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Colonisation

Kanaky. Un référendum qui dépossède les Kanaks de leur droit à l’indépendance ?

Cela fait presque deux siècles que les Kanaks luttent pour leur indépendance. Ce dimanche 4 novembre une partie de la population de Kanaky devra se prononcer sur l’indépendance ou non de leur terre. Le non devrait l’emporter. Cela s’explique par la colonisation de peuplement que la France impulse depuis deux siècles. Les Kanaks en minorité sur leur propre terre voient deux stratégies s’opposer pour l’indépendance. La première pour le boycott des élections et la deuxième pour voter oui.

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Crédit photo : Albert Huber

La Kanaky, territoire colonisé

Le peuple kanak a subit de plein fouet la colonisation française à partir de 1853. Il a fallu plus de 60 ans à l’armée française pour « pacifier » le territoire. Fin 1960, un grand mouvement dans la jeunesse a lieu, pour protester contre le racisme et la misère économique dont ils sont victimes. La France appelle une fois de plus à une immigration massive de français de métropole et d’outre mer et d’européens vers la Nouvelle-Calédonie afin que les Kanaks deviennent minoritaires sur leur terre natale, ce qui va effectivement arriver. Ce « blanchiment » de la Kanaky se fait notamment autour d’un boom de la production du nickel.

Les tensions vont s’accentuer durant les années 80 lors de la cohabitation pour arriver au massacre de la grotte d’Ouvéa. Après ce que les autorités françaises appellent pudiquement « les événements », les représentants indépendantistes kanaks et le gouvernement socialiste se mettent d’accord pour organiser en 1998, un référendum pour l’autodétermination. Ce sont les accords de Matignon. Mais en 1998, le gouvernement Jospin signe avec les indépendantistes kanaks l’accord de Nouméa qui repousse le référendum en 2018. Ce dernier accord ne peut permettre aux Kanaks, minoritaires sur leurs terres, d’accéder à l’indépendance.

Un corps électoral favorable aux colons

Que ce soit l’accord de Matignon ou Nouméa, il est question que le corps électoral soit bloqué. Daniel Guerrier, ancien coprésident de l’Association Information et soutien aux droits du peuple kanak, cité dans Rapport de force, explique que ce corps électoral « est moins bloqué que ne le souhaitaient les Kanaks. Les populations qui ont afflué sur le territoire lors du boom du nickel dans les années 60 et 70 ont été incluses dans le corps électoral. Cela noie les Kanaks dans leur propre pays ». Il explique que c’était un objectif de la France coloniale notamment par rapport à une circulaire de Pierre Mesmer en 1972 qui demande au haut-commissaire en Nouvelle-Calédonie de « faire du blanc ».

De fait, le corps électoral pour le référendum de dimanche, comprendra 174 154 personnes sur les 210 105 personnes inscrites dans le collège électoral global. Pour les non-Kanaks, il faut résider dans l’archipel de façon continue depuis au moins le 31 décembre 1993. Les milliers de Caldoches qui sont arrivés lors des phases de colonisations successives, notamment celle massive entre 1960 et 1970 peuvent voter sans problème. Daniel Guerrier explique que « si ne pouvaient voter que les autochtones et les victimes de l’histoire, le référendum serait gagné ». Les « victimes de l’histoire » ce sont « les descendants des bagnards, leurs gardiens et les agriculteurs des premières colonies de peuplement. » D’après Daniel Guerrier, les Kanaks acceptent l’idée que ces derniers puissent voter pour le référendum.

La question de qui peut voter est centrale dans la division des indépendantistes et surtout dans le résultat

En effet, le dernier sondage donne une large victoire du non qui l’emporterait avec 66 % des suffrages exprimés contre 34 % pour le oui. Ce résultat est intimement lié à la répartition ethnique de la population de l’archipel. Sur les 268 500 habitants de la Kanaky, seulement 39,1% se déclarent Kanak. Aux élections locales de 2014, les indépendantistes recueillaient plus de 70 % dans les régions peuplées à plus de 70 % de Kanak tandis que dans les autres, comme à Nouméa, ce vote tombait à moins de 50 ou même 25 %.
Le principal parti indépendantiste kanak, le FLNKS, dans la continuité de ses signatures des accords de Matignon et Nouméa, fait campagne pour le oui. Dans la Voix de Kanaky, relayé dans un article de blogs.mediapart le FLNKS explique ceci : « Mettre fin à un système de domination dit colonial, de façon pacifique et organisée est possible par un bulletin de vote. C’est probablement ce que pensaient nos aïeux qui se sont battus pour nous offrir cette chance. L’heure de montrer qu’ils avaient raison est arrivée. En disant OUI le 4 novembre… ».
De l’autre côté le syndicat USTKE et le Parti Travailliste (PT) appelle au boycott du référendum.
Dans L’Indépendant, Macky Wea, frère de Djubelly Wéa qui voyait une trahison dans les accords de Matignon de 1988 a assassiné le 4 mai 1989 les deux leaders kanak, Jean-Marie Tjibaou et Yeiwéné Yeiwéné. Membre de la tribu où se situe la grotte d’Ouvéa et membre du PT, il affirme que c’est un « référendum bidon » et revendique que « seul le peuple colonisé doit prendre part au vote ». En effet, les Kanaks étant minoritaires sur leur propre sol donneraient en votant une légitimité au référendum.

« Le fait de glisser un bulletin dans l’urne c’est comme si tu acceptes la mort du peuple kanak »

Lors du dernier congrès de l’USTKE, mi-septembre, Hnalaïne Uregei expliquait, selon l’article de blogs.mediapart que « Moi j’irai voter le jour où ce sera le vrai référendum d’autodétermination, c’est-à-dire que seul le peuple kanak vote […] C’est la première fois qu’un peuple colonisé fait une telle concession. Y’a aucun précédent dans l’histoire coloniale, qu’elle soit française ou anglaise […] on leur reconnaît le statut de victimes de l’histoire. Mais en contrepartie, qu’est-ce qu’on a reçu ? […] Pour un indépendantiste, c’est quoi la ligne jaune à ne pas franchir ? C’est quoi le plus important ? Le plus important, et tout découle de là, c’est de savoir si l’indépendance est négociable ou pas ; l’indépendance ce n’est pas négociable. »

Si le non l’emporte, il y a la possibilité pour les indépendantistes de réclamer deux autres référendums mais tant que le corps électoral reste ainsi défini, il n’y a strictement aucune chance pour que la Kanaky obtienne son indépendance.

D’autant plus qu’une partie des Kanaks n’est pas inscrit sur les listes électorales. Le 4 octobre 2017, les indépendantistes représentés par Rock Wamytan, estimaient, devant la commission de décolonisation de l’ONU, que 23 000 Kanaks ne sont inscrits sur aucune liste électorale. Des négociations ont eu lieu avec le gouvernement français, mais le 3 novembre 2017, le Comité des signataires, où siègent indépendantistes et non-indépendantistes, s’accorde pour procéder, « de manière exceptionnelle et en raison de la consultation, à l’inscription d’office de 10 922 natifs qui résident de manière certaine en Nouvelle- Calédonie ». Il reste donc encore 12 100 kanaks non inscrits, soit 6% du corps électoral appelé à voter ce dimanche.

Les Caldoches se préparent à des troubles

Alors que le résultat du référendum ne fait aucun doute, les Caldoches se sont réarmés à l’approche du vote. De peur d’une violence qui pourrait s’exprimer après les résultats ils se tiennent prêts à défendre leurs intérêts économiques et privés car en Kanaky l’économie, l’administration et les secteurs stratégiques sont aux mains des blancs. Pourtant, dans l’histoire de la Kanaky, la violence vient des Caldoches. Chaque explosion kanak découle de crimes, de spoliations et d’injustices perpétrées par les forces coloniales ou les Caldoches. Dans un article de Mediapart, il est expliqué que « l’usage des armes a été libéralisé depuis cinq ans, […] maintenant en une demi-heure, avec une pièce d’identité, vous obtenez votre permis de chasse, vous garez votre pick-up devant l’armurerie et vous ressortez les bras remplis de carabines et de munitions. […] » « Ça va arriver, ils vont tirer, il y aura des morts ».

Plus le référendum approche, plus les provocations des Caldoches augmentent. Le PT explique que « le 7 octobre, sur la commune de Ouégoa, siège d’affrontements meurtriers dans les années 80, des manifestants opposés à l’indépendance ont tenté d’empêcher la tenue d’un meeting du FLNKS », « sur les façades du Congrès de Nouvelle Calédonie, les couleurs Kanak ont été enlevées, là où elles sont habituellement affichées conjointement avec le drapeau français ». L’État français n’est pas en reste puisque, comme lors des élections de 88, il a déployé des gendarmes en plus. Il y aura 300 militaires de plus, ce qui est énorme pour un territoire comme la Kanaky. De plus, il sera interdit de vendre de l’alcool aux abords des bureaux de vote, et le transport d’armes est prohibé.

Il y a deux choses qui sont certaines au sujet du référendum de dimanche. Celui-ci est illégitime étant donné que de nombreux Kanaks ne sont pas inscrit sur les listes électorales contrairement aux Caldoches qui n’ont pas a s’exprimer sur l’indépendance d’un pays qui ne leur appartient pas. Le déploiement des forces de l’ordre n’ont pas d’autre but que de réprimer toute contestation kanak et de défendre les intérêts des blancs qui contrôlent le pays. La Kanaky représente ¼ des réserves mondiales de nickel, et permet à la France d’être la deuxième puissance maritime mondiale après les États-Unis. La France, a travers le corps électoral, la propagande pour le non et le déploiement des forces armées ne souhaite en aucun cas voir sortir de son giron le Cailloux.


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