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Premiers dégâts pour l'Allemagne dans la guerre commerciale

L’Allemagne : nouveau punchingball des Américains ?

L'industrie allemande commence à souffrir des premières répercussions de la guerre commerciale entamée par les États-Unis, enregistrant une baisse des commandes de 4% au mois de juin, en provenance majoritairement des pays hors zone euro. Si l'Union Européenne avait réussi à désamorcer la crise autour des tarifs douaniers sur l'acier et l’aluminium imposées par les Etats-Unis, le conflit stratégique ouvert entre les États-Unis et l'Union Européenne – et plus précisément entre les États-Unis et l'Allemagne, constitue une tendance de fond : de plus en plus l'Allemagne sert de punchingball à la politique de Trump.

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Trump et Merkel : un conflit stratégique de plus en plus ouvert

L’Allemagne commence en effet à subir les conséquences de la guerre commerciale menée par Trump ; l’instabilité du climat du commerce mondial ayant tendance à ralentir la conjoncture et à contracter la demande de biens de consommation et de production. Mais au-delà des variations de la conjoncture économique, ce sont les tendances de fond qu’il s’agit de mettre à jour – et notamment le conflit stratégique de plus en plus ouvert qui s’expose entre Washington et Berlin.

Donald Trump fait grief à l’Allemagne de vivre depuis des années dans l’ombre de la puissance économique et militaire américaine, en tirant ainsi tous les bénéfices sans contrepartie. Trump accuse ainsi l’Allemagne premièrement de ne pas avoir un niveau de dépense militaire à la hauteur des engagements américains dans l’OTAN, accusant l’Allemagne d’être un passager clandestin de la puissance militaire américaine. Deuxièmement, c’est le gigantesque surplus commercial allemand qui inquiète Trump et qu’il n’a de cesse de fustiger, accusant les Allemands d’exporter leurs biens à haute valeur ajoutée – notamment des voitures – vers l’Amérique, creusant encore le déficit américain et empiétant sur la puissance économique américaine. Enfin et troisièmement, les liens économiques de l’Allemagne et de la Russie – notamment la dépendance énergétique de Berlin envers Moscou – sont une autre source d’inquiétude pour Trump.

Pour ces trois raisons - économique, militaire et stratégique, mais ces problématiques sont liées les unes aux autres – Trump a fait de l’Allemagne son nouveau punchingball favori.

De manière plus générale, Donald Trump ébranle les piliers qui ont assis la puissance allemande, à savoir 1) l’équilibre économique global assuré par des institutions et accords multilatéraux entre grandes puissances - l’accord sur l’Iran étant un exemple paradigmatique ; 2) la remise en cause de l’alliance militaire dans le cadre de l’OTAN ; et 3) la menace d’une guerre commerciale globale qui mettrait en danger l’Allemagne, dont la première force est sa capacité à exporter des biens. L’Allemagne étant hautement dépendante de ses exportations à haute valeur ajoutée, toute déstabilisation continue de l’ordre géopolitique et économique ferait éclater au grand jour les contradictions du « miracle allemand », en réalité colosse aux pieds d’argile.

La réaction au retrait américain : vers une remilitarisation de l’Allemagne ?

Comme l’a écrit le Financial Times au moment du G7 : « Ce weekend a montré un monde en pleine confusion, l’Amérique a abdiqué ses responsabilités. Le reste du monde devrait en tirer les conséquences. » Ce sont justement ces conséquences que Merkel a tirées, déclarant récemment : « Ce que nous avons pris pour acquis ces dernières décennies, l’idée que les États-Unis sont une superpuissance globale, dans les bonnes comme les mauvaises périodes, n’est plus une certitude dans le futur. »

En effet, de plus en plus, le président américain n’hésite pas – et cela est inédit depuis la Seconde Guerre mondiale – à intervenir et à se prononcer directement sur des problématiques de politique intérieure allemande, qu’il s’agisse de la politique migratoire menée par Merkel – qu’il accuse d’être un fiasco et d’accroitre la violence et le chômage en acceptant des réfugiés – ou en soutenant ouvertement l’aile de droite du parti de Merkel qui a voulu faire fronde il y a plusieurs semaines de cela, toujours au sujet de la question migratoire.

L’évolution de la situation, qui pourrait, en cas de retrait des États-Unis, laisser l’Allemagne sans défense, mène donc une certaine frange de la bourgeoise à prôner ouvertement une remilitarisation de l’Allemagne, certains allant même jusqu’à prôner l’acquisition de l’arme atomique. Toutefois, cette tendance à la remilitarisation n’est pas encore dominante au sein de la bourgeoise. D’une part, le conflit que cela entrainerait avec d’autres puissances européennes, la France au premier chef, est hautement problématique – sans mentionner les réactions que cela soulèverait au sein même de l’Allemagne. D’autre part, le budget de défense allemand – et des infrastructures en général – est le parent pauvre du budget, avec des infrastructures militaires et des équipements totalement vétustes et incapables de se mobiliser en cas de guerre. Autant de raisons qui font que Trump voit de moins en moins dans l’Allemagne un allié stratégique et de plus en plus un concurrent économique – voire un parasite vivant aux crochets de la puissance américaine.

De plus, il s’agit de saisir que la tendance de fond est d’une part à un déclin relatif de l’hégémonie américaine, et que d’autre part, dans ce contexte de déclin relatif de ses forces, les intérêts vitaux des Etats-Unis se jouent désormais en Mer de Chine du Sud, dans la lutte – pour le moment politique, diplomatique et économique – pour l’hégémonie dans cette région du monde, hégémonie de plus en plus contestée par la Chine. En cela, le positionnement géographique de l’Allemagne devient de moins en moins central du point de vue des intérêts américains.

Ainsi la politique intérieure allemande, et ce de façon de plus en plus directe, est très impactée par la politique étrangère américaine et ses décisions internationales. A ce titre, recul ou déclin relatif de l’hégémonie américaine ne doivent pas être confondus avec l’effacement de son rôle sur la scène internationale. Comme l’écrit Gramsci dans ses Cahiers de Prison : « La façon dont s’exprime l’existence d’une grande puissance est donnée par la possibilité de conférer à l’activité étatique une direction autonome, dont les autres États doivent subir l’influence et le contrecoup : une grande puissance est une puissance hégémonique, elle est le chef et le guide d’un système d’alliances et d’ententes plus ou moins étendues. ». (nous soulignons)

La formule « America First » exprime à ce titre la volonté croissante d’une partie de l’establishment américain de faire la guerre à l’érosion de l’hégémonie américaine en s’appuyant sur ce qui constitue encore les piliers de la puissance américaine - le dollar et la force militaire, avec la reprise de la course à l’armement - tout en ouvrant une nouvelle ère de guerre commerciale en imposant son hégémonie par la force de taxes impériales.

Crédits photos : IMAGE : REX/SHUTTERSTOCK


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