorité comme l’entreprise McDonald’s.

Une lutte historique des travailleurs des quartiers Nord face à une multinationale

Mais ce combat n’a pas commencé en mars 2020, depuis des années les salariés du restaurant de Saint-Barthélemy sont à l’avant-garde dans une lutte pour une égale redistribution des richesses. Le McDonald’s des quartiers Nord marseillais avait ainsi conquis d’énormes avancés sur la base d’une lutte offensive comme il est rare d’en voir, surtout dans le secteur du service. Au point de valoir aux travailleurs la une du New York Times. Et pour cause, un petit restaurant avait arraché à une multinationale des conquêtes sociales, tels que le 13ème mois, la participation aux bénéfices, ou encore des heures de nuit dument payés (ce qui est rare dans les fast-foods), dotant les travailleurs du restaurant des meilleurs conditions salariales au monde au sein de l’entreprise McDonald’s !

Mais après ces victoires est venue la contre-offensive, et les salariés ont subi de nombreuses attaques de la part du franchisé Jean-Pierre Brochiero, son confrère Mohammed Abassi, ainsi que l’entreprise mère. L’envoi d’hommes de main pour intimider les salariés, les affaires de corruptions pour de faux témoignages contre des délégués syndicaux comme Kamel Guemari, ont exprimé la violence que peut avoir le patronat à l’égard des salariés lorsque ces derniers relèvent la tête. En décembre 2019, McDonald’s a finalement réussi à faire placer le restaurant en liquidation judiciaire sous prétexte d’une non-rentabilité. L’expertise faite à la demande des salariés par le cabinet TECHNOLOGIA avait pourtant démontré que ce manque de rentabilité était dû à un manque cruel d’investissement de la part du franchisé.

Cette liquidation avait donc un objectif clair comme nous l’écrivions en octobre 2019 la dissolution d’un bastion de contestation sociale. Elle avait conduit au licenciement de 77 salariés, la destruction d’un bassin d’emploi, mais aussi la potentielle destruction de ce que les travailleurs appelaient « la place du village », l’un des rares lieux de partage et de vie toujours existant dans un quartier coupé en deux par la rocade L2 (autoroute urbaine).

L’après M , un restaurant au service de la population

Aujourd’hui, les occupants du restaurant veulent maintenir la Place du village, et voir revenir l’emploi. Car plus qu’un lieu de solidarité, ils veulent créer une entreprise qui bénéficierait aux habitants du quartier. Le nouveau nom de ce lieu trône fièrement face à la cité Font-Vert, « L’après M », formé à partir des lettres de l’ancienne enseigne McDonald’s replacées pour former le nouveau nom du site. Sur la fenêtre, des articles imprimés, Libération, Forbes, la Marseillaise : l’histoire de ce restaurant à fait le tour du monde.

Pour Kamel Guemari : « Le projet de l’Après M c’est de donner confiance aux personnes qui sont cabossées de la vie, et voir autre chose que le béton, le quartier et la haine. » Ce fameux projet, c’est la création d’un restaurant solidaire faisant de la réintégration sociale tous en continuant les diverses initiatives de solidarités. La journée du samedi 19 décembre nous a laissé entrevoir ce à quoi pourrait ressembler le futur restaurant, avec au menu un burger composé de produits exclusivement locaux. Les occupants étant en lien avec plusieurs paysans de la région qui donnaient volontairement lors du premier confinement des cagettes entières de légumes, ils pourraient dans le cadre du futur projet s’associer à eux.

Le statut juridique d’un tel restaurant serait celui d’une SCIC, société coopérative d’intérêt collectif. Elle associerait dans le cas de L’après M les futurs salariés, les clients du restaurant, des habitants, des associations et des contributeurs qui financeraient les différents investissements, comme par exemple des collectivités locales ou des fondations. Ces dernières pourraient par exemple racheter la propriété du site ou le bail qui appartient toujours à McDonald’s France.

Rester un lieu d’organisation de la lutte pour pouvoir gagner

Mais que ce soit pour la multinationale ou bien les pouvoirs publics, aujourd’hui les revendications des occupants reste lettre morte. Dans une interview publiée par sur la page de L’après M , Salim Grabsci, membre du syndicat des quartiers populaires de Marseille explique : « On a beau interpeller les pouvoirs publics, on a beau interpeller la préfecture, on a beau interpeller la mairie, qui pourtant vient de changer de bord depuis que Gaudin est parti, malheureusement jusqu’à ce jours ils nous ont pas ramené un paquet de pate ou de riz. ». En plus de ne pas avoir fourni une seule denrée alimentaire à la plateforme de Saint-Barthélemy, les collectivités locales entretiennent la stigmatisation et la ségrégation que vivent les personnes des quartiers nord, écoles délabrées, non-développement des transports en commun, aucunes solutions viables face au mal-logement problème endémique de la cité phocéenne.

Quelque soit l’issue du processus, une chose est sûre : les décisions de l’après M devraient appartenir aux futurs salariés, à la population des quartiers et à toutes les personnes qui ont permis que cette lutte existe et que ce restaurant soit ce qu’il est aujourd’hui, ce qui n’est pas le cas des pouvoirs publics.

En outre, il faut espérer que le restaurant demeurer ce qu’il a toujours été, un lieu d’organisation de la lutte. En effet le restaurant est riche en alliance entre les différents secteurs militants de Marseille : gilets jaunes, lutte contre les violences policières, collectif contre le mal-logement et plus récemment les infirmières libérales mobilisés pour exiger du matériel médical pendant la crise sanitaire. Plus encore, l’après M pourrait devenir aujourd’hui un appuie pour l’auto-organisation des personnes qui malheureusement dépendent de lui. Les bénéficiaires des colis alimentaires sont des travailleuses et des personnes qui ont tout à gagner d’une lutte contre un système qui les exploite les opprime et les plonge dans une précarité extrême. C’est au travers et pour ces gens-là que l’après M doit réussir à exister.

En outre, une telle dynamique serait le meilleur moyen de créer un rapport de force permettant de contraindre McDonald’s à sortir de son silence. Dans un contexte où les licenciements pleuvent et la précarité ne fait qu’augmenter le restaurant de Saint-Barthelemy pourrait faire figure d’exemple et d’inspiration comme il l’a souvent été, et continuer d’être le carrefour d’alliances avec de nombreux secteurs en lutte, pas seulement pour survivre face à ce système, mais pour le renverser.


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